|  

Facebook
Twitter
Syndiquer tout le site

Accueil > français > Archives du site > L’arc des crises > Ne laissons pas les brêches de la coexistence se refermer

ISRAEL - PALESTINE

Ne laissons pas les brêches de la coexistence se refermer

Entretien avec Michael Warschawski

Jeudi 15 janvier 2009

Vous êtes l’une de ces rares voix israéliennes qui s’élèvent pour dénoncer la folie de cette guerre. Et l’un de ceux qu’on lit et entend le plus, du moins ici en France. Ces courageuses et salutaires prises de position vous exposent-elles à des rétorsions ? Israël fait-il aussi la guerre (pas de la même façon, bien entendu) à ceux des siens qui se refusent à bêler avec la masse ?

Non. Les citoyens Juifs d’Israel jouissent d’une liberté d’expression et de manifestation réelle, et ne subissent pas de répression policières pour leurs opinions, aussi radicales soient-elles. Cela n’a pas toujours été le cas comme l’a montré l’affaire du Centre d’Information Alternative en 1987 et mon incarcération en 1990. En temps de crise, ces libertés publiques n’existent plus pour les citoyens arabes d’Israël : la répression policière contre les manifestations arabes, ces deux dernières semaines a été particulièrement sévère, alors que les Juifs ont, en règle générale pu manifester librement.

Israël a la puissance militaire, mais semble par contre avoir perdu la guerre de l’image. C’est votre sentiment ?

Tout a fait. Avec les nouveaux moyens de communication, la censure ne peut plus empecher de montrer les horreurs provoquees par Israel, et des lors qu’on peut les voir, la propagande israelienne n’a plus d’effet sauf aupres de ceux qui sont de toute facon biaises en faveur d’Israel

La désapprobation quasi mondiale qui ne cesse de monter autour des bombardements israéliens peut-elle avoir une quelconque influence sur la poursuite de ces derniers ?

Israël reste extrêmement sensible à et dépendante de l’opinion publique internationale et de l’impact qu’elle a sur la communauté internationale. Les grandes manifestations de solidarité avec le peuple palestinien dans le monde entier ont fait bouger les politiques et, même si les amis d’Israël, en particulier Sarkozy-Kouchner ont permis à Israel de gagner du temps, les Etats, l’Europe et les Nations Unis font maintenant peser des pressions qui vont obliger Israel a signer un cessez-le-feu.

Etes-vous déçu par l’impuissance européenne et par celle de l’ONU ?

Il ne s’agit pas d’impuissance, mais de manque de volonté politique, voire, dans une large mesure pour certains Etats, de collusion avec Israël, comme l’Egypte et la France.

Que vous inspire les positions des pseudo-intellectuels français, ces Bernard-Henri Levy ou André Gluscksmann qui se poussent du coude pour soutenir les frappes ?

Des personnages comme Glucksman et BHL ne m’ont jamais inspiré. Elles reflètent un phénomène très français : les producteurs médiatisés. Je dis producteurs et non « intellectuels » car s’ils produisent abondamment de mots, ils n’ont pas créé une seule idée nouvelle ou originale, tout au plus copie avec 10 de retards les idéologues néo-conservateurs américains. De plus un intellectuel digne de ce nom - et il fut un temps ou il y en avait de grands en France - est toujours un dissident et un combattant, pas un idéologue de l’ordre en place. Médiatisés, car ce n’est pas dans le monde intellectuel ou universitaire qu’ils brillent mais dans les paillettes des talk-shows. Qui a entendu parler de BHL dans une université américaine ou asiatique ? Ces chiens de garde de l’ordre n’ont jamais créé une seule idée intérressante et originale.

Face au carnage actuel, il ne font qu’aboyer avec les loups et chanter les partitions des fanfares militaires, avec même moins de talents que les Oz et Yehoshua qui, chez nous, sont leurs modèles.

Comment réagit la société israélienne ? Y a t-il un mouvement pour dénoncer les frappes, une prise de conscience de l’horreur de la situation ?

Il y a un soutien populaire large a la politique gouvernementale (85% de la population juive d’Israël). Le mouvement d’opposition à la politique de guerre du gouvernement est très minoritaire, mais son action et sa voix sont visibles, en particulier à travers les médias.

Comme Eric Hazan, vous défendiez l’idée d’un Etat unique où coexisteraient pacifiquement Israéliens et Palestiniens. Y croyez-vous encore, après ce déluge de feu ?

L’Etat democratique ou bi-national n’est pas une solution politique à court terme, mais d’abord et avant tout une vision de ce de quoi l’avenir devrait être fait, basé sur une égalité complète au niveau individuel (citoyenneté) et au niveau des collectifs identitaires qui font la réalité sociale de la Palestine, prise comme entité géographique. A priori, il ne s’opposait pas à une solution politique dans le temps court qui serait fondée sur une partition entre deux Etats. Ceci dit, si le compromis fait de deux Etats coexistant l’un à côté de l’autre ne se réalise pas dans le temps court (une demie douzaine d’années), cette option perdrait toute possibilité concrète de se réaliser, et la seule option réaliste serait un seul Etat. Mais cela signifierait l’échec d’une solution dans le temps court, et la perspective d’une solution dans deux générations ou plus encore. La vraie question est donc sur le temps : solution à relativement court terme ou poursuite du conflit pour encore longtemps.

Comment ne pas baisser les bras quand on s’est battu pendant 40 ans pour des idées sans cesse battues en brèche, et aujourd’hui littéralement pulvérisées ? Qu’est-ce qui vous donne la force de vous battre encore pour la paix et l’honneur ?

Mes petits enfants. Si nous laissons les brêches de la coexistence se refermer, ils n’ont aucun avenir dans cette région du monde. Ils seront à leur tour des réfugiés, une option que je me sens devoir impérativement tout faire pour qu’elle n’ait pas lieu.

Comment croire qu’un Etat qui déshumanise ainsi un peuple qu’il s’est décidé à décrire puisse encore avoir un avenir ?

Comme je viens de le dire, il n’y aura pas d’avenir pour la communauté juive-israélienne si elle ne rompt pas avec le colonialisme, et comme mentalité et comme projet politique

Dans Politis le 8 janvier, Bernard Langlois replaçait ces bombardements israéliens dans la logique de l’après 11 septembre et de la doctrine néo-conservatrice, écrivant notamment : "Les zélotes d’Israël, là-bas ou ici, ne cessent de nous le rappeler : la vaillante armée de l’État hébreu ne se bat pas seulement pour sauver la patrie en danger, elle est aussi la première ligne de défense de l’Occident et de ses valeurs contre le terrorisme et la barbarie." Est-ce selon vous la meilleure grille d’analyse pour expliquer la conduite d’Israël ?

Je suis entièrement d’accord avec analyse de Bernard Langlois : le cadre de la guerre israélienne est celui de la guerre globale contre les barbares (assimilé aujourd ’hui à la civilisation musulmane) et son idéologie celle du choc des civilisations.

Puisque le Hamas n’est qu’un prétexte aux bombardements, quel est l’objectif réel de l’intervention ? Rayer la Bande de Gaza de la carte ? Dit autrement : quelles issues et échéances voyez-vous à cette attaque ?

On a beau chercher dans les déclarations des dirigeants israéliens, on n’entend pas de réponse à la question : quel est l’objectif de la guerre ? En fait il s’agit d’un mélange, un mélange fait de guerre punitive (vous avez choisi le Hamas, vous allez le payer), de volontéd’affaiblir au maximum le Hamas, tout en sachant que le succès sera limité), de tenter d’imposer le contrôle d’Abbas sur la Bande de Gaza (ce qui serait la fin définitive de ce qui lui reste de légitimité populaire) et du plus profond de l’inconscient, de punir l’ensemble des Palestiniens du seul fait qu’ils continuent à exister.

En 2005, vous avez expliqué "aimer Israël comme on aime l’enfant d’un viol". En est-il toujours de même ?

…Comme on aime son fils ou son frère qui est a la fois l’enfant d’un viol et un voyou brutal et extrêmement dangereux pour l’environnement et pour lui-même. Vient un moment où il faut l’arrêter, le traduire devant les tribunaux et le punir.