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PALESTINE

Les citoyens arabes de l’intérieur et le système de la tutelle

Lundi 23 avril 2007, par Azmi Bishara

Il semble difficile d’expliquer la virulence de la campagne récente contre les citoyens arabes de l’intérieur et plus spécifiquement contre leur courant national, en formentant un dossier d’accusations sécuritaires contre un député arabe au parlement. Il est évident que l’institution sioniste, de gauche ou de droite, règle un compte lointain avec des idées qui ont été proposées et qui ont abouti récemment à l’éclosion de mille et une fleurs et qui ont constitué la proposition d’un projet véritable pour les masses arabes. Aucun projet ne peut être appelé projet global pour les masses arabes sans qu’il ait, pour caractéristiques, d’abord que l’Etat, pour être démocratique et réaliser l’égalité, doit être un Etat pour tous ses citoyens, cela signifie l’égalité et la démocratie. Si nous proposons cela de façon continue et juste, il n’est pas question qu’il y ait intégration au sionisme ou en marge du sionisme, mais en opposition au sionisme.

Ensuite, dans ce pays vivent deux nationalités, l’une d’elle est celle des autochtones, les Arabes qui sont restés font partie de la nationalité autochtone. S’ajoute à cela la nécessité de résoudre équitablement la question palestinienne et ils savent, de plus, que ce projet n’est plus celui d’un parti, mais il est devenu la demande de la jeunesse arabe qui refuse d’abandonner son arabité et qui réclame la totale égalité. Tout jeune arabe refuse le système de la tutelle impérialiste.

Le citoyen arabe se retrouve face à des dizaines de formes de tutelle que nous ne citerons pas toutes, mais trois seulement :


1 - la tutelle sur les droits
 : le droit des Arabes dans ce pays est considéré comme un don ou une grâce de l’Etat juif, qu’il faut louer et remercier, à cause de la différence de niveau de vie et des droits politiques qui prévalent parmi les citoyens arabes à l’intérieur de la ligne verte, en comparaison à ceux de la bande de Gaza, par exemple, et il leur faudrait exprimer leurs remerciements d’avoir la garantie de la liberté de parole et d’opinion, en comparaison avec les Etats arabes, et parce qu’ils jouiraient de la démocratie "israélienne" alors qu’elle est absente dans le monde arabe.

En réalité, cette tutelle a ébloui certains à l’intérieur qui ont intégré l’idée d’affirmer leur "israélité", qui n’existe d’ailleurs que dans leur imagination. Quant au spectateur arabe, il lui est demandé d’intégrer la défaite, en regardant un arabe de l’intérieur s’exprimer librement à la télévision. Il devra aussi l’envier pour cette grâce, et lorsqu’il voit un président israélien se faire juger, il devra nous envier pour cette grâce. En fait, ils ont pris le pays tout entier mais ont donné aux gens la liberté de parole.

Il est clair qu’une telle attitude implique un effacement de l’histoire, dans le sens où on devrait se comporter avec Israël en tant qu’Etat qui a toujours été ici, et vers lequel une minorité arabe a émigré, à la recherche d’une vie meilleure. Ce qui exige que cette minorité doit être favorable à Israël, sa nouvelle patrie vers laquelle elle a émigré, en comparaison avec la vie dans les pays d’origine. Cette vision supprime évidemment la conscience historique que cette démocratie est bâtie sur la destruction d’un peuple, et qu’elle se reproduit à l’intérieur d’un groupe et d’une identité coloniale, et que les Arabes sont tolérés dans ces cadres seulement.

Lorsque ces cadres sont défiés, toute la démocratie "israélienne" chute, soit en tirant des coups de feu sur les manifestants arabes, soit en ôtant l’immunité à un député arabe ou en le traduisant devant les tribunaux, et récemment, en orchestrant une campagne médiatique, d’un seul coup, à la manière des battements de tambour d’une tribu voulant aller à la guerre.

Pourquoi défions-nous ces cadres et essayons-nous constamment de les élargir ? Même si nous ne sommes pas convaincus du niveau de vie "israélien" dans ces cadres, et en tant que citoyens de second degré, c’est en tout cas plus que notre pain quotidien. En réalité, c’est parce qu’en même temps, les villages et les villes arabes sont en train de se transformer en ghettos, en quartiers pauvres, le système des assurance sociales "israéliennes" protège les pauvres de la faim, mais maintient et renforce leur pauvreté, et d’autre part, contrairement aux horizons du développement arabe, les horizons sont entièrement bouchés en Israël pour les intellectuels arabes, pour les classes moyennes et bourgeoises arabes. Il n’y a pas de possibilité d’évolution dans les cadres posés par Israël. C’est pourquoi il faut élargir ces cadres en permanence. Et même sans mémoire historique, ce que disent certains modérés arabes n’est pas vrai, quand ils nous blâment de ne pas nous cantonner dans le rôle de forces d’appoint du camp de la "paix" en Israël, et que nous devrions remercier pour la situation qui nous est faite. Ils justifient leur reconnaissance non seulement d’Israël, mais de son caractère sioniste, et justifient ainsi leurs concessions relatives au droit au retour afin qu’il conserve ce caractère. De leur point de vue, le rôle des Arabes de l’intérieur devrait soutenir cet effort. C’est pourquoi certains pensent que "le bon arabe" aux yeux de l’institution sioniste c’est celui qui est effectivement bon, qui ne leur cause aucun souci.

2 La tutelle sur la relation des Arabes avec leur identité arabe : Israël ne se contente pas de trouver des collaborateurs ou des gens ayant des intérêts rattachés à lui et à sa politique, mais essaie d’imposer des frontières entre le citoyen arabe ordinaire et le reste des Arabes, de sorte qu’il ne doive pas se solidariser avec ses ennemis, comme si ses ennemis (à Israël) devraient être ses ennemis à lui aussi. Dans la période, l’ennemi c’est le peuple palestinien, c’est le Liban, c’est la Syrie ou le royaume d’Arabie Saoudite. La conscience historique refuse qu’Israël impose que la région arabe soit l’ennemie des Arabes de l’intérieur, mais même sans la conscience historique, la question est posée : comment peut-on soutenir l’agresseur et ne pas soutenir la victime de l’agression ? Bien évidemment, Israël préfère que ses citoyens arabes forment un pont de la paix avec les Arabes, mais il faut que la tête de pont soit Israël et non les Arabes. Dans cette situation, la relation avec les Arabes sera bénie car elle sera utilisée comme un outil de normalisation au service d’Israël. Quant à la relation naturelle de vouloir établir des ponts avec les sociétés et les Etats arabes pour maintenir l’identité nationale et nationaliste, elle est refusée et une campagne est menée contre elle car elle brise le cercle de la tutelle.

Israël a mené une campagne contre toute tentative arabe locale sérieuse pour établir des liens avec les Arabes hors du système de la tutelle. Ce fut toujours des collaborateurs et des agents au service d’Israël, politiciens ou non, à la tête des campagnes d’incitation de ce genre, car ce genre de relations ne rentre pas dans le système de tutelle et met en danger leur rôle aussi en Israël. Israël a interdit et empêché des lois qui nous permettent d’établir des relations avec les Arabes, et le degré de tutelle est devenu tellement élevé qu’il juge que toute relation avec les Arabes hors du cadre de la tutelle est une relation sécuritaire. Lorsque les flèches constitutionnelles sont épuisées, il utilise les flèches sécuritaires. Ce dernier jet, dangereux, où le vrai visage apparaît, ne fait pas peur aux nationaux, et il est difficile de l’utiliser avec intensité. Mais il est clair qu’il est actuellement utilisé pour un cas individuel qu’ils jugent dangereux pour leur politique, essentiellement. Le meilleur moyen de le faire échouer est de ne pas lui permettre d’influer sur la position. Le fait de vouloir éduquer les gens par le biais d’une personne ne signifie pas que tous les gens doivent agir en fonction de cela, sinon cela signifie qu’ils ont effectivement réussi à donner une leçon.

La tutelle morale :

Elle est la plus grave, car elle impose sur supériorité morale du sionisme et de la société juive sur les Arabes, qui n’attendent pas seulement la satisfaction de la gauche sioniste qui leur donne le brevet de l’"arabe modéré", de "bon" ou de l’"évolué" ou "rationnel" "qui ne ressemble même pas aux Arabes", mais qui craignent et deviennent hystériques face aux attaques de l’orchestre sioniste incitateur. Le plus grave qui puisse arriver pour le colonisé c’est qu’il soit rassemblé par les tambours et qu’il soit amadoué par les bâtons du colonisateur, ou qu’il pose sur ses épaules quelques symboles des médias israéliens ou perde son courage de le dénoncer.

Israël n’est pas une dictature, mais c’est une démocratie juive, et une entité coloniale dans tout son comportement avec les Arabes, y compris ses citoyens qui se trouvent sur cette terre, ceux qui sont restés après la guerre de 1948, soit le reste de la majorité arabe du pays.

Ces gens tirent leur droit de leur présence sur cette terre du fait de leur présence effective, génération après génération, à laquelle s’ajoutent les dimensons culturelles, religieuses et nationales, et autres. C’est leur patrie, et la patrie dont on parle n’est pas Israël mais le pays sur les ruines duquel a été créé l’Etat d’Israël. C’est pour cela que leur nationalisme, pour qu’il ne soit pas défiguré, est un nationalisme palestinien et non israélien.

Mais la contradiction dans laquelle ils vivent est que le droit de présence sur cette terre, du fait de la loi de l’occupant, vient du fait qu’ils sont citoyens dans un Etat qui a occupé leur terre et non pas en tant que fils de cette patrie qui a été occupée. Ainsi, les cadres historiques sont bouleversés de fond en comble, le citoyen a besoin de prouver par des papiers israéliens qu’il a le droit de vivre dans ce pays, comme un certificat de naissance, une carte d’identité ou un passeport, et qu’il porte sur lui ces papiers en permanence par crainte d’un contrôle policier, afin qu’il soit distingué des habitants des régions occupées en 1967, qui sont interdits d’être présents dans cette partie de la patrie, sans autorisation.

Sans nationalité israélienne ou sans pièce d’identité israélienne, l’Arabe a le droit, dans le meilleur des cas, de rester dans sa patrie trois mois, en tant que touriste, et cela lorsqu’il obtient le visa d’entrée, et c’est un visa qu’essaient d’obtenir de nombreux palestiniens de la Cisjordanie et de la bande de Gaza, qui sont à l’extérieur. Une partie d’entre eux est refoulée à l’aérport, et même le passeport étranger ne peut le sauver si un touriste "ordinaire" essaie d’entrer dans son pays.

La citoyenneté est devenue, dans une entité coloniale, un outil d’expulsion, sauf si le Palestinien joue sur le terrain de cette entité, au travers de ses lois, pour qu’une minorité parvienne à rester sur le sol, tel que le permettent l’équilibre démographique et les tribunaux israéliens, mais aussi la loi. Tu dois prouver à l’autre et à toi-même que tu es israélien, pour que tu restes en Palestine.

Mais que tu reviennes en Palestine, ce n’est, bien sûr, pas possible.

Ceci suppose qu’un mouvement national lui résiste. La présence arabe palestinienne sur la terre, et nos droits ne viennent pas de cette "israélisation". Tout cela reste facile face aux sentiments de satisfaction et d’assurance qui se dessinent sur leurs visages lorsqu’ils sentent que leur identié ou leur passeport ou leur présence est acceptée par l’Arabe. C’est une opération de duperie, de mensonge et de falsification, unique et rare dans l’histoire contemporaine : ils occupent un pays, chassent sa population puis empêchent ceux qui restent de rester dans le pays sans une carte d’identité israélienne ou sans nationalité, puis s’étonnent de l’attirance de la nationalité israélienne sur les gens et leur désir de rester en permanence en Israël, et certains Israéliens affichent qu’ils comprennent de tout cela que la vie des Arabes est magnifique à tel degré qu’ils s’y accrochent, comme si c’était la motivation. Il est clair qu’une partie des gens a effectivement oublié ce cadre colonial inversé menant à l’attachement à la carte d’identité ou au passeport et qu’ils s’en montrent fiers..

L’état de la pensée récente de la droite en Israël est de dire : oublie ton droit dans ce pays en tant que palestinien, ton droit, d’ailleurs, n’est pas idéologique issu du fait que l’Etat a été construit pour toi, comme c’est le cas pour le citoyen juif, la citoyenneté israélienne ne t’es pas accordée du fait que tu sois juif, et elle n’est pas un de tes attributs, mais elle te fut tolérée parce que tu es israélien par "harsard," ou par "l’anachronisme" de ta présence ici lorsque l’Etat a été fondé, ce qui veut dire que ta relation à l’Etat est l’essentiel. C’est une relation basée sur la fidélité ou la traîtrise. Qu’un Palestinien soit traître à Israël, est-ce une phrase utile ? C’est ce qu’ils essaient d’imposer actuellement, et c’est ce qu’il faut leur éviter de faire.

Azmi Bishara, ex-député de la Knesset, vient de démissionner de son poste à la suite d’une violente campagne du gouvernement et des médias contre lui. Il réside présentement au Caire.


Voir en ligne : www.aloufok.net