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IRAK

Main basse sur le pétrole

Dimanche 27 janvier 2008

Plus de quatre ans après l’invasion de ce pays par les troupes américaines, les États-Unis peinent à imposer une nouvelle loi pétrolière qui ferait la part belle à leurs majors. Abdel Amir Al-Anbari, grand spécialiste des questions pétrolières internationales et ancien ambassadeur irakien, explique pourquoi cette loi suscite tant de réserves. Paru dans Afrique-Asie, décembre 2007

En mars 2007, le gouvernement irakien adoptait à l’unanimité le projet d’une nouvelle législation pétrolière. À l’époque, les autorités pensaient que le Parlement, le Conseil des représentants,pourrait approuver la loi avant le 31 mai. Nous sommes à la mi-octobre et cette approbation n’est toujours pas intervenue. Quelle est votre analyse sur les problèmes auxquels se heurte le gouvernement dans ce domaine ?

L’élément fondamental est que l’Irak est un pays occupé depuis 2003. Outre les questions de sécurité, cela suscite des doutes importants sur la légitimité des autorités à engager, dans le long terme, le pays sur un sujet aussi crucial pour l’Irak que la nouvelle législation pétrolière.

Projet de loi contesté

Il est naturel que de nombreux Irakiens se posent beaucoup de questions sur un texte aussi capital. De plus, ce qui me frappe, c’est que les dispositions de la future loi sur les contrats de partage de production sont très éloignées des normes contractuelles qui prévalent aujourd’hui dans la région du Golfe. Un autre problème fondamental porte sur les relations entre l’État central, les provinces et les compagnies pétrolières, même s’il est dit que les accords pétroliers conclus entre une province et une compagnie ou un consortium seront soumis à une validation de la part des autorités centrales. En Irak comme ailleurs, les grandes décisions en matière d’exploration, de production, de fixation des prix ou d’exportation doivent être prises par le gouvernement central et non par les provinces et par les compagnies privées. Les ressources pétrolières doivent être gérées de façon optimale, ce qui suppose évidemment qu’il y ait une seule politique pétrolière nationale, et non plusieurs. Ajoutons que ce problème ne découle pas seulement du projet de loi mais de la Constitution actuelle de l’Irak.

De nombreuses personnes, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’Irak, ont envoyé des lettres et des pétitions au Parlement pour lui demander d’amender significativement le projet de loi soumis par le gouvernement. Parmi elles, on trouve des intellectuels, des économistes, des responsables politiques ou d’anciens responsables. Cette forte opposition est la raison pour laquelle la loi n’a pas encore été adoptée, malgré les pressions des États- Unis en ce sens.

Distribution inégale

Cette situation a une conséquence importante : même si la loi pétrolière était adoptée en l’état, sa durée de vie effective ne serait pas très longue. Il est probable qu’un nouveau régime l’amenderait, voire l’annulerait entièrement. Quand on voit d’ailleurs les différends entre le ministère irakien du Pétrole et le gouvernement régional du Kurdistan, on se rend compte que l’architecture actuelle est très fragile.

Le projet de loi prévoit un partage des revenus pétroliers entre les principales communautés du pays. Les partisans de ce texte pourraient vous répondre que peu importe que le pétrole soit produit au nord, au sud ou au centre de l’Irak, puisque les recettes qui découleront de cette exploitation profiteront à l’ensemble de la population...

En théorie, c’est juste. Mais nous devons regarder les réalités. Le projet de loi prévoit que les provinces géreront elles-mêmes les nouvelles découvertes.

Intérêt national

Il est clair que, pour elles, il sera très tentant de considérer ce pétrole comme le leur et de vouloir conserver une plus grande partie, voire la totalité, des revenus liés à ces nouvelles exploitations pour satisfaire leurs besoins propres. La seule solution réaliste et juste est le contrôle des revenus par le gouvernement central, afin que ces revenus soient gérés dans l’intérêt de toute la population irakienne sans considération religieuse ou communautaire. Mais, là encore, le problème fondamental vient de la Constitution. Le projet de loi met en effet en oeuvre certaines de ses dispositions.

Vous soulignez que, derrière ce projet de loi, il y a la Constitution. Certes, beaucoup d’Irakiens la critiquent, mais nombreux sont ceux qui la soutiennent et ne sont pas prêts à accepter sa révision. Quelles sont les possibilités de changement ?

Des partis, des groupes et des personnalités très influents demandent que la Constitution soit amendée. Je pense que certains arrangements seront trouvés mais sans doute pas dans le court terme. Il s’agit d’une question de moyen ou de long terme.

Le débat fait rage autour de la notion de fédéralisme avec les conséquences qui en découlent, notamment sur le plan pétrolier. Mais, après le régime de Saddam Hussein, n’est-il pas évident que les Kurdes et les chiites se prononcent fermement en faveur d’un État fédéral plutôt que pour un régime centralisé ?

Le concept de système fédéral peut avoir des significations très différentes pour diverses personnes. Mais il faut insister sur un point clé : en Irak, les sunnites ne sont pas différents des chiites.

Combines américaines

Les Irakiens, dans leur écrasante majorité, se définissent d’abord comme arabes et considèrent que le fait d’être sunnite ou chiite est une question privée. Nous constituons un pays arabe et unifié qui est l’un des membres fondateurs de la Ligue des États arabes et qui, comme le soulignait le grand historien britannique Arnold Toynbee, est l’un des berceaux de la civilisation mondiale.

Depuis 2003, certains analystes et intellectuels estiment que l’un des objectifs des États-Unis en Irak est le contrôle des réserves pétrolières colossales de ce pays. Mythe ou réalité ?

Réalité, sans aucun doute. Mais il faut bien comprendre que l’objectif n’est pas le contrôle physique en soi du pétrole. Pour les autorités américaines, ce qui est important, c’est aussi et surtout de contrôler la commercialisation du pétrole et de pouvoir, à travers l’Irak, influencer les politiques de l’Opep, ainsi que celles d’autres pays considérés comme présentant des risques pour la puissance et les intérêts américains.

Pouvez-vous préciser ?

Une capacité d’influence sur la fixation des prix du pétrole peut par exemple permettre de peser sur la situation économique d’États tels que la Chine et l’Inde, qui importent la plus grande partie de leurs approvisionnements pétroliers.

Mais les États-Unis sont le premier importateur mondial de pétrole, loin devant la Chine. Une hausse des prix du pétrole ou une tension sur les approvisionnements aurait sur eux-mêmes un impact négatif.

Oui, mais du fait de leur influence politique et économique et de leurs compagnies pétrolières, l’accès des États-Unis au pétrole est sans égal, que ce soit dans la région du Golfe ou en Amérique latine, en Afrique du Nord ou en Europe.

Plusieurs compagnies pétrolières ont signé des contrats avec le gouvernement régional du Kurdistan, d’autres sont sur le point de le faire et les majors regardent de très près les gisements géants du sud de l’Irak. Auriez-vous des conseils à donner aux compagnies qui éprouvent un grand intérêt pour ce pays et qui, sous certaines conditions de sécurité, pourraient envisager d’y investir dans les mois ou les années qui viennent ?

Pour moi, le point le plus important est la question des termes des accords pétroliers que des sociétés étrangères pourraient signer en Irak. Du fait de son potentiel considérable, ce pays présente un risque d’exploration très faible et les coûts de découverte et de production sont très bas. Si une compagnie conclut un contrat qui lui assure un taux de rentabilité de l’ordre de 15 % sur son investissement, cela me semble raisonnable.

Négocier serré

Si cette même compagnie obtenait un taux de profit de 20 %, 25 % ou 30 %, ce serait le signe qu’il y a quelque chose qui ne va pas. Or, ce qui est actuellement envisagé pour les futurs contrats de partage de production pourrait déboucher sur un taux de rentabilité de 20 % ou plus. Je pense que, pour l’Irak, ce serait trop élevé, pour les raisons que je viens de rappeler.

Vous disiez que, même si le projet de loi présenté par le gouvernement était adopté par le Parlement, la loi qui en résulterait serait susceptible d’être significativement modifiée du fait des critiques et oppositions suscitées par certaines dispositions clés. Ce point de vue ne vous conduit-il pas à conseiller à des firmes étrangères d’attendre une clarification ultérieure de la situation ?

Si la loi était adoptée, je pourrais dire aux compagnies : OK, allez de l’avant mais soyez attentives aux conditions contractuelles. Si vous obtenez aujourd’hui des conditions qui sont très avantageuses pour vous, vous prenez le risque de subir des pressions très fortes plus tard pour que le contrat soit amendé, comme nous avons pu le voir dans plusieurs pays producteurs dans la période récente. Savoir être raisonnable constitue la meilleure garantie de la durabilité d’un accord pétrolier.