L’accord de Doha qui a mis fin à la dernière période de tensions politiques et d’affrontements armés au Liban aura - au mieux - ramené le calme dans le pays pour 18 mois à deux ans, et fourni à des élites politiques largement discréditées une occasion de recommencer à agir de manière responsable. Le Hezbollah reste au centre des discussions sur les défis à venir, compte tenu de sa force militaire par rapport aux autres factions libanaises, y compris le gouvernement central et ses forces armées.
Le dilemme pour le Hezbollah, c’est que la force qui est la sienne depuis sa création, voila un quart de siècle au début des années 1980, est maintenant une faiblesse quand il s’agit de s’insérer dans la vie politique Libanaise. Sa nature complexe, faite de prouesses militaires, de liens avec la Syrie et l’Iran, les ambiguïtés de sa stratégie politique quant à ses objectifs ultimes pour le Liban sont autant de questions qui lui ont valu une opposition importante de la part d’une fraction croissante de Libanais.
Il ne s’agit pas simplement de la question « que veut le Hezbollah ? » ou « le Hezbollah renoncera-t-il à ses armes ? » La puissance du Hezbollah et ses objectifs ne peuvent être analysés hors contexte, car ce parti n’est pas devenu la plus puissante force militaire du pays indépendamment du comportement des autres acteurs nationaux. Deux questions sont en jeu ici : le statut du Hezbollah, et le caractère de l’État libanais. La force du Hezbollah et son statut d’une part, la faiblesse de l’État libanais d’autre part sont dans une relation de symbiose, se développent en se nourrissant l’une de l’autre, et ne pourront trouver de solution qu’ensemble. La nouvelle ère de calme et d’aggiornamento politique qui s’ouvre pour le Liban, prévoyant la mise en place d’un gouvernement d’unité nationale et la tenue d’élections législatives au cours de l’été 2009, doit résoudre des questions fondamentales âprement disputées. Le problème majeur est celui des relations entre le Hezbollah et l’Etat, et il est directement ou indirectement lié à d’autres questions difficiles telles que les liens entre la Syrie et le Liban, ainsi que le rôle joué par les puissances extérieures comme l’Iran, l’Arabie saoudite et les États-Unis.
Si le Liban ne fait pas de progrès sur ces questions au cours des prochaines années, et au lieu de cela retombe dans l’impasse du face à face et les affrontements de rue, une guerre civile est probable, et je ne connais aucun pays qui ait pu survivre intact à deux guerres civiles. Une reprise des combats sur une grande échelle verrait le pays sombrer peu à peu vers une situation d’État failli et l’ éclatement de sa souveraineté, à l’image du Yémen ou de la Somalie.
Le défi reste celui de bâtir un État fondé sur l’égalité des droits de ses citoyens dans lequel tous les Libanais auront la possibilité d’améliorer leur sort dans le cadre de l’état de droit, plutôt que sur la base d’appartenances tribales ou communautaires auto-défensives. La manière dont les parties à Doha se sont disputées les circonscriptions électorales de Beyrouth et d’autres régions suggère que le concept de l’État libanais et celui de de citoyenneté demeurent subordonnés à la puissance du sectarisme et du tribalisme qui servent de base à l’affirmation de l’identité et à l’exercice du pouvoir. Cette situation n’est pas propre au Liban. La plupart des nations du Moyen-Orient souffrent du même problème, mais il est dissimulé sous le calme apparent qui règne dans les états sécuritaires arabes modernes.
Le Hezbollah s’est avéré très efficace dans la plupart des actions qu’il entreprend, que ce soit la prestation des services sociaux, les mobilisations communautaires, la résistance militaire ou l’appel à l’opinion publique régionale. Ce mouvement est l’aboutissement de l’une des sagas politique parmi les plus impressionnantes et convaincantes du monde arabe moderne. Il a amené la communauté chiite libanaise d’une situation de marginalisation, victime d’abus et d’assujettissement à celle de puissance dominante, en l’espace d’un peu plus d’une génération, à partir du début des années 1970.
Pour autant, le Hezbollah s’est avéré très faible dans son action en politique intérieure, principalement parce qu’il y est inexpérimenté. Certains de ses critiques les plus virulents affirment qu’il n’est pas sincère et se soucie peu de s’engager politiquement dans un partage du pouvoir, car il agirait en fonction des priorités de l’Iran et de la Syrie plutôt que de celles du liban. Les disputes à ce sujet sont féroces. Nous aurons la réponse bientôt. Cependant, l’action politique demeure un terrain nouveau pour le Hezbollah.
La contestation politique menée durant 18 mois contre le gouvernement, qui s’était avérée une impasse et un échec, l’a mis parfois dans l’embarras à l’image de son de campement de tentes de protestation installé dans le centre ville. Il ne semble avoir repris le dessus que lorsqu’il a répondu aux défis du gouvernement contre son système de sécurité en envoyant ses hommes en armes dans Beyrouth ouest. Mais s’affronter au lieu de négocier n’est pas une marque d’habileté politique ni de sophistication.
Le Hezbollah et l’État libanais ensemble doivent maintenant s’attaquer aux questions fondamentales que sont leur propre légitimité, leur efficacité et l’étendue de leur pouvoir. Il est clair que l’équilibre actuel des pouvoirs n’est pas durable. Les Libanais contestent de plus en plus ouvertement le Hezbollah, qui leur répond en invoquant le rôle centrale de sa résistance. Mais ces arguments sont de moins en moins crédibles aux yeux de nombreux compatriotes. Il n’y a pas de réponse simple à ce dilemme qui est de savoir comment concilier un Etat faible avec une forte structure étatique parallèle. Mais une réponse doit être trouvée, sinon les deux parties en paieront le prix dans les années à venir.
Rami G. Khouri est éditorialiste au Daily Star.