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ÉGYPTE

La peur de la « contamination » libanaise

Lundi 18 décembre 2006, par AL KOREICHI Alia

Pour le Caire, il y a deux risques : la menée d’une mobilisation similaire en Egypte et le renforcement du croissant chiite dans la région.

A deux reprises, le président Moubarak a critiqué les manifestations de l’opposition libanaise, campée dans la rue, pour faire tomber le gouvernement Siniora. La première fois, il a qualifié de « pas sage » l’action des manifestants, estimant que l’appel à manifester contre le gouvernement est « très dangereux et que le Liban ne peut supporter cette situation (...) Le résultat sera un champ de bataille et de destruction, et le Liban ira vers sa perte ». La seconde fois, le chef d’Etat égyptien estime « pas raisonnables », les manifestations de l’opposition ou de la majorité.

Des déclarations mal vues par certaines forces libanaises qui n’ont pas tardé à susciter des réactions avec des critiques sévères contre l’Egypte. On est allé jusqu’à l’ironie : « Voilà un dirigeant arabe qui veut donner aux Libanais une leçon dans la démocratie », s’insurge le ministre Soliman Frangié qui se trouve dans le camp des opposants. Le lendemain, l’ex-chef du gouvernement, Omar Karamé, qui a démissionné lors de l’assassinat de Hariri, s’en prend à la Télé égyptienne et son parti pris contre la majorité, dont il fait lui-même partie. Le général Michel Aoun, chef du Courant patriotique libre, a rétorqué que « la légitimité de ce gouvernement ne peut lui être conférée par le soutien des Etats-Unis, de l’Egypte, de l’Arabie saoudite, de la France ou de n’importe quel Etat ».

Dans tous les cas, l’attitude du Caire n’était pas inattendue. C’est l’Egypte qui avait qualifié d’« aventurisme » la capture des soldats israéliens par la résistance chiite. Par contre, elle a bien accordé son soutien, en février 2005, aux manifestations qui ont provoqué la chute du gouvernement Karamé. A ce moment, il n’y avait pas de position égyptienne officielle mais la presse parlait de « grande révolution des Cèdres », ou encore de « l’Intifada de l’indépendance libanaise ». Cette fois-ci, le contexte diffère. Parce que celui qui contrôle aujourd’hui la rue, c’est surtout le Hezbollah qui est devenu la bête noire pour la plupart des pays sunnites dans la région, notamment l’Egypte, l’Arabie saoudite et la Jordanie. Ce triangle n’a pas tardé à exprimer ouvertement son soutien au gouvernement Siniora tout en dénonçant, à mots couverts, la contribution de leur rival chiite iranien dans l’affaire. Ils s’inquiètent de l’émergence d’un croissant chiite allant de Téhéran au Liban-Sud, en passant par Bagdad.

Alors pour l’Egypte, si ce gouvernement Siniora tombe, ceci signifie une victoire du Hezbollah et de l’opposition, et donc « celle de l’Iran et de la Syrie face aux Etats-Unis, ce qui pourrait par la suite multiplier les confrontations dans la région et faire plus des pressions sur les pays arabes », souligne Moustapha Magdi, chercheur au Centre d’études arabes. Sans doute, ce sont ces pressions que craint l’Egypte. Par de telles déclarations, Le Caire veut plaire à Washington en lui montrant que sa position correspond bien à la sienne. « C’est le facteur-clé dans la diplomatie égyptienne, non seulement quand il s’agit du Liban, mais aussi de la Palestine et de l’Iraq », estime Abdallah Al-Sennawi, rédacteur en chef du journal nassérien Al-Arabi. Des points gagnés par le camp du Hezb, et donc par le camp iranien, renforceront le rôle régional de Téhéran face à un recul de la place de l’Egypte. Moubarak ne l’a pas caché : « Si l’Iran intervient au Liban, les Arabes ne resteront pas silencieux ».

La plus grande crainte égyptienne concernerait l’intérieur. Le Caire ne veut certainement pas voir des partis d’opposition inspirés du modèle du Hezbollah faire une sorte de révolution à l’ukrainienne ou la géorgienne. Une désobéissance civile qui pourrait faire tomber un gouvernement ou un régime.

Pour Amr Hachem, chercheur au Centre d’Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, le régime égyptien ne veut absolument pas régler les conflits politiques à travers les manifestations. « L’Egypte agit dans ce conflit libanais comme s’il s’agissait de son propre cas », dit-il. C’est pourquoi, traditionnellement, Le Caire a tendance à soutenir les régimes en place. Avec le Liban, l’Egypte est cependant dans une situation délicate. Elle voudrait soutenir la majorité, tout comme les Américains, mais ceci correspond à un isolement du chef de l’Etat, Emile Lahoud. Une situation qui dérange l’establishment. Et soutenir l’opposition, ne l’arrange pas non plus car cela équivaut à la chute du gouvernement. Deux cas « contagieux » pour Le Caire.

*Article paru dans le numéro 640 du journal égyptien al- Ahram hebdo, semaine du 13 au 19 décembre 2006.