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Comment Israel a voulu tuer la mémoire

Mercredi 21 mai 2008, par Ilan Pappe

Aucune opération de nettoyage ethnique ne se contente simplement de chasser la population et de l’expulser de sa terre. Un élément tout à fait caractéristique du nettoyage ethnique est l’effacement des peuples de l’Histoire.

Entre février et décembre 1948, l’armée israélienne a systématiquement occupé les villages et villes de Palestine, expulsant par la force les Palestiniens, détruisant aussi dans la plupart des cas les habitations, pillant et s’appropriant leurs possessions matérielles et culturelles. C’était le nettoyage ethnique de la Palestine.

Pendant ce nettoyage ethnique, partout où se manifestait une résistance de la population, un massacre avait lieu. Nous avons recensé plus de 30 cas où tels massacres se sont produits ; plusieurs milliers de Palestiniens ont ainsi été assassinés par les forces israéliennes tout au long de l’opération de nettoyage ethnique.

L’armée israélienne étant un peu lasse vers la fin de l’opération et les villages palestiniens s’étant rendus compte de ce qui les attendait [s’ils résistaient], l’armée n’a pas réussi à expulser tous les villages au nord de la Galilée. C’est pourquoi aujourd’hui nous avons ce que nous appelons les Arabes-Israéliens ou Israéliens-Arabes.

Un groupe de 50 à 60 villages a pu se maintenir dans l’état d’Israël et sa population a refusé de fuir et n’a pas été expulsé vers l’autre côté de la frontière - le Liban ou la Syrie.

La communauté internationale se rendait compte du nettoyage ethnique qui avait lieu mais elle avait décidé, particulièrement en Occident, de ne pas s’opposer à la population juive en Palestine après l’holocauste.

Par conséquent, il y avait une sorte de conspiration du silence et la communauté internationale n’a pas réagi et était complaisante ; ceci était très important pour les Israéliens parce que cela leur prouvait qu’ils pouvaient adopter le nettoyage ethnique et la pureté ethnique comme idéologie d’état.

Effacer l’histoire

Aucune opération de nettoyage ethnique ne se contente simplement de chasser la population et de l’expulser de sa terre. Un élément tout à fait caractéristique du nettoyage ethnique est l’effacement des peuples de l’Histoire.

Pour que le nettoyage ethnique soit une opération efficace et réussie vous devez également effacer les peuples de la mémoire et les Israéliens sont très bons dans ce domaine.

Ils ont procédé de deux manières.

Ils ont tout d’abord construit les colonies juives à l’emplacement de villages palestiniens qu’ils avaient vidés de leurs habitants, et ils leur ont souvent donné des noms qui rappelaient le nom palestinien pour prouver aux Palestiniens que tout était maintenant totalement aux mains d’Israël et qu’il n’y avait aucune chance au monde de revenir en arrière.

Ensuite, ils ont planté des arbres - le plus souvent des pins d’origine européenne - sur les ruines des villages et les ont transformés en parcs de loisirs où vous faites exactement le contraire d’une commémoration - vous profitez du jour présent, vous appréciez la vie, et il n’est question que de loisirs et de plaisir.

« Mémoricide »

C’est une arme très puissante pour exécuter le « mémoricide ». En fait, une grande partie de l’effort que les Palestinien aurait dû fournir - ou ont commencé à fournir tout récemment - c’était de lutter contre ce « mémoricide » en faisant au moins remonter à la surface la mémoire de ce qui s’est produit.

Je pense qu’il ne devrait y avoir aucune raison au monde pour que deux peuples - palestinien et juif - en dépit de tout qui s’est produit dans le passé ne soient pas en mesure de vivre réellement ensemble et dans un seul état.

Trois choses sont nécessaires pour que cela se produise.

Il faut en premier faire acte de ce qui s’est passé en 1948 - à savoir que les Israéliens reconnaissent le crime qui a été commis contre le peuple palestinien.

Deuxièmement Israël doit en être rendu responsable et la seule manière de rendre Israël redevable est qu’il accepte, au moins en principe, le retour des réfugiés palestiniens.

Et troisièmement il faut un changement de la position palestinienne et arabe pour que la présence juive en Palestine soit considérée comme quelque chose de légitime et normale et non pas comme une force colonialiste étrangère.

Je pense que ces principes devraient s’imposer et jusqu’ici les élites politiques des deux côtés sont peu disposées à les accepter.

* Ilan Pappe est l’un des « nouveaux historiens » israéliens, connu pour sa critique des politiques d’Israël à l’égard des Palestiniens. Parmi ses ouvrages traduits en français : La Guerre de 1948 en Palestine. Aux origines du conflit israélo-arabe (La Fabrique, 2000), et Une terre pour deux peuples. Histoire de la Palestine moderne (Fayard, 2004).

1è mai 2008 - Al Jazeera.net - Vous pouvez consulter cet article à :
http://english.aljazeera.net/NR/exe...
Traduction de l’anglais : Alverny