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Russie

Face à la crise

Samedi 4 octobre 2008, par Jacques Sapir

La Russie a été touchée de plein fouet par le cyclone issu des Etats-Unis. La Bourse de Moscou a connu de violents soubresauts. Les grandes banques russes ont été confrontées à une forte contraction des liquidités et au départ de capitaux étrangers motivés par la crise financière. Pourtant, la Russie est certainement l’économie la mieux placée pour résister à la tempête financière actuelle.

Relativement épargnée par la crise financière jusqu’au début de l’été 2008, la Russie a été touchée de plein fouet par le cyclone issu des Etats-Unis. La Bourse de Moscou a connu de violents soubresauts. Les grandes banques russes ont été confrontées à une forte contraction des liquidités et au départ de capitaux étrangers motivés par la crise financière qui a poussé de nombreux acteurs américains et anglais à rapatrier leurs fonds pour tenter de survivre.

Tout ceci, survenant dix ans après la dramatique crise de 1998 ne peut que susciter l’inquiétude. Pourtant, la Russie est certainement l’économie la mieux placée pour résister à la tempête financière actuelle.

La croissance de la Russie ne dépend pas des marchés financiers internationaux. Le système bancaire russe n’a pas été impliqué dans la spéculation sur les titres dérivés issus du marché hypothécaire américain. Même si certaines banques russes ont pu essuyer des pertes quand leurs correspondants ont fait faillite, il n’y a rien qui puisse se comparer aux pertes subies par la banque suisse UBS, les grandes banques américaines ou certaines banques européennes. Enfin, les réserves financières du pays sont conséquentes, qu’il s’agisse de celles du Ministère des Finances ou de celles de la Banque Centrale.

La situation de l’économie russe est plus saine qu’en août 1998, mais aussi plus saine que celle de nombreux pays européens. L’endettement des ménages est faible alors qu’il dépasse 100% du PIB en Grande-Bretagne et en Espagne et 93% aux Etats-Unis. Les finances publiques dégagent un excédent impressionnant qui ne sera pas mis en cause même si le prix du baril de pétrole devait retomber pour un temps à 80 Dollars. Quant à la croissance, même si elle devait baisser de 8% à 7% cette année, elle continuerait de faire rêver la totalité des dirigeants européens.

Ceci ne signifie pas que l’économie russe soit parfaite, loin de là. Le système bancaire reste mal organisé, sans véritables connexions entre les grandes banques et les banques moyennes. Il ne contribue que faiblement à l’investissement et les entreprises de taille moyenne ont du mal à trouver les capitaux nécessaires à leur développement. Les infrastructures n’ont pas encore pleinement récupéré de la crise des années 1990 et l’industrie russe doit encore beaucoup se moderniser pour devenir pleinement compétitive. La très faible efficacité énergétique de l’industrie conduit à d’importants gaspillages des ressources en hydrocarbures ainsi qu’à une hausse des coûts de production. Enfin, les fruits de la croissance de ces dernières années sont loin d’avoir été distribués si ce n’est avec justice du moins avec la cohérence nécessaire pour engendrer les gains de productivité nécessaires à la modernisation. Bref, des efforts importants restent à accomplir, mais ceci était vrai avant que la tempête de la crise ne se déchaîne et ne lui est nullement lié.

L’inquiétude qui saisit une partie de l’opinion n‘est donc pas justifiée, même si elle est compréhensible. Le traumatisme de la crise de 1998 n’est encore que trop présent dans les mémoires. C’est pourquoi il faut faire preuve de responsabilité quand on évoque les menaces et les dangers pesant sur l’économie russe et ne pas inventer des problèmes là où ils ne sont pas. Si des épargnants doivent s’inquiéter pour leurs dépôts, ce sont les épargnants américains et non les russes. Agiter le spectre de la crise financière est aussi intelligent que de hurler « le bateau coule » à la première vague.

La crise financière américaine implique une réaction de la part du gouvernement russe, mais pas de panique. De fait, l’action des autorités russes depuis le 15 septembre a été judicieuse et contraste avec les hésitations américaines. En alimentant les banques en liquidité et en soutenant la Bourse, on a permis au système financier de traverser les vagues de cette tempête. D’autres suivront probablement, car la crise financière américaine est profonde et elle traduit, au-delà des erreurs qui ont été commises, la crise du modèle économique américain tel qu’il s’est développé depuis les années 1980. L’hégémonie financière des Etats-Unis est touchée en profondeur et le temps où Wall Street était La Mecque de la finance internationale et le Dollar la référence incontestée et incontestable est derrière nous.

Cette crise nécessite des ajustements importants. Certains sont relativement simples à identifier. Les autorités russes doivent veiller au soutien de l’investissement et de la consommation. Il faut à la fois une politique sociale plus ambitieuse et la mise en place d’institutions financières permettant aux entreprises qui portent la modernisation et la diversification de l’appareil productif de trouver les capitaux dont elles ont besoin. Il est évident que des fonds d’investissements publics ou mixtes, associant l’Etat et le secteur privé, doivent se mettre en place à relativement court terme. Le poids de la puissance publique dans l’économie va augmenter au cours des mois à venir, ce qui rend la définition d’une politique industrielle ambitieuse d’autant plus important. Par ailleurs, il est aujourd’hui clair que placer les avoirs du Fond de Stabilisation en valeurs américaines n’est pas une bonne stratégie.

Mais la Russie doit aussi prendre conscience de ses responsabilités internationales dans le domaine financier. La crise de l’hégémonie financière américaine sera une menace pour la stabilité économique globale tant qu’une solution collective ne sera pas trouvée. La Russie ne peut à elle seule répondre à cette question, mais elle ne doit pas pour autant s’en désintéresser.

Pays au carrefour de l’Europe et de l’Asie, économie qui va contribuer par son dynamisme à la croissance européenne, la Russie est bien placée pour inviter les autres grands acteurs de la scène financière internationale - la Chine et les pays européens en particulier - à coopérer.

Jacques Sapir est professeur d’économie à l’Ecole des Hautes Études en Sciences Sociales à Paris