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PALESTINE

Mohamed Dahlan ou la tête du serpent

Un témon raconte

Lundi 29 janvier 2007

Les combats interpalestiniens font rage à Gaza. Fatah contre Hamas, dit-on. Selon Ahmed, un dirigeant palestinien qui tient à garder l’anonymat, c’est plutôt la lutte pour le pouvoir menée par Mohamed Dahlan, le chef de Fatah à Gaza, qui est la principale cause de la tragérie. L’entrevue a été réalisée par Sivia Cattori de l’Association France Palestine.

Silvia Cattori : Les enlèvements, les meurtres, se succèdent. Quand ce
ne sont pas les forces armées israéliennes qui vous massacrent, ce sont
les affrontements sanglants entre Palestiniens qui vous menacent.
Comment vivez-vous cette situation à Gaza ?

Ahmed : La situation est très tendue. Les accrochages reprennent chaque
jour dès la tombée de la nuit. 24 morts déjà en trois jours.
L’inquiétude monte. Nous regardons ce qui se passe avec amertume. Les
deux parties ne semblent plus vouloir arrêter cette guerre fratricide.
On ne dort plus, on reste collé à la radio. Le matin on est épuisés.
C’est comme si on était assis sur un volcan. On ne sait pas ce qui va
encore arriver dans l’heure qui suit. C’est vraiment douloureux. Et il
fait très froid ici où les gens sont pauvrement habillés.

Silvia Cattori : Savez-vous qui est le véritable instigateur de ces
violences ?

Ahmed : Les gens qui sont derrière cette guerre inter-palestinienne sont
connus. Ils sont tous liés au Fatah, manipulés par le Fatah. Ils sont
financés par les Etats-Unis. Ils sont armés par les Israéliens. Nous
savons parfaitement qui a organisé ce plan de guerre. Le Hamas, qui
cherche depuis plus d’une année à désamorcer ces tensions, a multiplié
les appels à l’union. L’idée d’une guerre civile épouvante tout le monde
ici. Mais il y aura un moment où il ne sera plus possible de l’empêcher.
C’est ce qui est en train de se passer. Le premier ministre Hanyié dit
qu’il s’agit d’un petit groupe de gens dont l’objectif est de fomenter
une guerre civile. Il y a des indices qui ne trompent pas. L’autre jour,
par exemple, il a été prouvé que la bombe qui a explosé au passage de la
jeep qui transportait une patrouille du gouvernement du Hamas -et qui a
causé la mort de l’un deux, gravement blessés quatre autres ainsi que
des passants- était reliée à un fil électrique qui menait à la maison
d’un membre du Fatah. Si l’homme qui se trouvait là a permis que le fil
passe par sa maison c’est qu’il devait être complice.

Silvia Cattori : Pourquoi le Hamas n’est-il pas arrivé à unifier toutes
les forces ?

Ahmed : Je crois que le gouvernement du Hamas a fait ce qu’il a pu pour
obtenir l’union et contenir, jusqu’ici, cette guerre interne. Mais il
est sans pouvoir effectif. Abu Mazen tient l’argent et les forces de
sécurité. Il a essayé de mettre le Hamas hors jeu et de casser le peuple
en deux, en annonçant vouloir organiser un référendum, puis des
élections anticipées. A chaque fois il a dû battre en retraite car les
gens ont rejeté ses tentatives de délégitimer le Hamas. Chaque fois
qu’Hanyié a annoncé qu’un gouvernement d’union nationale était en train
d’aboutir, Abou Mazen l’a saboté. Abou Mazen ne veut pas l’union. Il
veut faire échouer ce gouvernement. Son parti, le Fatah, n’est pas
intéressé par l’union ; il attend le moment propice pour reprendre le
pouvoir sans rien partager.

Les Palestiniens sont affamés, sans argent, en manque de tout, brisés.
Or les Israéliens continuent d’envoyer des armes à Abou Mazen pour
combattre le Hamas. Ces armes sont utilisées par la sécurité préventive
contrôlée par Mohammed Dahlan et servent à fomenter des tensions
inter-palestiniennes dans cette lutte pour le pouvoir. Lui aspire à
revenir au pouvoir sans partage et à occuper le poste de président.
Depuis qu’Abou Mazen a placé Mohammed Dahlan à la tête de l’appareil de
sécurité, celui-ci se trouve dans une position de pouvoir absolu. Il
peut décider d’arrêter les patriotes, de désarmer et arrêter les
résistants, de les torturer. Il fait espionner les Palestiniens, pour
aider l’armée israélienne à arrêter, assassiner des militants. Il
travaille en étroite collaboration avec Israël et la CIA. Les Etats-Unis
et Israël se servent de Dahlan pour affaiblir le Hamas. Voilà pourquoi
Abou Mazen ne veut pas d’un gouvernement d’union. Il a tout fait pour
que cette union ne soit pas possible.

Silvia Cattori : Abou Mazen ne serait-il qu’une marionnette entre les
mains d’Israël et des Etats-Unis ?

Ahmed : Abou Mazen, et son parti, le Fatah, se conduisent comme s’ils
étaient dans le camp d’Israël. Quand on les entend exiger l’acceptation
par le Hamas des conditions dictées par Condoleezza Rice et Olmert on se
sent très amers ! Il veut contraindre le gouvernement du Hamas à
collaborer avec l’occupant. Par chaque déclaration il érige des
obstacles pour empêcher toute entente avec le Hamas. « Il faut que le
Hamas accepte les conditions de la Feuille de route et reconnaisse
l’Etat israélien s’il veut former un gouvernement d’union nationale »,
dit-il. Comment Abou Mazen peut-il reconnaître l’occupant alors
qu’Israël n’a jamais reconnu le droit des Palestiniens à exister sur
leur terre ni respecté les conditions du Quartet ?

Silvia Cattori : Le dernier passage de Condoleezza Rice ne vous a donc
rien apporté ?

Ahmed : Le passage de Condoleezza Rice nous a jeté dans plus de douleur.
Elle a réaffirmé que les Etats-Unis refusaient de traiter avec un
gouvernement dirigé par le Hamas. Abou Mazen a répété le même discours.

Silvia Cattori : En décembre 2006, une grande manifestation a été
organisée par le Fatah. N’a-t-elle pas montré que ce parti pouvait
compter, à Gaza, sur de nombreux soutiens ?

Ahmed : La plupart des participants à la manifestation dont vous parlez
étaient des policiers habillés en civil, des hommes amenés là par car,
payés par l’appareil de la sécurité du Fatah.

Silvia Cattori : Elias Sanbar laissait entendre, lui, que le soutien
populaire au Hamas serait lié au fait qu’il n’aurait « jamais arrêté de
payer des salaires. Qu’il y a eu des ralliements de gens hors obédience
idéologique qui savaient qu’en se ralliant au Hamas ils pouvaient donner
à manger à leurs enfants ». (1)

Ahmed : Cela est ridicule. Ce que nous voyons ici est que ce sont les
gens du Fatah qui achètent les gens, distribuent de l’argent et des
salaires pour s’assurer leur soutien. Sans quoi, discrédités comme ils
le sont, ils n’auraient plus personne pour les soutenir. Le parti auquel
Sanbar reste attaché collabore avec ceux qui, au-dehors, contribuent à
nous affamer. D’après ce que nous voyons ici, le Hamas aide sans aucune
distinction les familles qui sont dans la misère pour les sauver de la
mort.

Silvia Cattori : Quand Elias Sanbar affirme que le Hamas a fait « entrer
des intrus, des puissances étatiques externes à la Palestine » dans le
mouvement national, et qu’aujourd’hui la « décision nationale n’est plus
entre les mains des autorités Palestiniennes », que « le premier
ministre (Hanyie) a littéralement prêté allégeance à Téhéran », y a-t-il
du vrai ?

Ahmed : Ici, nous avons faim. Les autorités du Hamas sont allées partout
chercher de l’argent. Le gouvernement du Hamas n’a trouvé personne prêt
à défier le blocus d’Israël. Ni les Arabes ni les Européens n’ont
répondu à leurs appels à l’aide désespérés. L’Iran a offert 30 millions
de dollars pour nourrir notre peuple affamé. Cet argent n’est jamais
arrivé à Gaza. Il a été confisqué sur ordre d’Israël à la frontière de
Rafah par les policiers de Dahlan.

Silvia Cattori : Le ministre israélien, Zaëvi Bouim vient de déclarer
que l’armée israélienne envisage d’envahir la bande de Gaza pour aider
le Fatah à combattre le Hamas. Vous êtes victimes d’enjeux de pouvoir
et du fait que ceux qui sont censés vous protéger de l’oppresseur
israélien et vous aider à recouvrer vos droits, vont à contresens.

Ahmed : On est désespérés. La peur et la tristesse gagnent tous les
foyers. Pas de sécurité dans la rue ni dans notre maison. La tête du
serpent rôde, elle est entre nos murs. (2) Tant que la tête du serpent
reste vivante, jamais nous ne connaîtrons de situation stable ici.

* Ahmed, 34 ans, souhaite garder l’anonymat. Il se définit comme un
Palestinien qui n’est affilié à aucun mouvement.

(1) Elias Sanbar à radio France culture le 19 décembre 2006.
Représentant palestinien auprès de l’Unesco depuis 20 ans, il est membre
du Conseil National Palestinien depuis 1988.

(2) La tête du serpent est Mohammed Dahlan. Il est né en 1961 dans une
famille pauvre du camp de refugiés de Khan Younes. Il est membre du
parti Fatah et du Conseil législatif et a été nommé chef de la sécurité
par Abou Mazen. Dès janvier 2007 Dahlan a affiché une position de
confrontation violente à l’égard du Hamas.