Boycott d’Israël : un jalon important a été franchi
mardi 28 août 2007
John Pilger - New Statesman
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Ceux qui appellent au boycott d’Israël n’étaient autrefois que voix lointaines. Le débat est maintenant devenu mondial. Il croît inexorablement et ne sera pas réduit au silence.
Du haut d’une colline calcaire qui domine le camp de réfugiés de Qalandiya, on peut voir Jérusalem. J’observais un bonhomme qui se tenait là dans la pluie, son fils accroché au pan de son long manteau élimé. Il tendit la main et ne me lâcha plus. « Je suis Ahmed Hamzeh, artiste des rues », dit-il en anglais, sur un ton mesuré. « Là-bas, je jouais de toutes sortes d’instruments de musique ; je chantais en arabe, en anglais et en hébreu, et comme j’étais plutôt pauvre, mon tout petit garçon mâchait du chewing-gum pendant que le singe faisait ses tours. Lorsque nous avons perdu notre pays, nous avons perdu le respect. Un jour, un riche Koweitien a arrêté sa voiture à notre hauteur. Il a crié à mon fils : « Montre-moi comment un Palestinien ramasse sa ration de nourriture ! » Alors j’ai amené le singe pour qu’il fouille par terre, dans le caniveau. Et mon fils fouillait avec lui. Le Koweitien a jeté quelques pièces et mon fils s’est mis à genoux pour les ramasser. Ce n’était pas juste. J’étais un artiste, pas un mendiant... Et maintenant, je ne suis même pas un paysan. »
« Qu’éprouvez-vous à propos de tout ça ? », lui avais-je demandé.
« Vous vous attendez à ce que j’éprouve de la haine ? Qu’est-ce que c’est pour un Palestinien ? Je n’ai jamais haï les Juifs et leur Israël... Oui, je suppose que je les hais maintenant, ou peut-être que j’ai pitié d’eux, pour leur stupidité. Ils ne peuvent pas gagner. Parce que nous, Palestiniens, sommes les Juifs maintenant et, comme les Juifs, nous ne leur permettrons jamais, ni aux Arabes, ni à vous, d’oublier. La jeunesse s’en portera garante pour nous, et la jeunesse qui lui succédera... »
C’était il y a 40 ans. La dernière fois que je suis retourné en Cisjordanie, j’ai reconnu peu de chose de Qalandiya qui est maintenant annoncé par un vaste checkpoint israélien, une chicane de sacs de sable, de fûts d’huile et de blocs de béton, avec de longues files sinueuses de gens qui attendent, tapant les mouches avec leurs précieux documents. A l’intérieur du camp, les tentes ont été remplacées par de robustes taudis, mais les files aux robinets étaient aussi longues, m’a-t-on assuré, et avec la pluie, la poussière virait toujours au caramel. Au bureau des Nations Unies, j’ai demandé des nouvelles d’Ahmed Hamzeh, l’artiste des rues. On consulta des registres, on hocha la tête. Quelqu’un pensait qu’il avait « été emmené... très malade ». Personne ne savait rien de son fils dont le trachome avait sûrement dû tourner maintenant à la cécité. Dehors, dans la poussière, une autre génération tapait dans un ballon de foot crevé.
Pourtant, ce que Nelson Mandela a appelé « la plus grande question morale de ce temps » refuse de se laisser enterrer dans la poussière. Pour chacune des voix de la BBC qui s’évertuent à assimiler occupant et occupé, voleur et victime, pour chaque nuée de courriels adressés par les fanatiques de Sion à ceux qui renversent le mensonge et décrivent l’engagement de l’Etat d’Israël dans la destruction de la Palestine, la vérité est plus puissante maintenant que jamais. La documentation sur l’expulsion par la force des Palestiniens en 1948 est volumineuse. Le réexamen des archives historiques a ruiné la fable du David héroïque de la Guerre des Six Jours, quand Ahmed Hamzeh et sa famille furent chassés de leur maison. La prétendue menace des dirigeants arabes de « jeter les Juifs à la mer » servie pour justifier l’attaque israélienne de 1967 et qui n’a cessé depuis d’être répétée sans relâche, est extrêmement douteuse.
En 2005, le spectacle des gémissants zélotes de l’Ancien Testament quittant Gaza était une supercherie. La construction de leurs colonies s’est accélérée en Cisjordanie, en même temps que le mur illégal, style berlinois, qui sépare des agriculteurs de leurs récoltes, des enfants de leurs écoles, des familles l’une de l’autre. Nous savons maintenant que la destruction par Israël d’une bonne partie du Liban l’an dernier avait été conçue à l’avance. Comme l’a écrit l’ancienne analyste de la CIA Kathleen Christison, la récente « guerre civile » à Gaza était en réalité un coup visant le gouvernement élu, dirigé par le Hamas, coup monté par Elliott Abrams, le sioniste qui gère la politique américaine à l’égard d’Israël et criminel déclaré coupable, de l’époque de l’Iran-Contra.
Le nettoyage ethnique de la Palestine est autant la croisade de l’Amérique que celle d’Israël. Le 16 août, l’administration Bush a annoncé l’octroi d’une « offre d’aide » de 30 milliards de dollars à Israël, la quatrième plus grosse puissance militaire au monde, une force aérienne plus importante que celle de la Grande-Bretagne, une puissance nucléaire plus importante que la France. Aucun pays sur terre ne jouit, comme Israël, d’une telle immunité, lui permettant d’agir impunément. Aucun autre pays n’a un tel passif de non respect du droit : pas une des tyrannies du monde n’en approche. Des traités internationaux comme le Traité de non prolifération du nucléaire, ratifié par l’Iran, sont ignorés par Israël. Il n’y a rien de semblable dans l’histoire des Nations Unies.
Mais quelque chose a changé. Peut-être l’horreur panoramique de l’été dernier retransmise depuis le Liban sur les écrans de télévision du monde entier a-t-elle servi de catalyseur ? Ou peut-être le cynisme de Bush et Blair ainsi que le recours incessant à cette inanité, la « terreur », en même temps que la dissémination dans nos vies, jour après jour, d’une insécurité fabriquée, ont-ils finalement attiré l’attention de la communauté internationale hors des états voyous, de la Grande-Bretagne et des Etats-Unis, pour la ramener à une de ses principales sources, Israël.
J’en ai eu récemment la sensation aux Etats-Unis. Une annonce pleine page dans le New York Times avait distinctement une odeur de panique. Il y a déjà eu beaucoup d’annonces faites dans le Times par des « amis d’Israël », demandant les habituelles faveurs, rationalisant les habituelles brutalités. Celle-ci était différente. « Boycotter un traitement anticancéreux ? » en était le titre principal, suivi de « Arrêter l’irrigation au goutte-à-goutte en Afrique ? Empêcher la coopération scientifique entre nations ? » Qui voudrait faire pareilles choses ? « Certains universitaires britanniques veulent boycotter leurs homologues israéliens » était la réponse, intéressée. Elle se référait à la motion de la conférence inaugurale du syndicat « Univesity and College Union » (UCU), de mai dernier, qui appelait à une discussion au sein de ses différentes sections sur un boycott des institutions académiques israéliennes. Comme John Chalcraft, de la London School of Economics l’a relevé, « le monde académique israélien offre depuis longtemps un soutien intellectuel, linguistique, logistique, technique, scientifique et humain à une occupation qui se fait en violation directe du droit international et contre laquelle aucune institution académique israélienne n’a jamais pris publiquement position ».
La vague du boycott gonfle inexorablement, comme si un jalon important avait été franchi, rappelant les boycotts qui avaient conduit à des sanctions contre l’Afrique du Sud de l’apartheid. Tant Mandela que Desmond Tutu ont établi ce parallèle ; de même que le ministre d’état sud africain Ronnie Kasrils et d’autres célèbres membres juifs de la lutte pour la libération. En Grande-Bretagne, une campagne académique souvent menée par des Juifs contre la « destruction méthodique par Israël du système d’éducation palestinien » peut être traduite par ceux d’entre nous qui rapporté des témoignages des Territoires occupés, en termes de bouclage arbitraire des universités palestiniennes, de harcèlement et d’humiliation des étudiants aux checkpoints, de tirs visant des enfants palestiniens et d’assassinat d’enfants palestiniens sur le chemin de l’école.
Initiatives britanniques
Ces initiatives ont été soutenues par un groupe britannique, Independent Jewish Voices (Voix Juives Indépendantes), dont les 528 signataires comptent Stephen Fry, Harold Pinter, Mike Leigh et Eric Hobsbawm. Le plus grand syndicat du pays, Unison, a appelé à un « boycott économique, culturel, académique et sportif » et au droit au retour des familles palestiniennes chassées en 1948. De façon remarquable, le Comité pour le développement international de la Chambre des Communes a adopté une position similaire. En avril, les membres du syndicat des journalistes, le National Union of Journalists (NUJ), ont voté en faveur d’un boycott mais pour le voir rejeté à la hâte par le conseil exécutif national. En république d’Irlande, le Congrès Irlandais des Syndicats a appelé à désinvestir des compagnies israéliennes : une campagne a visé l’Union Européenne qui compte pour les deux tiers des exportations israéliennes sous l’Accord d’Association UE-Israël. Le rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation, Jean Ziegler, a dit que les conditions en matière de droits de l’homme intégrées à cet accord devraient être invoquées et les privilèges commerciaux d’Israël suspendus.
Ceci est inhabituel car toutes ces voix étaient autrefois lointaines. Qu’une telle discussion sérieuse sur un boycott « devienne mondiale » n’avait pas été prévu par l’Israël officiel, longtemps conforté par ses mythes apparemment intouchables et par un puissant parrainage, et confiant dans le fait que la simple menace d’antisémitisme assurerait le silence. Lorsque la décision des professeurs britanniques a été annoncée, le Congrès américain a adopté une résolution absurde qualifiant l’UCU d’ « antisémite ». (Quatre-vingts membres du Congrès sont allés cet été en Israël pour un voyage d’agrément.)
Cette intimidation a marché, dans le passé. Des calomnies lancées contre des professeurs américains leur ont valu de se voir refuser une promotion, ou même une chaire. Feu Edward Said disposait d’un bouton d’appel d’urgence dans on appartement à New York, relié au poste de police local ; ses bureaux à la Columbia University ont une fois été incendiés. A la suite de mon film de 2002, Palestine is still the Issue, j’ai eu droit à des menaces de mort et à des insultes et des calomnies venant pour l’essentiel des Etats-Unis où le film ne fut jamais montré. Lorsque le Comité Indépendant de la BBC a examiné récemment la couverture du Proche-Orient par la compagnie, il a été inondé de courriels, « dont beaucoup d’origine étrangère, essentiellement d’Amérique du Nord », disait son rapport. Certaines personnes « ont envoyé de multiples messages, certains messages étaient des copies et il y avait des signes évidents de mobilisation d’un groupe de pression ». La conclusion du Comité était que la manière dont la BBC rendait compte de la lutte palestinienne n’était pas « détaillée et équitable » et présentait « pour des aspects importants, une image incomplète et dès lors trompeuse ». Ceci fut neutralisé dans les communiqués de presse de la BBC.
Le courageux historien israélien Ilan Pappé estime qu’un Etat démocratique unique, dans lequel les réfugiés palestiniens auraient le droit de revenir, est la seule solution faisable et juste, et qu’une campagne de sanctions et de boycott est essentielle pour y parvenir. La population israélienne serait-elle ébranlée par un boycott international ? Bien qu’ils le reconnaissent rarement, les blancs d’Afrique du Sud furent suffisamment ébranlés pour donner leur soutien à un changement historique. Un boycott des institutions, des biens et des services israéliens, dit Pappé, « ne modifiera pas la position israélienne en un jour, mais il enverra un message clair que (les prémisses du sionisme) sont racistes et inacceptables au 21e siècle... Ils devraient choisir. »