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États-Unis

« Obama soutient dans les faits la politique d’Israël »

Entretien avec Noam Chomsky

Mercredi 18 février 2009, par Pierre BEAUDET

Penseur américain de renom, Noam Chomsky analyse la politique des Etats-Unis et celle d’Israël envers le processus de paix après et avant l’agression contre la bande de Gaza.

Al-ahram hebdo : Croyez-vous que le président Barack Obama aura une nouvelle stratégie pour régler le conflit israélo-palestinien ?

Noam Chomsky : Nous savons, de source israélienne, que la récente invasion de la bande de Gaza a été soigneusement planifiée. Il était prévu que celle-ci se termine juste avant l’arrivée de la nouvelle Administration à la Maison Blanche, de façon à causer le maximum de dégâts à Gaza, tout en donnant à Obama la possibilité d’ignorer tout cela, exactement comme il l’a fait. Tout le long des attaques, Obama est resté silencieux, sous prétexte que les Etats-Unis devaient avoir « un seul président ». Mais cela ne l’avait pas empêché de parler de nombreuses autres questions liées à la politique interne ou internationale des Etats-Unis.

Après le début de son mandat, il a fait les commentaires de routine sur les malheureuses victimes tombées des deux côtés. Sa première intervention sur la politique étrangère américaine, faite juste quelques jours plus tard, a été sur le conflit israélo-palestinien, au moment où il a nommé George Mitchell comme médiateur. En ce moment, il a répété que défendre Israël était sa priorité. Il a mentionné aussi à cette occasion son intérêt pour l’initiative de paix de la Ligue arabe. Obama a affirmé que ce plan possédait des éléments très constructifs, surtout ceux qui appellent à la normalisation des relations avec Israël et il a exhorté les Etats arabes de le faire. Il est sans doute un homme très intelligent et choisit soigneusement ses mots. Pour cette raison, nous devons assumer qu’il savait très bien ce qu’il était en train de faire lorsqu’il s’est abstenu de faire référence à l’essentiel du plan arabe, ou le contrepoids à la normalisation, c’est-à-dire un règlement créant deux Etats, basé sur un consensus international. Un consensus que les Etats-Unis et Israël ont bloqué pendant plus de 30 ans.

Obama a, par conséquent, émis un message très clair, qui feint rejeter verbalement l’action d’Israël, mais qui a apporté le soutien réel des Etats-Unis à toutes ses actions criminelles dans les territoires occupés. Et ce, alors que les Israéliens s’emparent de toutes les terres qu’ils souhaitent en Cisjordanie et condamnent les Palestiniens à vivre dans des cantons. C’est la conclusion que l’on puisse tirer des actes d’Obama avant et après son investiture.

— Quelles seront les principales différences de style dans le traitement du conflit israélo-arabe entre l’Administration d’Obama et celle de son prédécesseur ?

— Il y a certainement des différences dans leur style. Si l’Administration Bush a été marquée par une arrogance sans limites et un total mépris de l’opinion internationale, en ne tenant même pas compte de l’avis des ses alliés les plus proches, celle d’Obama utilisera, sans doute, une rhétorique plus agréable à entendre et plus plaisante. Mais l’évidence à laquelle nous sommes confrontés en ce moment tend à soutenir les prévisions de Condoleezza Rice quand elle a dit que le style qui sera adopté par Obama pour traiter du conflit israélo-arabe ressemblera beaucoup à celui du deuxième mandat de George W. Bush.

— Pensez-vous qu’il serait possible de poursuivre les responsables israéliens pour crimes de guerre contre les Palestiniens lors de l’offensive de Gaza ? Les Etats-Unis risquent-ils d’apposer leur veto au cas où l’affaire serait portée devant le Conseil de sécurité ?

— Si une telle demande parvient au Conseil de sécurité, les Etats-Unis lui imposeront certainement leur veto. Mais il serait très difficile qu’une telle possibilité vienne à voir le jour. Si cela a lieu, alors les Etats-Unis devraient être, eux aussi, poursuivis. Car l’invasion de Gaza a été une opération israélo-américaine. A part le soutien diplomatique de Washington, les armes étaient pour leur majorité américaines, et ont été utilisées en violation des lois américaines et aussi, bien entendu, du droit international. Mais les Etats-Unis ont toujours pris leurs distances par rapport à toute juridiction internationale, que ce soit la Cour pénale internationale ou la Cour internationale de justice. La loi implacable de l’Histoire dit que les puissants cherchent toujours à punir les crimes des autres, tout en restant eux-mêmes intouchables.

— Que pensez-vous de l’impact qu’aura la guerre à Gaza sur la scène politique en Israël ?

— La réponse est claire et a été donnée par les résultats des élections israéliennes où l’on voit que la guerre a poussé les Israéliens encore plus vers la droite ultranationaliste et raciste.

— Pensez-vous que les Palestiniens, divisés entre le Fatah et le Hamas, pourraient surmonter leurs dissensions pour parvenir à un minimum de dénominateur commun ?

— Il y a eu plusieurs initiatives essayant d’aller vers une unité nationale entreprises par les Palestiniens depuis le mois de juin 2007. Il est fort possible que la violation israélienne du cessez-le-feu du 4 novembre 2008 était un effort pour empêcher des réunions qui auraient conduit à un gouvernement d’union nationale. Par ailleurs, les Etats-Unis ont immédiatement réagi aux élections de janvier 2006 en punissant les Palestiniens d’avoir « mal voté » dans des élections libres. Je pense que les Etats-Unis réagiraient à un gouvernement palestinien d’union nationale de cette même manière.

— Mais Obama a annoncé qu’il avait l’intention de dialoguer avec l’Iran et la Syrie. Ne pourrait-il pas encore le faire aussi avec le Hamas ?

— Avec la Syrie, il va peut-être dialoguer. Mais son intention d’entretenir un dialogue avec l’Iran relève plutôt de la rhétorique vide. La position de l’Administration Obama a été révélée par le vice-président, Joe Biden, lors d’un discours prononcé dans une conférence internationale sur la sécurité, le 7 février à Munich, en Allemagne. Selon ses propres mots, l’Iran doit « abandonner son programme nucléaire illicite et le soutien accordé au terrorisme ». Par ces propos, Biden se référait au programme d’enrichissement d’uranium iranien qui est licite et qui respecte les normes du traité de non-prolifération nucléaire. Et bien que cela soit rarement dit aux Etats-Unis, la position de l’Iran quant à l’enrichissement de l’uranium est soutenue par la majorité des Etats du monde (comme les non-alignés) et par la plupart des Américains eux-mêmes.

Lorsque Biden parle de « soutien au terrorisme », il se réfère au Hezbollah et au Hamas. Il est vrai qu’ils peuvent être attaqués d’avoir perpétré des actes terroristes, mais cela ne pourra pas être l’affaire des Etats-Unis, car ce pays accorde un important soutien et commet lui-même aussi des actes terroristes beaucoup plus extrêmes. Ce qui doit préoccuper les Etats-Unis, ce sont leurs actes criminels tout comme ceux de ses alliés. Mais bien loin de cela, l’agenda américain pour des négociations renferme le programme nucléaire iranien et le support accordé par ce pays au Hezbollah et au Hamas.

— Croyez-vous que Barack Obama agira en faveur de la démocratie et des libertés fondamentales dans le monde arabe ?

— Rien n’indique que cela va avoir lieu. Il semble qu’Obama restera dans la même ligne traditionnelle adoptée jusqu’à présent par les Etats-Unis d’appui accordé à des régimes totalitaires et qui s’opposent à la démocratie et ce, sauf si des élections formelles aboutissent au résultat souhaité par l’Administration. Les élections palestiniennes donnent une illustration dramatique de cela.

Propos recueillis par Randa Achmawi, publié par al Ahram hebdo en français

http://hebdo.ahram.org.eg/arab/ahram/2009/2/18/invi0.htm