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Le Forum social mondial en transition

Mardi 9 août 2005

Le mouvement altermondialiste est confronté aujourd’hui au débat stratégique. Cette intervention aborde quelques-unes des questions posées par ce débat. L’hypothèse de travail est que la phase « néolibérale » de la mondialisation, que je définirais comme une phase de reconquête, est une phase de transition qui est probablement en voie d’achèvement. Trois scénarios définissent les successions possibles. Il s’agit de pointer les cohérences correspondant à des modèles et à des modes de pensée économique et politique et non de scénarios d’évolution des situations.

Le scénario néo-conservateur

De 1980 à aujourd’hui, nous assistons au renforcement du modèle néo-conservateur. De 1980 à 1989, c’est la période de l’expérimentation et de la montée en puissance, à partir de 1989, nous sommes dans la revanche sociale. En 1995, commence à émerger et à s’organiser un mouvement anti-systémique, le mouvement altermondialiste. En 2001, les attentats de New York accélèrent le virage néo-conservateur. La nomination de Wolfowicz à la présidence de la Banque Mondiale est symbolique de cette évolution. Ce scénario correspond à un monde de guerre ; la concurrence économique se pense comme la guerre, y compris la guerre préventive. Quand on voit la montée des fondamentalismes, des mouvements intégristes et évangélistes dans le monde, on comprend bien ce que signifie une révolution conservatrice. Permettez-moi de citer Gramsci, qui annonçait de manière assez terrible dans ses années de prison : « Le vieux monde se meurt. Le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur, surgissent les monstres. »

Le scénario altermondialiste.

Il avance la proposition de l’accès pour tous aux droits fondamentaux, à la paix et à la démocratie. Il peut être considéré comme utopiste, mais une utopie peut-être la réalité de demain. Il se construit comme une utopie concrète et sert de référence à de nouveaux idéaux et de nouveaux possibles.

Le scénario des nouveaux keynésiens

Il correspond au retour à des formes de régulation publique économique et sociale. Le néolibéralisme a mené l’attaque frontale contre les politiques keynésiennes qu’on qualifie aussi de fordistes, sociales-libérales ou de l’Etat social. Le modèle européen était directement visé. On peut faire l’hypothèse que la capacité d’intervention du keynésianisme, comme proposition de régulation, n’avait pas été complètement épuisée. Il reste à réfléchir à des politiques keynésiennes fonctionnant en économie ouverte et à l’échelle mondiale, et non de reprendre l’idée des politiques keynésiennes telles qu’elles ont pu fonctionner auparavant. Ce troisième scénario progresse. C’est probablement là-dessus que s’est opérée la rupture entre Joseph Stiglitz et la Banque Mondiale. J. Stiglitz, partant de l’expérience de libéralisation en Russie conduite suivant les préceptes du néo-libéralisme à la Friedman (il n’y a qu’à laisser jouer les marchés) a affirmé qu’il faut un Etat, même pour libéraliser. Si on ne veut pas la généralisation du capitalisme maffieux, la voie chinoise est préférable à la voie russe.


Des luttes à prévoir

Chacun de ces modèles s’analyse en cohérence avec des appuis sociaux et des alliances entre des catégories sociales. Il n’y a pas d’automatisme dans le rapport entre les projets et les bases sociales, mais il y a de fortes relations ; on ne peut pas apprécier et comprendre un projet en dehors de ses soubassements sociaux et de ses conséquences sociales. Les modèles formalisent des projets qui se définissent comme des réponses aux contradictions sociales.

De ce point de vue, le premier scénario est porté par des courants régressifs, néoconservateurs, fondamentalistes, intégristes, qui malheureusement progressent beaucoup dans le monde. Le deuxième scénario est porté par le courant, altermondialiste, par la convergence des mouvements qui a été présentée plus haut et qui s’est engagé dans la construction d’un nouveau mouvement social et citoyen. Le troisième scénario est porté par des couches, sociales confrontées à la précarisation et par une partie des couches moyennes, qui ont été particulièrement visées par la « reprise en main » néolibérale. Les bases sociales des différentes approches ne sont pas disjointes ; des projets différents peuvent tenter les mêmes catégories.

Ces scénarios ne sont pas des scénarios d’anticipation ou de prévisions, ce sont des scénarios sur les courants de pensée possibles. Le conflit entre ces courants participera à la construction d’une nouvelle pensée économique, sociale et politique. Aujourd’hui, il existe un rapprochement entre les courants altermondialistes et des nouveaux-keynésiens contre le courant néo-conservateurs. Jusqu’où peut aller ce rapprochement, qui en tirera les fruits et comment pourra être caractérisée et appréciée la logique qui en résultera ? L’histoire reste à écrire et dépend de nos mobilisations.