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PAKISTAN

« Il est dangereux de s’opposer aux militaires »

Le message de BENAZIR BHUTTO

Dimanche 30 décembre 2007

Le 7 novembre 2007, alors que le président Pervez Musharraf venait de décréter la loi martiale, Benazir Bhutto publiait une opinion dans le New York Times, appelant les grandes démocraties à la rescousse, et reconnaissait qu’elle prenait des risques.

Le 3 novembre 2007 restera comme le jour le plus sombre de l’histoire du Pakistan. Il est temps de parler sans détours : le Pakistan est une dictature militaire. Samedi dernier [le 3 novembre], le général Pervez Musharraf s’est dépouillé de tous les prétendus oripeaux d’une démocratie en transition en se livrant à ce qui a été en réalité un nouveau coup extraconstitutionnel. Ce faisant, il a mis en danger la viabilité du Pakistan en tant qu’Etat indépendant. Il a confronté les forces démocratiques du pays à une décision difficile : elles ont le choix entre accepter la brutalité de la dictature ou descendre dans la rue pour montrer au monde ce que pense vraiment le peuple pakistanais.

Le général Musharraf a également contraint le monde démocratique, et en particulier les pays occidentaux, à se poser une question. Accompagneront-ils leur rhétorique démocratique d’une action concrète ou feront-ils une fois de plus marche arrière face à son coup de poker ? Selon moi, le parti au pouvoir du général Musharraf a compris qu’il serait laminé dans le cadre de n’importe quelles élections libres. Par conséquent, en accord avec ses alliés au sein des services de renseignements, il s’est arrangé pour faire suspendre la Constitution et reporter indéfiniment les élections. De façon fort pratique, la tentative d’assassinat dont j’ai fait l’objet le mois dernier, qui a causé la mort d’au moins 140 personnes, sert de justification pour bloquer le processus démocratique qui aurait sans doute vu mon parti remporter les législatives haut la main. Cela explique peut-être pourquoi le gouvernement a refusé d’autoriser le FBI et Scotland Yard à prendre part à l’enquête médico-légale sur les attentats.

A l’instant où j’écris, des manifestations ont lieu dans tout le Pakistan. Les membres des partis d’opposition, des avocats, des juges, des défenseurs des droits de l’homme et des journalistes ont été arrêtés par la police sans chef d’inculpation. La presse fait l’objet de graves restrictions. Le président de la Cour suprême et de nombreux autres magistrats seraient assignés à résidence.

Les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et une grande partie de l’Occident ont toujours dit ce qu’il fallait à propos de la démocratie au Pakistan et dans le reste du monde. Je me souviens des mots du président Bush lors de son second discours inaugural, quand il a lancé : "Tous ceux qui vivent dans la tyrannie et le désespoir doivent le savoir : les Etats-Unis ne fermeront pas les yeux sur votre oppression, ni n’excuseront vos oppresseurs. Quand vous vous dresserez pour votre liberté, nous serons à vos côtés."

Le seul gouvernement des Etats-Unis a déjà versé plus de 10 milliards de dollars d’aide au régime de Musharraf depuis 2001. On ignore précisément comment cet argent a été dépensé, mais une chose est sûre : il n’a pas permis de défaire les talibans ni Al-Qaida, il n’a pas servi à capturer Oussama Ben Laden, et il n’a pas non plus contribué à lutter contre le trafic d’opium. Et il n’a certainement pas servi à améliorer le quotidien des familles et des enfants pakistanais.

Washington a les moyens de promouvoir la démocratie – le seul moyen de combattre efficacement l’extrémisme et le terrorisme – en faisant savoir au général Musharraf que les Etats-Unis sont opposés à l’instauration de la loi martiale et qu’ils attendent de lui qu’il organise dans les soixante jours des élections libres, justes et impartiales, sous le contrôle d’observateurs internationaux et d’une commission électorale reconstituée. Il faut lui donner le choix entre d’une part la démocratie et d’autre part la dictature et l’isolement.

Si la communauté internationale a bien un rôle à jouer dans la lutte contre la tyrannie, c’est d’abord au peuple pakistanais qu’incombe cette responsabilité. C’est aux Pakistanais de dire au général Musharraf qu’ils n’acceptent pas la loi martiale. La grande majorité des Pakistanais sont modérés. Aussi, j’espère qu’ils présenteront un front uni dans une grande coalition de modérés pour faire reculer à la fois les dictateurs et les extrémistes, restaurer le pouvoir civil à la présidence et fermer les madrasas, ces écoles islamistes qui cachent des armes et prêchent la violence.

Il est dangereux de se dresser contre une dictature militaire, mais il est encore plus dangereux de ne rien faire. Le moment est venu pour les démocraties occidentales de montrer par leurs actes, et pas seulement par des paroles, de quel côté elles sont.

Benazir Bhutto