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Venezuela : première synthèse de la rencontre critique des intellectuels révolutionnaires

Lundi 13 juillet 2009, par Aporrea

23 juin 2009
n°14271

Sommaire

• L’instrument politique (...)
• Le nouvel État révolutionnaire
• Le rôle des médias
• Le caractère de la révolution
• La participation populaire

Les journées de réflexion « Intellectuels, démocratie et socialisme : voies sans issue et chemins à parcourir » ont réuni 30 des plus grands intellectuels vénézuéliens impliqués dans le processus de la révolution. Objectif : analyser et discuter des principaux problèmes rencontrés par notre processus. Une partie importante de ces intellectuels était constituée de ceux qui, la semaine précédente, s’opposaient à la réunion organisée au Venezuela par le CEDICE, qui avait invité l’extrême-droite mondiale. L’engagement de nos intellectuels dans le processus révolutionnaire et la confiance qu’ils témoignent envers le leadership du Président Hugo Chávez est tellement indiscutable qu’il serait inutile de le répéter.
L’objectif général de ces journées était de discuter, dans nos propres rangs, de l’état d’avancement du processus. Parmi les intellectuels participants, nous pouvons citer Vladimir Acosta, Eva Golinger, Luis Britto, Marta Harnecker, Juan Carlos Monedero, Luis Damiani, Iraida Vargas, Emir Sader, Michael Lebowitz, Ernesto Villegas, Santiago Arconada, Rigoberto Lanz, Miguel Ángel Pérez, Carmen Bohórquez, Víctor Álvarez, Luis Bonilla Molina, Roberto Hernández Montoya, Fausto Fernández, Daniel Hernández, Filinto Durán, Mario Sanoja, Javier Biardeau, José Luis Pacheco, Arístides Medina Rubio, Aram Aharoniam, Miguel Angel Contreras, Gonzalo Gómez, Vladimir Lazo, Roberto López, Rubén Reinoso, Nieves Tamaroni, Rubén Alayón Montserrat, Elio Sayago, José Carlos Carcione, Rafael Gustavo González, Roland Denis et Paulino Núñez. Le deuxième jour, Ana Elisa Osorio les a rejoints et a pris la parole.
Lors de cette rencontre, chaque intervenant avait dix minutes pour analyser ce qu’il considère comme le plus important parmi les quatre grands problèmes suivants : (1) le rôle des intellectuels dans le dépassement de la IVe République ; (2) le rôle des intellectuels dans l’avènement et la consolidation de la Ve République ; (3) zones de lumière et d’ombre des dix années de Gouvernement bolivarien ; (4) voies à suivre pour le socialisme du XXIe siècle et menaces internes ou erreurs du processus même.
La partie la plus importante de cette rencontre a été consacrée à la réalisation d’un inventaire des problèmes de la révolution bolivarienne, une sorte d’alerte anticipée (bien que tardive dans le temps). On a ouvert un espace de critique qui s’est affaibli par l’usage destructif de la critique développée par l’opposition et les médias à son service, et qui s’est terminé par une information essentielle pour que le processus entre dans le cadre des tâches du gouvernement.
En ce sens, la majorité des participants a donné son opinion sur tout ce qu’ils considèrent qu’il est possible d’améliorer dans le processus. Ensuite, on a présenté le rapport suivant, sur quelques questions exposées pendant la journée, qui ont donné lieu à des débats, organisés en ateliers thématiques. Il ne faut pas considérer ces aspects comme des conclusions qui seront différées à une réunion ultérieure à caractère de proposition.
Il est important de souligner, pour éviter les malentendus, que la primauté des aspects critiques sur les évaluations positives est due à l’intérêt de trouver des points à améliorer dans le processus révolutionnaire, ce qui a été négligé ces dernières années par les intellectuels concernés par la révolution.

L’instrument politique révolutionnaire

Une des discussions centrales du débat traitait de l’identité du PSUV. On a ainsi posé une série de questions : en quoi le PSUV se distingue-t-il des partis politiques traditionnels ou anciens ? Les partis ont-ils encore un sens ou ont-ils perdu leur sens dans une société complexe ? Si le parti en venait à être la solution, le parti doit-il avoir une direction unique ou collégiale ? Est-il correct qu’une personne puisse prendre des décisions sans consulter la base ou contre la volonté de la base ? Quel est l’avenir d’un parti dont la base a rarement l’occasion de s’exprimer ? La base doit-elle élire les membres de la direction ou bien s’agit-il d’une décision à laquelle la base ne doit-elle pas participer pour d’autres raisons ? L’élection de la direction par la base n’affaiblit-elle pas le parti ? Comment la base participe-t-elle à l’élaboration du programme et des grandes lignes directrices du Gouvernement et du contenu du socialisme du XXIe siècle ? N’est-ce pas un problème, pour le parti, que certains fonctionnaires qui occupent des postes fondamentaux au gouvernement soient en même temps les cadres du parti ? Le cumul des responsabilités ne mène-t-il pas à l’inefficacité ? Confondre le parti et l’État, n’est-ce pas répéter une erreur du socialisme du XXe siècle ? Le PSUV est-il né sous la forme d’une coupole, de haut en bas, davantage par nécessité politique ressentie depuis le Gouvernement, que comme une nécessité ressentie par la base ?
Un autre élément important et répété est la nécessité d’une direction collective de l’instrument, qui s’articule effectivement autour des mouvements sociaux de base (et qui ne se contente pas de les utiliser en période électorale comme courroie de transmission du Gouvernement), qui mette fin au clientélisme partisan néfaste et qui fonde la base d’un véritable parti révolutionnaire qui reconnaisse la liberté de critique et qui approfondisse la démocratie au sein du parti. Tous ces éléments mentionnés dans ce paragraphe sont restés au centre de la discussion.

Le nouvel État révolutionnaire

Si l’État a été l’instrument utilisé par le néolibéralisme pour imposer ses propositions, doit-il aussi être l’instrument qui nous libérera du néolibéralisme ? L’État est-il un héritage colonial à surpasser ou, en d’autres termes, parler de l’État ne revient-il pas à poursuivre un débat colonisé ? L’État nous dévore quand nous l’utilisons ou peut-il être un instrument d’émancipation ? Est-il possible de refonder l’État ? Existe-t-il un État symboliquement faible au Venezuela ? Et si l’État est faible, est-ce une faiblesse ou une force pour le Venezuela ? Cet État peut-il nous mener sur la voie du socialisme, ou au contraire, est-il un frein au socialisme ? Faut-il affaiblir l’État actuel ou le renforcer ? Faut-il inventer un nouvel État dit « communal » ou « socialiste » ? Quelles sont les caractéristiques de l’État communal ?
On a insisté sur la nécessité de former aussi bien les cadres du parti que ceux des services publics, afin de freiner les processus de rupture institutionnel répétés à chaque changement de titulaire d’un Ministère, ce qui est inconcevable dans un même Gouvernement. On a aussi attiré l’attention sur le danger des consultants ministériels qui manquent d’engagement révolutionnaire.

Le rôle des médias

Une autre grande discussion a été celle relative aux médias tant commerciaux que ceux en faveur du processus. Le débat s’est centré autour de ce que nous devons faire avec nos médias lorsqu’en dépit de disposer de six chaînes publiques, on n’arrive pas à 8% de l’audience. A quoi cet échec évident est-il du ? Ne s’agit il pas alors d’un gaspillage d’argent public puisque l’on n’arrive pas à augmenter les indices d’audience ?
Dans ces conditions réussira t-on quand même à transformer les citoyens. Quelles sont les erreurs qui sont commises ? Sont-elles administratives ou d’orientation quant au contenu ? Est-ce du au fait que la population vénézuelienne ait l’habitude de certains médias qui les empêche de voir tout autre type de programmation ? S’agit t-il d’un problème particulier auquel nous n’avons pas réussi à faire face ? Disposons nous d’une politique de communication réellement adéquate et organisée ? Est-ce la faute des médias commerciaux, ou des médias publics ou des médias alternatifs ? Le contrôle de tous les médias serait-il une solution ?
Même avec la forte croissance des médias communautaires et alternatifs pendant le processus révolutionnaire on n’a pas encore réussi à articuler cette solution. Peut-être le cadre normatif et les exigences des entités de régulation ne portent pas préjudice à la croissance de ces médias populaires ? N’est il pas temps également que CONATEL [1] fasse respecter les lois de télécommunications ? Qu’attend-t-on pour freiner les abus des médias privés ?
Les contenus des livres scolaires sont clairement un élément clé de colonisation qui empêche la formation révolutionnaire. De la même manière l’hégémonie de la droite dans la production de contenus entraîne la reproduction d’une connaissance contre-révolutionnaire.

Le caractère de la révolution

Un autre sujet important de discussion a porté sur le caractère de la révolution. Il y a été dit que la Révolution contient en elle-même plusieurs révolutions : étudiante, paysanne, ouvrière, socialiste, féminine, militaire, populaire. Cependant il faudrait encore construire une bonne synthèse entre ces révolutions sur base des questions suivantes : Y a-t-il une hégémonie par rapport à ces différentes révolutions vis-à-vis de la révolution bolivarienne.
Quant au débat à propos de l’Union civico-militaire avec son caractère inédit et son manque de théorie et de pratique, elle attend encore son moment théorique. Il est nécessaire d’avoir un débat important avec les étudiants, les intellectuels, les travailleurs, les paysans et instaurer un débat permanent entre ces secteurs. Un autre aspect important concerne la définition du socialisme du XXIe siècle. D’un côté, le fait de ne pas le définir a un avantage qui implique que l’on n’est pas en train de répéter des modèles mais d’autre part cela montre aussi un manque de caractère concret qui le laisse peut-être trop ouvert. Le socialisme du XXIe siècle doit être du XXIe siècle mais doit être également socialisme. Il ne peut échouer sur l’élément émancipateur.
Il y a des éléments du processus qui sont clairement émancipateurs (réduction de la pauvreté, éducation, santé, missions, alimentation, réduction des inégalités, développement humain…). Mais il y a d’autres données économiques qui contredisent l’idée du socialisme à moins que le socialisme signifie quelque chose de totalement différent de sa signification historique et qui nous conduirait à nous passer du terme socialisme (participation des revenus du travail et du capital dans le PIB ainsi que celui du secteur public et du secteur privé, placement de ceux qui sortent de la Mission Che Guevara, pourcentage de l’économie sociale).
En ce sens, pouvons nous parler d’une véritable révolution économique ? Où est la construction d’un nouveau modèle économique productif qui assure une véritable transition au socialisme ? Quand et comment les relations de production changeront-elles ?

La participation populaire

Un autre élément qui semble caractériser le socialisme du XXIe siècle est l’idée de participation qui est apparue comme un élement central de ce processus. On est parti du fait que les conseils communaux sont un exemple par excellence de participation mais qu’ils répondent à une logique très peu participative. Cela s’explique parce que ou bien ils ne fonctionnent pas ou bien ils répondent directement au pouvoir exécutif. Il y a de plus le problème qu’ils courrent le risque d’être cooptés par le parti ce qui génère des problèmes entre la logique institutionnelle du parti et la logique sociale des conseils communaux qui ne sont pas articulées de manière complémentaire. Il existe un risque profond que la logique institutionnelle limite la logique sociale qui a mis 30 ans à se construire et qui a rendu possible la révolution et l’a défendue le 13 avril [2].
Il a été signalé que le risque d’affaiblir, coopter et en finir avec la participation populaire non-institutionnelle réclame un débat pour alerter sur ce que cela signifierait. La restriction d’un mouvement social par un mouvement institutionnel né d’en haut serait une condamnation de l’avancée de la démocratie. Comment est-ce possible de courrir cet énorme risque qui détruirait tout ce que cette révolution a construit. On a mis l’accent sur le fait que les Conseils communaux ne doivent pas se transformer en comités de défense de la révolution car leurs fonctions sont différentes et il est important pour le processus qu’elles demeurent séparées.
La réflexion critique en tant qu’instrument d’avancée révolutionnaire Le dernier sujet de discussion a porté sur les modes et les formes d’articulation de la critique. En effet, même parmi les intellectuels engagés la critique a perdu une partie de l’espace dont elle devrait disposer, en particulier parmi les intellectuels avec une quelconque responsabilité institutionnelle. Il n’est pas compliqué de trouver dans les médias qui soutiennent le processus des comportements du socialisme du XXe siècle où l’on accuse n’importe qui qui formule des critiques à voix haute y compris des personnes avec un profil révolutionnaire incontestable d’être « contre-révolutionnaire » ou « agent de la CIA ». Cela affaiblit considérablement le processus étant donné que cela empêche le gouvernement de procéder à des changements lorsque des choses ne vont pas et parallèlement il se construit une vérité « officielle » qu’on répète encore mais sans y croire et une vérité populaire muette mais réelle. La nécessité d’intégrer cette vérité populaire est l’obligation de toute révolution.
Est-il possible qu’une révolution qui ne fait pas de la critique le principal de ses moteurs avance quand même. La question est revenue à plusieurs reprises. Il a été mis en avant qu’avec cette réunion des intellectuels, la révolution était passée en revue en même temps que renforcée. Les intellectuels se sont félicité du fait que l’Exécutif a mis à leur disposition un espace pour la critique qui en dix ans n’avait jamais eu lieu. Ils ont également insisté sur le fait que cet événement démontrait que la peur de la critique ne s’avérait pas justifiée. La dénonciation de l’opposition d’une absence de liberté d’expression au Venezuela est fausse également. Cette révolution est capable de se réinventer en permance grâce aux espaces de liberté existants. Toute révolution a périodiquement besoin de se révolutionner culturellement pour dépasser ses défauts et trouver de nouveaux chemins.
Les intellectuels – un concept largement critiqué par les présents comme élitiste – militent avec l’engagement qu’il nécessaire d’articuler la théorie et la pratique, en n’oubliant pas que la praxis est ce qui rend la théorie utile. On a également mis l’accent sur la nécessité d’un travail en commun entre les intellectuels pour une meilleure efficacité.


Notes
[1] Commission nationale de télécommunications, l’instance indépendante de régulation.
[2] Le 13 avril 2002 la mobilisation populaire a mis fin au coup d’Etat qui avait eu lieu deux jours auparavant
* Publié en français sur le site du CADTM. Traduction Fabrice Claes et Virginie de Romanet.
Mis en ligne le 3 juillet 2009