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SOUDAN

Qui va sauver les soudanais ?

En marge de l’intervention dite humanitaire

Dimanche 3 septembre 2006, par Pierre BEAUDET

La nouvelle résolution adoptée par le Conseil de sécurité à la suggestion de Washington et de Londres veut sauver les populations du Darfour réprimées par le gouvernement soudanais. On s’en souvient, c’était aussi l’argument invoqué pour envahir l’Irak. Est-ce que l’histoire se répète ?

Depuis plusieurs années, la crise soudanaise a fait des centaines de milliers de victimes et des millions de réfugiés. Les régimes dictatoriaux s’y succèdent depuis l’indépendance concédée par la Grande-Bretagne au début des années 1960. Mais le Soudan est également un pays de révoltes et de résistances. Les Britanniques eux-mêmes y ont goûté à plusieurs reprises avec des insurrections à répétition et des mouvements sociaux et politiques très combatifs. On ignore généralement le fait par exemple que le premier parti communiste du continent africain a été créé justement au Soudan et que pendant longtemps, ce parti a exercé une influence non négligeable au sein du monde ouvrier et paysan. En 1986 d’ailleurs, les mouvements sociaux avec l’appui du PC organisaient une grande Intifada pour renverser le régime dictatorial de l’époque, un général allié aux Etats-Unis, Jafaar Nimeiri. Cette période d’intense activité démocratique fut cependant stoppée en 1989 avec un coup d’état organisé par des militaires et des islamistes, fortement appuyés par l’Arabie saoudite et indirectement par les États-Unis. Le général Omar Hassan al-Bashir qui est toujours au pouvoir orchestra la décapitation du mouvement social et des partis d’opposition. En même temps, il relança la guerre contre le sud où était organisée une puissante guérilla sous l’égide de l’Armée populaire de libération du Soudan (SPLA).

Inavouable alliance

Jusque dans les années 1990, le gouvernement bénéficia de la complicité et de la connivence des principaux pays occidentaux. Il faut dire que c’est de cette époque que date la mise en exploitation de riches gisements de pétrole localisés principalement dans le sud du pays. Bashir mit en place une véritable politique de purification ethnique dans les régions pétrolières, forçant le déplacement forcé de milliers de paysans. Durant les mêmes années, les partis d’opposition mirent en place avec le SPLA une immense coalition, l’Alliance démocratique nationale. Avec des bases populaires importantes dans les villes du nord et une guérilla active au sud et à l’est, cette coalition passa proche de renverser le régime, mais fut finalement déjouée par les manœuvres de Bashir avec l’appui des puissances et des pays de la région, notamment l’Éthiopie. À la fin des années 1990 toutefois, Bashir entra dans des eaux troubles en se faisant voir avec la mouvance islamiste internationale, y compris le réseau Al-Qaida. Le général toujours aussi astucieux se déprit de cette mésaventure en 2001 en se déclarant partisan de la « guerre sans fin » de Bush contre le « terrorisme ». Les services de sécurité soudanais et américains collaborèrent ensemble et le Soudan redevint un allié des Etats-Unis.

Tractations

En 2005, les Etats-Unis firent pression sur le gouvernement et sur le SPLA pour qu’ils parviennent à un accord. Le SPLA laissa tomber l’Alliance démocratique nationale, ce qui affaiblit terriblement l’opposition. Entre-temps, le régime de Bashir fut conforté puisque l’accord dit de Naivasha lui laissait l’essentiel du pouvoir quitte à concéder au SPLA certains postes et également une partie des revenus pétroliers. Une grande partie de l’opposition affirma son scepticisme face à cet accord qui prenait l’allure d’un pactole plutôt qu’un véritable accord de paix. Quelque temps plus tard, le chef du SPLA, John Garang, mourait dans un mystérieux accident d’hélicoptère. Bashir se retrouvait ainsi avec de nouvelles capacités.

La crise se complexifie

Contrairement à une idée répandue, le problème du Soudan n’est pas uniquement un problème nord-sud, ou musulman-chrétien. La majorité de la population du nord, musulmane essentiellement, est contre le régime actuel. Dans des régions périphériques à l’est comme à l’ouest, des pratiques de prédation similaires à ce qui se fait contre le sud sont à l’œuvre, d’où des rébellions fréquentes. La crise du Darfour doit ainsi être comprise comme un révélateur des contradictions complexes qui déchirent le Soudan. Le Darfour est apparu sur la scène médiatique mondiale lorsque des groupes armés ont fait leur apparition vers 2002. Depuis diverses interventions humanitaires y ont été organisées. Devant l’ampleur du désastre et des pressions publiques, l’Union africaine a décidé d’intervenir en y déployant des troupes et en sponsorant un processus de négociation qui a débouché au début de 2006 sur l’accord dit d’Abusha. Mais essentiellement, le scénario s’est répété. Le gouvernement de Bashir a réussi à coopter une partie de l’opposition armée, en promettant de vagues accommodements. Bien sûr, rien n’a été fait et comme le rapportent les agences humanitaires, la situation s’est passablement détériorée. En plus de pratiquer la répression directement, l’armée utilise des milices qui agissent comme des supplétifs sans foi ni loi, dont les redoutables djandjawids. Selon l’ONU, il y a eu plus de 300 000 victimes au Darfour dans le sillon des violences.

Une sollicitude suspecte

Devant l’impasse, de nouvelles pressions, tant au Soudan que dans le monde, ont été exercées pour arrêter le massacre. À Washington, on s’inquiète des possibles « débordements » de la crise soudanaise, d’autant plus que de sérieux foyers de crises prolifèrent dans la région (au Tchad, en Somalie, notamment). Devant tout cela, les États-Unis avec leurs indéfectibles alliés britanniques ont fait adopter une nouvelle résolution au Conseil de sécurité à la fin d’août qui promet de déployer des Casques bleus (sous mandat de l’ONU), en replacement des militaires de l’Union africaine, visiblement dépassés par la situation. Pour le Parti communiste soudanais comme pour d’autres forces politiques, cette sollicitude est suspecte. Tout en soutenant les revendications des populations du Darfour qui veulent la paix et l’autonomie régionale, l’opposition craint qu’une nouvelle intervention dite humanitaire ne vienne encore plus aviver les feux. On voudrait plutôt que la force d’interposition africaine soit renforcée de façon à pouvoir protéger la population, sans s’ingérer dans les affaires internes du pays et sans positionner une présence occidentale qui pourrait avoir davantage à l’œil ses intérêts dans le pétrole que la vie des populations du Darfour. Selon un dirigeant du PC, Fathi M. El Fadl, l’opposition serait venue à bout du régime dictatorial depuis longtemps si les ingérences occidentales, qui ne cessent de souffler le chaud et le froid, avaient pris fin.