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SOS Palestine

Voyage sur une terre palestinienne exsangue où la situation ne cesse de se tendre depuis la suspension, après l’élection du Hamas, des aides des États-Unis et de l’Europe.

Lundi 22 mai 2006, par Pierre Barbancey

Les rues de Naplouse sont étrangement vides en cette fin de matinée. Cette grande ville marchande du nord de la Cisjordanie a pourtant appris à vivre avec le blocus, imposé de façon quasi permanente par l’armée israélienne, et les incursions militaires meurtrières. Comme l’ensemble des cités palestiniennes, étranglées par l’occupation et le mur qui les transforme en bantoustans. Mais la fin de l’aide financière décidée par la communauté internationale frappe de plein fouet la population. Les 165 000 fonctionnaires de l’Autorité palestinienne (AP) ne sont plus payés depuis deux mois, ce qui signifie que près d’un million de personnes n’ont plus rien pour vivre. C’est ce que confirme Nasser Abou Jeash, maire de Beit Dajan (à l’est de Naplouse) et des sept villages environnants. « Nous n’arrivons plus à payer l’électricité qui vient d’Israël parce que les gens n’ont plus d’argent et ne paient plus leurs factures, insiste-t-il. Nous nous attendons à une coupure très rapidement. Nous avons le même souci avec l’eau et surtout pour le ramassage des ordures ménagères, avec toutes les conséquences sanitaires que cela comporte. » Il explique que, « en tant que Palestiniens, nous ne sommes pas étonnés par la position des États-Unis qui sont toujours avec Israël. Mais on ne comprend pas l’Union européenne (UE). Je suis contre le Hamas mais les Européens doivent se rendre compte du résultat de leur blocage. C’est la population qui en subit les conséquences ».

Mise en place d’une coopérative

Motaz Assayed, professeur de mathématiques à Naplouse, en sait quelque chose. Il n’est plus payé alors que « l’accord était que l’UE nous aide jusqu’à la création d’un État palestinien. Or il y a toujours occupation. Pensez-vous que nous soyons contents de mendier ainsi l’aide internationale ? ». Pour s’en sortir, lui et ses collègues font jouer la solidarité. Ils ont mis en place une sorte de coopérative et vont s’adresser aux commerçants pour obtenir des crédits.

« La situation est très difficile », avoue Abou Mohammed, qui possède une grande épicerie dans le centre de Naplouse. Six de ses conteneurs de marchandises sont bloqués par les Israéliens au port d’Ashdod, sans raison, ce qui lui coûte plusieurs milliers de shekels par jour, pour rien. « Les achats des gens ont

diminué de 50 %. Ils n’achètent que le strict nécessaire, huile, farine, pois chiches, et le moins cher possible. Regardez, il n’y a personne dans mon magasin ni dans la rue alors que nous sommes dans une artère commerçante. Les checks-points empêchent tout mouvement et il est difficile de distribuer la marchandise dans les villages alentour. » Même tonalité dans l’échoppe de Lotfi qui dit vendre « 85 % de moins qu’avant. Je vends quelques sandwichs et du tabac. Mais les gens n’achètent plus de bonbons ou de chocolat ». Encore plus significatif peut-être est ce que raconte Swail, vendeur et réparateur de montres : « L’autre jour une personne est venue vendre sa montre parce qu’elle devait aller chez le docteur et n’avait pas d’argent. La montre ne valait rien, alors je l’ai accompagnée et j’ai payé le médecin. »

« La situation sanitaire est particulièrement désastreuse, souligne le docteur Nasri, secrétaire général adjoint du syndicat des dentistes en Cisjordanie. Nous manquons de matériel et de médicaments, surtout pour les maladies chroniques. Il y a des cas qu’on ne peut traiter nulle part dans les territoires palestiniens, alors il faut envoyer les malades en Jordanie ou en Israël. Mais depuis la victoire du Hamas, les Israéliens font payer le double du prix normal, qu’ils déduisent de ce qu’ils doivent à l’Autorité palestinienne. » Il suffit de parcourir les couloirs des établissements hospitaliers palestiniens pour se rendre compte de l’étendue du désastre. Les centres de dialyse sont particulièrement affectés parce qu’ils demandent beaucoup de matériel. Zoher Loubbadi a été prévenu, à Naplouse, que ses séances de dialyse n’auraient plus lieu trois fois mais deux fois par semaine seulement. « Quand on est dialysé, on ne peut pas vraiment travailler. Sans aide on ne s’en sortira pas », dit-il. À l’hôpital Shifa de Naplouse, le stock de filtres disponibles pour les dialyses permettra de tenir encore une semaine, selon le docteur Mazen El Alouni. Sur les 28 machines disponibles, six ne marchent plus et les Israéliens bloquent le passage des pièces de rechange. Mazen parle aussi de cette femme, atteinte d’un cancer du sein, envoyée dans un premier temps en Israël et renvoyée à Gaza après la victoire du Hamas : elle est morte la veille de cet entretien par faute de soins. « Depuis deux mois nous ne pratiquons plus de chimiothérapie », explique le praticien. Saleh Dali, infirmière-chef, raconte ainsi la mort il y a une semaine de Razak El Sawir, vingt-deux ans, « parce qu’il ne pouvait plus faire de chimio. Si ça continue tous les patients vont mourir ». Au centre des nouveau-nés, plusieurs bébés sont dans les couveuses. Majdia Jouda, la directrice, montre une liste des fournitures manquantes, des antibiotiques aux tubes de connexion d’oxygène et pour la ventilation des bébés, qui s’ajoutent à la pénurie de coton, de drains et au départ de nombreux personnels non payés. « Pourquoi l’Union européenne ne nous aide-t-elle pas ? demande, angoissée, Abdelhadi El Ahr, en pleine séance de dialyse. À cause de cette maladie, je ne peux pas travailler et je n’ai pas d’argent. Sans les aides, je ne pourrai plus me soigner. Pourquoi nous punissez-vous ? Vous parlez toujours de démocratie, c’est ce que nous avons fait. »

À Deir El-Ballah, dans le centre de la bande de Gaza, l’usine de biscuits Alawda tourne au ralenti. « Ces deux derniers mois nous n’avons travaillé en tout et pour tout qu’une dizaine de jours car nous ne pouvons plus exporter en Cisjordanie et nous manquons de matière pour la fabrication », indique Ahmed, en charge de l’administration. Résultat, les 300 salariés se retrouvent au chômage technique et ne sont payés que pour les heures qu’ils font réellement.

Payé huit euros par jour

C’est le cas de Mohammed Al Lowah qui travaille là depuis quinze ans et vient tous les jours pour savoir s’il y a de l’embauche. Marié, père de huit enfants, il gagnait jusqu’à maintenant 30 shekels par jour (environ 8 euros) et se demande tous les jours « comment ramener du pain à la maison ». « Je fais comme tout le monde, explique-t-il simplement. J’emprunte de l’argent à droite à gauche. Je ne peux plus acheter de viande, plus de vêtements pour les enfants, je ne leur donne plus un shekel lorsqu’ils partent (ce qui est une tradition chez les Palestiniens - NDLR), on ne fait même plus de sorties en famille parce que je ne peux même pas leur payer une glace. » Raed, un pompier de vingt-quatre ans, est maintenant obligé de faire des petits boulots pour nourrir sa famille. « J’ai des crédits que je dois rembourser à la banque, environ 10 000 dollars. Abou Rahna, boucher de son état, fait ses comptes : « Je vends moitié moins de viande qu’il y a trois mois. Les gens n’ont plus d’argent. Si ça continue, ce sera le chaos. »

Anwar Abou-Eisheh, professeur de droit à l’université Al-Qods (Jérusalem), qui n’a touché que 20 % de son salaire, ne cache pas son agacement : « On parle de l’aide de la communauté internationale, mais la moitié de celle-ci finit dans les poches des Israéliens. Notre économie est dépendante à 100 %, toute importation passe par Israël avec des conditions israéliennes. 80 % de ce que nous consommons est israélien. » Pour lui, il y a une sorte d’hypocrisie à parler de soutien aux Palestiniens. « Pourquoi l’occupant n’assume-t-il pas ses responsabilités ? C’est pourtant ce que prévoient les conventions internationales. L’Autorité palestinienne est sans autorité, il n’y a pas d’État, pas de liberté, pas de séparation. » Le docteur Issa Janineh, directeur d’un l’hôpital près de Bethléem qui s’inquiète de la pénurie dans son établissement, ne pense pas pouvoir tenir plus de deux semaines. « L’Union européenne a un grand rôle à jouer, la proposition française est bonne. Même si je pense que nous devons faire pression nous aussi sur notre gouvernement pour qu’il accepte les résolutions internationales, notamment la 242 et la 338, ce n’est pas en nous affamant et en laissant mourir nos malades que ce but sera atteint. Au contraire. »

Pierre Barbancey
L’Humanité