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PALESTINE

Comment ne pas voir ce qui se passe ?

Vendredi 27 octobre 2006, par Amira Hass

Laissons de côté ces Israéliens dont l’idéologie soutient la dépossession des Palestiniens parce que « Dieu nous a choisis ».

Laissons de côté ces juges qui blanchissent les militaires de leurs politiques de massacre et de destruction.

Laissons de côté les commandants militaires qui en toute connaissance emprisonnent sciemment une nation toute entière en édifiant des murs, en érigeant des tours d’observation, avec leurs mitrailleuses, leurs barbelés et leurs projecteurs qui aveuglent.

Laissons de côté les ministres. Tous ceux-là ne sont pas considérés comme des collaborateurs. Ce sont les architectes, les planificateurs, les concepteurs, les bourreaux.

Mais il y a d’autres collaborateurs à cette politique. Ce sont les historiens et les mathématiciens, les rédacteurs en chef, les psychologues et les médecins de famille, les avocats qui ne soutiennent pas Gush Emunim et Kadima, les professeurs et les éducateurs, les magiciens de la haute technologie.

Où êtes-vous ? Et que diriez-vous, vous les chercheurs qui étudient le nazisme, l’Holocauste et les goulags soviétiques ? Etes-vous tous en faveur des lois de discrimination systématique ? Les lois qui déclarent que les Arabes de Galilée ne seront pas compensés des dommages de la guerre au même titre que leurs voisins juifs ? (voir l’article de Aryeh Dayan, Haaretz, 21 août).

Se pourrait-il que vous soyez tous en faveur de la loi raciste de citoyenneté qui interdit à un Arabe israélien de vivre avec sa famille dans sa propre maison ? Se pourrait-il que vous soyez tous en faveur de l’expropriation des terres palestiniennes et de la démolition de leurs vergers au profit des colonies juives ou pour construire des routes réservées exclusivement aux juifs ? Se pourrait-il que vous soyez en faveur des bombardements et des missiles qui tuent les vieux comme les jeunes dans la bande de Gaza ?

Se pourrait-il que vous soyez en faveur de l’exclusion du tiers de la Cisjordanie (la vallée du Jourdain) de la Palestine ? Que vous souteniez la politique israélienne qui empêche des dizaines de milliers de Palestiniens qui ont obtenu une citoyenneté étrangère de revoir leurs familles dans les territoires occupés ?

L’excuse de la Sécurité a-t-elle pu vraiment laver votre cerveau pour que vous acceptiez que les étudiants de Gaza soient interdits d’étudier la thérapie professionnelle à Bethléem et la médecine à Abu Dis (banlieue de Jérusalem), et d’empêcher les personnes malades de Rafah de recevoir un traitement médical à Ramallah ?

Cachez-vous votre tête dans le sable comme l’autruche en affirmant que vous n’aviez aucune idée de ce qui se passe ? Vous n’aurez « aucune idée » de la discrimination pratiquée dans la distribution de l’eau - sous la domination entière d’Israël - où des milliers de ménages palestiniens restent sans eau durant les chaleurs d’été ? Vous n’auriez aucune idée des barrages militaires qui bloquent l’entrée des villages et l’accès aux sources et aux réservoirs d’eau ?

Mais peut-être que vous n’avez pas non plus vu les barrières de fer le long de la route 344 en Cisjordanie, qui bloquent l’accès aux villages palestiniens voisins. Il n’est pas possible que vous souteniez l’interdiction faite à des milliers de fermiers d’accéder à leur terre et à leurs plantations, il n’est pas possible que vous souteniez la mise sous quarantaine de Gaza, mise sous quarantaine qui empêche l’accès aux soins dans des hôpitaux, la rupture de l’électricité et l’approvisionnement en eau pour 1.4 million d’êtres humains et leur contact avec le monde extérieur pendant des mois.

Se pourrait-il que vous ne sachiez pas ce qui se produit à 15 minutes à peine de vos facultés et de vos bureaux ? Est-il possible et vraissemblable que vous souteniez un système dans lequel des soldats hébreux des checks-points au coeur de la Cisjordanie, qui laissent des dizaines de milliers de personnes attendre chaque jour pendant des heures sous le soleil brûlant pour dire que les résidents de moins de 35 ans de Naplouse et de Tulkarem ne sont pas autorisés à passer, pour dire que les résidents du village de Salem n’ont pas à être là, pour dire qu’une femme malade qui a osé sauter une file d’attente doive recevoir une leçon et sera à bon escient détenue pendant des heures. Le site internet Machsom Watch est disponible pour tout le monde ; Il recense les innombrables témoignages et les plus flagrants, jour par jour. Aussi n’est-il pas possible que ceux qui ont été horrifiés de voir une croix gammée peinte sur une tombe juive en France ou un article antisémite dans un journal local espagnol ne sachent pas accéder à ces informations et à ce site et qu’ils ne soient pas horrifiés et outragés !

En tant que juifs, nous apprécions tous le privilège qu’Israël nous a donné, ce qui fait de nous des collaborateurs de ce pays. La question est de savoir ce que fait chacun de nous quotidiennement de façon active et directe pour réduire au minimum la collaboration avec ce régime de dépossesion et d’expropriation. La signature de pétitions ne suffit pas. Israel est une démocratie pour ses juifs. Nous ne sommes pas en danger de mort, nous ne risquons pas d’être emprisonnés dans des camps de concentration, notre gagne-pain et nos loisirs à l’intérieur comme à l’extérieur ne seront pas remis en cause. Par contre, le fardeau de la collaboration et de la responsabilité directe (dans la situation faite aux Palestiniens) est immensément lourde à porter. »

Source : Haaretz, 30/8/06

Amira HASS est journaliste israélienne, lauréate du Prix Mondial de la Liberté de la Presse 2003