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Le mouvement social et la nouvelle « guerre de position »

Première partie : six ans plus tard

Mercredi 7 février 2007, par Pierre BEAUDET

En 2001 se tenait le premier Forum social mondial à Porto Alegre. Sur le coup, presque personne n’avait une idée claire de sa signification et de sa portée. On le sentait, on en avait l’intuition, quelque chose était « dans l’air ». L’insurrection de « basse intensité » des Zapatistes, les avancements du mouvement social particulièrement en Europe latine et en Amérique du Sud, les immenses manifestations anti néolibérales un peu partout sur la planète, secouaient la chape de plomb du capitalisme réellement existant » et tournaient en dérision les « théories » de la fin de l’histoire et du triomphe de la « civilisation occidentale ».

Rassemblés en 2001 dans la capitale de l’État de Rio Grande do Sul dans le sud du Brésil à l’initiative des mouvements brésiliens et avec l’appui de la municipalité pétiste, les mouvements se sont projetés à travers une intelligibilité compliquée. Ils constataient qu’ils parlaient des « langages » à la fois semblables et différents. Tout en étant en apparence déconnectés les uns par rapport aux autres, Ils étaient en même temps « réseautés », si ce n’est que par les fils ténus de l’internet. Ils commençaient à saisir, au moins intellectuellement, un itinéraire de rupture partielle, ambiguë, apparemment sans horizon clair. Pour la plupart des organisations en effet, il ne pouvait être question de se réclamer d’une « méga théorie » ou d’une « grande utopie » comme cela avait été le cas avec les mouvements sociaux pendant l’essentiel du vingtième siècle. Sans glisser dans un pragmatisme naïf, la majorité des mouvements pensait (et pense encore) qu’il faut prendre garde aux projets « tout-englobant » Et qu’il était nécessaire, parallèlement à un réinvestissement du social via les résistances et la construction de micro alternatives de redéfinir de nouvelles identités (au pluriel) du mouvement social.

Au soleil de Porto Alegre donc, une nouvelle expérimentation est apparue « sur le tas », par de nouvelles grammaires, de nouveaux codes, de nouvelles expressions. Le mouvement social s’est interpellé lui-même et il a aussi interpellé les acteurs politiques. Six ans plus tard, qu’en est-il ? Certes on le sait, six ans dans une temporalité historique, c’est six secondes ! Il faudrait donc être très arrogants (il y en a qui le sont, mais on ne dira pas qui) pour proposer des schémas explicatifs globaux. Il faut alors donc avancer avec prudence, modestie, respect, patience même si, parfois (plutôt rarement) l’audace de la pensée réussit à capter les processus avant même que les acteurs n’en soient conscients.

L’irruption des subalternes

Dans la foulée des succès du FSM et de la ronde très intense des mobilisations sociales qui continuent de s’amplifier, le mouvement social a donc repris confiance. C’est une très grande avancée qui s’appuie, sans déterminisme, sur des transformations profondes et de longue durée à l’œuvre dans nos sociétés, comme l’explique si bien Immanuel Wallerstein. Le rythme des changements immédiats est évident et intense en Amérique du Sud, notamment. Les classes populaires continuent de répéter « basta » aux dominants, dans la rue bien sûr, mais aussi par le vote. Les groupes subalternes, entre autres les autochtones et les paysans, ne veulent plus, pendant que les élites, surtout blanches et urbaines, ne peuvent plus.

Plus encore, l’Amérique du Sud est devenue un vaste laboratoire où s’expérimente un nouveau dialogue entre un approfondissement démocratique et une sorte de « néo-keynésianisme de gauche. Sans cynisme ou désillusion, des masses immenses sont en mouvement pour changer les termes du pouvoir, sans par ailleurs naïvement espérer un quelconque miracle qui viendrait d’un « sauveur » par en haut. Et d’autre part, ces masses pressent les interlocuteurs politiques pour qu’ils entament de vastes réformes, de façon à rétablir une certaine redistribution sociale et la protection du bien commun. Est-ce que ça va marcher ? Les opinions restent très partagées, mais que l’on fasse partie des optimistes, des pessimistes ou des « optipessimises », on constate que la structure du pouvoir est ébranlée.


« Nous sommes la gauche »

Le nouveau discours des mouvements sociaux notamment en Amérique du Sud se veut non complaisant face aux partis de gauche, sans cynisme ni critique abusive, sans sentiment d’infériorité non plus ni fausse gêne. « Nous sommes la gauche », disent souvent ces mouvements, ce voulant dire, c’est l’ensemble des organisations sociales et politiques qui participent à la construction de la gauche et du projet de transformation sociale, et non plus une ou des avant-gardes « éclairées ». À part Cuba où cette lutte historique doit être comprise dans son propre langage, les mouvements d’Amérique latine ont fait leur deuil du lourd héritage du partidisme, tant dans ses formes exacerbées que dans ses formes modérées. La question est alors posée, à quoi servent les partis politiques ? Dans le cas de la Bolivie, l’équation a été renversée, le parti (MAS) est l’émanation électorale des mouvements. Cette situation est beaucoup moins claire ailleurs et ces ambiguïtés se profilent des conflits ou du moins des incompréhensions.