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Israël

Lundi 22 mai 2006, par Michel WARSHAVSKY

Il y a 120 membres à la Knesset, le Parlement israélien. En s’effondrant de 40 à 11 députés, le Likoud (1) est certainement le principal perdant des législatives du 28 mars 2006. Même si l’on tient compte du renforcement de l’extrême droite, qui a presque doublé ses voix (passant de 12 à 21 élus), la droite israélienne a subi une importante défaite, au profit du centre, qui a doublé le nombre de ses députés. Le nouveau parti Kadima (2) obtient 28 sièges alors que la liste anonyme des retraités la surprise de ces élections s’empare de 7 sièges.

Par Michel Warschawski*

Le Parti travailliste (3) réussit pour sa part à limiter les dommages provoqués par la création de Kadima et le départ de nombre de ses leaders, en ne perdant que 10 % de sa représentation : il obtient 20 députés, alors qu’il avait 22 sortants. L’affaiblissement du Meretz (4), un phénomène continu depuis 1999, ne s’est pas arrêté : sa représentation passe de 6 à 4 sièges.

Les partis intégristes Shas et Yahadout Hatorah (5) passent de 16 à 19 sièges, ce qui confirme leur base sociale stable au sein de l’électorat juif.

En dépit d’une abstention forte (près de 45 %), les listes arabes ont renforcé leur représentation au sein du Parlement israélien, passant de 8 à 10 sièges.

Moins des deux tiers de l’électorat a fait l’effort de voter, ce qui met en avant la première caractéristique des élections israéliennes : un manque incontestable de passion et un manque relatif d’intérêt. La campagne électorale qui s’est achevée a été la plus ennuyeuse depuis 1969 selon les enquêtes d’opinion ; ses résultats confirment que le public israélien est fatigué des confrontations intérieures et de la rhétorique ultra-nationaliste. Le succès du parti Kadima du premier ministre par intérim Ehud Olmert est le produit direct de cette aspiration de l’opinion publique israélienne à une politique plus conventionnelle, tant sur le terrain politique que sur le terrain social.
Succès relatif de Kadima

Les 28 sièges obtenus font de Kadima le plus grand parti de la Knesset et de son leader, Ehud Olmert, le nouveau premier ministre. Cependant ce succès de Kadima est relatif. Il y a deux mois les sondages d’opinion lui octroyaient 45 sièges ! Un processus d’érosion a commencé avec l’effacement d’Ariel Sharon et l’on peut partager l’évaluation de nombreux analystes israéliens qui ont dit, lors de la nuit électorale, que si les élections avaient eu lieu un mois plus tard, le Parti travailliste aurait pu les emporter.

Car malgré la trahison de Shimon Pérès et de nombreux autres dirigeants travaillistes qui ont décidé de rejoindre Kadima et en dépit de la campagne raciste visant les origines marocaines d’Amir Peretz, son jeune et combatif nouveau dirigeant, le Parti travailliste a réussi à maintenir tant bien que mal son score de 2003 et est devenu le second plus grand parti dans le nouveau parlement.

Le succès de Kadima et l’effondrement du Likoud sont le résultat direct de l’aspiration de la population israélienne à la normalisation et son hésitation à suivre les partisans de la ligne dure. Les 32 sièges de la droite représentent le quart des Israéliens favorables à la ligne dure, tandis que les 34 sièges des travaillistes, du Meretz et des trois listes arabes représentent le quart de la population favorable à la paix. Mais la moitié de l’opinion publique israélienne n’est motivée ni par le « Grand Israël » ni par la paix, mais aspire fortement à la séparation, que ce soit au travers des négociations ou bien en l’imposant aux Palestiniens de manière unilatérale.

Ehud Olmert et, avant lui, Ariel Sharon ont compris que les Israéliens étaient fatigués des discours sur la « guerre préventive permanente » d’un Netanyahu et de la droite en général. Il a su qu’une position « centriste » serait populaire et a fait de son mieux pour développer le sentiment d’une rupture du statu quo, identifié avec la perpétuation du conflit, indépendamment des positions et des actes des Palestiniens. « Nous allons établir les frontières entre nous et les Palestiniens », « Nous allons accélérer la séparation », « Nous continuerons le processus de la séparation unilatérale » tels étaient les principaux slogans électoraux du Kadima. Et la seule chose que le Likoud était capable de leur opposer fut de dire : « Olmert met en danger Israël, nous avons besoin d’un chef fort contre le Hamas ! » justement le genre de langage de plus en plus rejeté par les Israéliens.
Rejet de l’ultra-libéralisme

Mais pour les électeurs israéliens la normalisation ne signifie pas seulement la séparation des Palestiniens mais aussi le renversement des politiques économiques néolibérales sauvages mises en oeuvre au cours de la dernière décennie par Netanyahu et par Olmert, qui ont poussé un quart de la population en dessous du seuil de pauvreté. Le succès de la liste des retraités est la preuve que beaucoup d’Israéliens refusent une politique économique qui ignore les besoins essentiels de la grande majorité de la population. Le succès du Shas, qui a mené campagne sur le terrain socio-économique obtenant ainsi un renforcement significatif de sa représentativité, est un autre signe que la population israélienne espère que le nouveau gouvernement va initier un tournant radical en faveur des millions de nouveaux pauvres en Israël.

Amir Peretz a le mérite d’avoir « socialisé » la campagne électorale. Du moment que l’ancien secrétaire général d’Histadrut a été élu à la tête du Parti travailliste et a déclaré la guerre à l’économie néolibérale, tous les candidats ont été obligés de se déclarer au moins verbalement en faveur de réformes sociales, y compris Ehud Olmert, qui a remplacé Netanyahu en tant que Ministre des Finances et a poursuivi sa politique criminelle.

Le relativement bon score du Parti travailliste est indéniablement le résultat de sa « campagne sociale » menée par Amir Peretz et de sa crédibilité en tant que quelqu’un qui a défié « l’économie de Netanyahu ». Dans la foulée, le dirigeant travailliste a exigé le portefeuilles des Finances dans le prochain gouvernement, afin de garantir « une meilleure distribution des ressources nationales ». Mais Ehud Olmert, qui en tant que ministre des finances avait mis en application brutalement la politique économique néolibérale et qui est bien connu pour ses relations personnelles avec les élites patronales, ne peut pas permettre à celui qu’il a lui même présenté comme un « dangereux populiste » de prendre en main l’économie, en dépit des engagements « sociaux » de dernière minute des dirigeants de Kadima. D’autant plus que le rédacteur économique de Ha’aretz a traité Peretz de communiste (6).
Le vote de la minorité palestinienne

Malgré le fait que près de la moitié des électeurs palestiniens n’a pas participé aux élections, les trois « listes arabes » ont réussi à augmenter leur représentation de 25 %. Si le taux de participation des Palestiniens avait été le même que celui des électeurs juifs, le nombre d’élus palestiniens à la Knesset aurait atteint 12, soit 10 % des parlementaires israéliens.

La Liste arabe unie, composée d’islamistes modérés et de notables nationalistes, est le principal gagnant avec 4 sièges. Le Front démocratique pour la paix et l’égalité, dirigé par le Parti communiste israélien (Hadash), et l’Alliance démocratique nationale (Balad) obtiennent pour leur part chacun 3 sièges.

Bien que tout le monde s’accorde à dire que depuis l’assassinat d’Yitzhak Rabin en novembre 1995, les représentants arabes ont été incapables de se servir de la Knesset pour améliorer la situation catastrophique des Palestiniens, ce résultat indique que la majorité de la population palestinienne d’Israël veut affirmer son existence nationale et ses aspirations politiques et sociales à travers ses propres représentants nationaux. Une telle démonstration est particulièrement importante au moment où l’extrême droite raciste a renforcé sa représentation à la Knesset et alors que le discours public anti-arabe est plus toléré que jamais dans le passé. Car trente ans après le Jour de la Terre (30 mars), les acquis durement arrachés par les Palestiniens entre 1980 et 1996 pour combattre la discrimination semblent avoir complètement disparu aujourd’hui.
Le nouveau gouvernement

Ehud Olmert dispose d’une abondance d’options pour former sa nouvelle coalition, appuyée sur une majorité parlementaire solide. Presque tous les partis juifs ont annoncé qu’il veulent faire partie de la coalition, depuis Israël Beitenou (Israël, notre foyer), le parti d’extrême droite d’Avigdor Lieberman qualifié de « fasciste » par Yossi Sarid, l’ancien ministre du Meretz, jusqu’au Meretz lui même, parti de gauche (7).

Ce gouvernement aura deux objectif principaux : améliorer (légèrement) les conditions de vie de la majorité de la population israélienne et poursuivre le processus de redéploiement unilatéral en Cisjordanie. Ces deux objectifs bénéficient d’un soutien majoritaire dans l’opinion publique israélienne et dans la nouvelle Knesset.

La principale question en suspens est de savoir si Ehud Olmert aura assez de détermination pour affronter ceux qui s’opposent à ces politiques : d’une part aux grandes entreprises israéliennes, à la Banque mondiale et aux capitaines de l’establishment économique israélien, qui constituent le noyau dur de son propre parti, et d’autre part aux partis de droite, qui malgré leur défaite restent encore capables de mobiliser des centaines de milliers de manifestants contre tout changement qui pourrait conduire à la réduction du contrôle israélien sur les Territoires occupés.

A la différence d’Ariel Sharon, qui était prêt à affronter toutes les pressions extérieures, Ehud Olmert est connu comme un politicien y cédant facilement. En d’autres termes, le nouveau gouvernement, qui devra inclure de nombreux partis disposant de priorités contradictoires, sera l’arène d’une confrontation dure, tant sur le terrain politique que sur le terrain socio-économique. Ceux qui espéraient qu’Israël était sur le point d’entrer dans une nouvelle période de stabilité se sont complètement trompés.

* Cet article a été écrit pour le prochain numéro de la revue de l’Alternative Information Center (AIC), News From Within, qui a bien voulu nous le communiquer. Traduit de l’anglais par J.M.

1. Likoud (Union), parti traditionnel de la droite, au gouvernement lors de la dernière Knesset (40 députés) avant son éclatement à la suite de l’évacuation des colonies de Gaza, décidée par Ariel Sharon. Dirigé par l’ex-ministre des Finances Benyamin Nétanyahou.
2. Kadima (En avant), nouveau parti formé par Ariel Sharon après une scission du Likoud, auquel se sont joints des militants de ce parti et des transfuges du parti travailliste, tels Shimon Pérès, Haïm Ramon, Dalia Ytshik. Dirigé par Ehud Olmert, Premier ministre par intérim après l’attaque cérébrale de Sharon, ce parti a pour ambition de « fixer les frontières définitives du pays » de manière unilatérale.
3. Parti travailliste (Avoda, littéralement « Travail »), dirigé par Amir Peretz, ex-secrétaire général de l’Histadrut (centrale syndicale).
4. Meretz (Energie), parti du camp de la paix, dirigé par Yossi Beïlin, était prêt à se joindre à une coalition dirigée par Kadima.
5. Shas est le parti religieux orthodoxe séfarade alors que Yahadout Hatorah est le parti religieux ashkénaze.
6. Les accords entre Kadima et le Parti travailliste du 23 avril ont finalement accordé le ministère des finances à Avraham Hirschson (Kadima), alors qu’Amir Peretz a obtenu le ministère de la défense.
7. Le gouvernement Olmert devrait finalement avoir l’appui d’une coalition comprenant les partis Kadima, Travailliste, Shas, Yahadout Hatorah et Israël Beitenou. Le 23 avril Kadima et Avoda (travaillistes) sont tombés d’accord sur l’augmentation progressive du salaire minimum, qui devrait atteindre l’équivalent de 800 euros par mois à la fin du mandat de la Knesset, et être augmenté de 250 shekels (44 euros) dès le 1 juin 2006, puis de 125 shekels (22 euros) en avril et de nouveau de 125 shekels en juillet 2007.