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IRAK

Cartographie de la résistance

Lundi 16 octobre 2006, par Tom Rid

Depuis la chute du régime, près de deux cents organisations et mouvements agissant sur le champ politique sont apparues ou réapparues en Irak, exprimant certes une nouvelle liberté d’opinion politique, mais aussi l’extrême division de la société irakienne.

Certaines de ces organisations ou de ces mouvements regroupent quelques dizaines de personnes, d’autres des dizaines de milliers.

Il y a tous les jours en Irak des organisations qui fusionnent ou qui meurent faute de militants, des coalitions naissent et meurent au fur et à mesure des échéances politiques et des intérêts spécifiques de chaque groupe.

C’est donc un champ politique particulièrement actif et mouvant que nous nous proposons de cerner. Aussi, prétendre tracer une cartographie exhaustive, ne serait-ce que des forces qui s’opposent politiquement à l’occupation et aux nouvelles institutions, relèverait de la gageure.
Les groupes, organisations, mouvements que nous allons étudier ici sont ceux qui ont soit une existence médiatique, soit ceux dont nous avons entendus parler lors de nos différents entretiens. Ces entreprises politiques ont toutes un point en commun, le discours et l’action politique contre l’occupation et pour le retrait immédiat des forces de la coalition.

La majorité de ces groupes refusent aussi toute participation aux nouvelles institutions politiques créées sous la direction des forces de la coalition, l’exception ici étant le mouvement As Sadr II.

Enfin, nous avons essayés de classer ces organisations en fonction de ce que nous considérons être leurs filiations avec les trois courants historiques qui ont structurés la vie politique irakienne, c’est-à-dire l’Islam politique, le nationalisme arabe, et le progressisme.

Comme nous le verrons plus loin, cette catégorisation n’est plus forcément opérante, ainsi des mouvements ou organisations issues du courant nationaliste ou des organisations considérées comme progressistes font parties de fronts qui rassemblent des organisations nationalistes panarabes, islamistes, etc.

Mais justement il nous semble que cela permet de mettre ainsi en lumière l’évolution du champ politique irakien et de comprendre un peu mieux ce qui le polarise aujourd’hui.
Enfin, à l’exception du Comité des oulémas musulmans et du mouvement As Sadr II, dont le caractère de masse est indéniable, il est très difficile de préjuger de la surface réelle de la plupart des organisations et mouvements faisant partie de la résistance politique.
En effet, aucune d’entre elles, excepté le mouvement As SadrII, n’a participé aux élections, et peu de manifestations organisées en Irak font l’objet d’une étude suffisamment précise pour permettre de connaître le niveau de mobilisation de chaque organisation participante.
Evidemment, les conditions extrêmes de sécurité qui règnent en Irak affectent grandement les possibilités de mobilisations et d’expression publiques des organisations et mouvements du champ politique.

Cependant, lors de notre séjour en Irak en 2003-2004, nous avons pu participer à un certains nombres de manifestations diverses qui ont pu nous donner une échelle relative du niveau de mobilisation en Irak.
Ainsi en décembre 2003, une manifestation contre le terrorisme était organisée à Bagdad sous l’égide des partis du Iraqi Gouverning Council , et rassemblait environ 5000 personnes.

Le 20 janvier 2004, à Bagdad, plusieurs dizaines de milliers de manifestants répondent à l’appel de l’ayatollah Sistani pour réclamer des élections nationales .
Le 15 mars 2004, une manifestation appelée à Bagdad par les organisations de L’Iraqi National Foundation Congress et notamment le Comité des oulémas musulmans et le mouvement As SadrII rassemblait environ 5000 personnes.
Le 30 mars 2004, une manifestation est organisée par le mouvement As SadrII pour protester contre la fermeture administrative de son journal, al hawza, et rassemble entre 8 et 10 000 personnes.

A) Le courant nationaliste arabe

Ces organisations sont issues du courant nationaliste arabe ou panarabe et principalement du parti Baath et de ces scissions ou des courants nasséristes irakiens.
Elles ont gardés un discours reprenant les thèmes du nationalisme arabe et de l’anti-impérialisme. Ces organisations oscillent entre un nationalisme plutôt conservateur et islamique comme celui du mouvement nationaliste arabe et un discours plus laïc comme celui du People Struggle Mouvement.

Le parti de la Renaissance arabe socialiste (le Baath) :
Le parti Baath était le parti officiel de la dictature et les quelques millions d’irakiens qui en étaient membres, avant le début de la guerre en 2003, n’avaient pas forcément le choix.

Comme ce fut le cas dans d’autres régimes autoritaires qui avaient un parti officiel, lorsque la dictature de Saddam Hussein est tombée, un grand nombre de ses militants l’ont quitté. En outre, avec la de-ba’athification , le parti a été interdit en 2004 et il est rentré dans la clandestinité.

Il est donc très difficile d’avoir une idée même partielle de ses activités et de son envergure en Irak. Il semble que ce soit Izzat al Duri, ancien vice-président de l’Irak qui ait pris les commandes du parti aujourd’hui.
Dans une étude sur les groupes armés qui s’opposent à la résistance, l’International Crisis Group considère que la chute du régime, l’emprisonnement de Saddam Hussein et bien sûr les trente années de dictature ont largement discrédité le parti Baath et qu’aujourd’hui, il a largement perdu de son influence dans la société irakienne .

Cependant, l’organisation dispose d’un certains nombres de sites Internet qui relaient sa ligne et ses initiatives politiques .

On notera tout de même l’utilisation grandissante de terminologies islamiques dans les discours du Baath, ce qui confirme le tournant islamique du parti et du régime durant les années 1990.

Ainsi, Saddam Hussein est dénommé le commandeur des mujahedeen, chef du Jihad. La plupart des communiqués du parti commencent par la formule islamique traditionnelle : « Au nom de dieu le miséricordieux… ».
D’autres part, le parti reconnaît l’existence d’un « front » de la résistance qui dépasse le simple cadre du Parti Baath et regroupe d’autres forces patriotiques, islamiques et nationalistes, mais dont il déclare être la direction.

Iraqi Patriotic Alliance :

Dirigé par Abdel Jabbaar Al-Kubeisi, ce groupe a été créé en 1992 après la scission d’une partie du Ba’ath pro syrien (Le parti de la renaissance arabe et socialiste - commandement irakien -), après la deuxième guerre du Golfe et rassemble principalement des Ba’athistes et des nationalistes de gauche.

Cette organisation a été une des premières à se rapprocher du régime de Saddam Hussein au milieu des années 90.
Aujourd’hui, l’organisation déclare avoir des militants faisant partie de groupes armés qui combattent les forces de la coalition, et les nouvelles institutions irakiennes.
Autour de l’IPA, gravitent un certains nombres d’organisations « de masse » telles que l’Iraqi Flame (Wahaj el-Iraq), dont le président est le Sheikh Majeed al-Gaood de la tribu des Dulaym.

Deux autres organisations l’Iraqi Society against Zionism and Racism et le Movement of the Iraqi Citizenship sont régulièrement parties prenantes des initiatives de l’IPA. L’Iraqi Patriotic Alliance s’adresse elle aussi à l’ « ensemble des forces de la résistance » qu’elles soient islamiques, nationalistes ou patriotiques, mais tout en gardant un discours beaucoup plus laïque que le parti Baath.

L’IPA dispose aussi de relais à l’extérieur de l’Irak qui diffuse ses positions politiques et ses initiatives . Il faut noter qu’un certain nombre de ses relais militants et médiatiques sont les mêmes que celui du Parti Baath de l’ancien régime.

Enfin, il faut voir dans l’IPA un courant médiateur entre le parti Baath et le reste du champ de la résistance politique. Il milite pour la réintégration du parti Baath dans le champ politique, ce que les autres forces ont jusqu’à maintenant toujours refusés. C’est ainsi le seul jusqu’à présent qui a signé un texte commun avec le parti Baath.

People’s Struggle Movement (al Kifah al Shab) :
Mouvement créé en 2003, dirigé par Mohammed al-Obaidi, professeur de science politique.
Le mouvement a appelé au boycott des élections de 2005 et pris part à de nombreuses conférences, contre l’occupation et le processus de transition mis en place par les forces de la coalition, en Irak mais aussi en Europe.

Parti de la réforme démocratique (al hisb al islah wa democracya) : ancien Baath pro syrien ( parti de la Renaissance arabe socialiste –commandement central-) . Le parti qui est issu de la scission du Baath de 1961 est dirigé depuis la Syrie, et en Irak, il est représenté par Issam Ayed. L’un de ses représentants en Syrie est Fawzi al Rawi, que nous avons rencontré en mars 2006.
L’organisation qui a été largement réprimée sous le régime de Saddam Hussein, dispose de peu de relais en Irak. Cependant, depuis la décision de changer le nom du parti, l’organisation a participé à de nombreuses initiatives politiques contre l’occupation, dont la création de l’Iraki National Foundation Congress.
L’organisation de femmes, Women’s Will, représentée par Hana Ibrahim est proche du parti de la Réforme démocratique.

Le mouvement (ou courant) nationaliste arabe :
Ce mouvement est dirigé par Subhi abdul Hamid, ancien ministre des Affaires Etrangères sous le régime Aref et Wamid Omar Nadhmi professeur de science politique à de l’université de Bagdad. Le mouvement rassemble surtout des intellectuels, professeurs d’universités et des anciens officiers d’obédiences nasséristes ou proches du général Aref.

Le mouvement a participé à toutes les initiatives de l’Irak National Foudation Congress, Subhi abdul Hamid est d’ailleurs un des représentants du congrès.
Pour Tarek al Dulaymi, cette organisation est une des premières qui ait réellement dénoncé l’occupation et il considère que ce mouvement a un rôle idéologique important et influent dans la construction du courant « islamiste-nationaliste » en Irak.

Majoritairement sunnite, le Mouvement nationaliste arabe est d’ailleurs très proche du Comité des oulémas musulmans.

Par ailleurs, Wamid Omar Nadhmi a participé aux « Arab National Conference »organisés sous l’égide du Center for Arab Studies à Beyrouth et qui visent entre autres à favoriser les rapprochements entre militants islamistes et militants nationalistes arabes et l’élaboration d’une base programmatique commune .

D’autres organisations issues du courant nassériste, comme le Parti nassériste unie ou le Parti nassériste socialiste, apparaissent sporadiquement dans certaines manifestations ou notamment lors d’initiatives politiques comme celles de l’Iraqi National Foundation Congresss .

B) Le Courant progressiste

Exepté le Parti communiste ouvrier d’Irak, toutes les organisations qui vont suivrent sont issues de scissions ou de militants qui ont fait partie du Parti communiste irakien.

Le Parti communiste ouvrier d’Irak : Le Parti communiste ouvrier d’Irak (PCOI) créé en 1993 dans la zone autonome kurde. Il a depuis développé ses activités dans le reste de l’Irak.
C
ette organisation a pris régulièrement parti contre l’occupation et a refusé de reconnaître les diverses institutions créées par les autorités d’occupation.
D’inspiration maoïste, le PCOI défend une ligne politique anti-impérialiste, anti-nationaliste et violemment anti-religieuse, ce qui le rend assez unique en Irak.
Refusant la lutte armée, cette organisation s’est focalisée sur le développement d’organisations de masses.
Ayant créé un syndicat de chômeurs fin 2003, elle a réussi à organiser un certain nombre de manifestations de chômeurs relativement importantes en 2003 et 2004 . Depuis, le syndicat s’est élargit pour devenir la Fédération des conseils ouvriers et syndicats en Irak.
Elle dirige aussi une organisation féministe, la « Women Freedoom Organisation » qui a reçu un certain écho international.

Cependant, le sectarisme et l’ultra progressisme du PCOI la rendent assez marginale et isolée dans le champ politique irakien.

Cette organisation a récemment participé à la création d’un front, le Congrès des libertés en Irak qui regroupe les deux organisations de masses du parti (FCOSI, WFO) mais aussi le puissant Syndicat des ouvriers du pétrole de Bassora (Southern Oil Company Trade Union) dirigé par Hassan Juma et qui représente plusieurs milliers de salariés dans le Sud de l’Irak et qui a organisé plusieurs grèves victorieuses en 2004 et 2005.
Le PCOI dispose de nombreux relais et réseaux de solidarité à l’extérieur de l’Irak.

Le Parti communiste irakien -Commandement Central- (al Hizb al-Shuyu’i al-Iraqi - Al-Qiyadah al-Markaziyah) : Scission historique du Parti communiste irakien, dirigée par Ibrahim Allawi, qui a conduit une lutte de guérilla contre le régime Baathiste à la fin des années 1960.
Le Parti tient un discours anti- impérialiste, marxiste et nationaliste arabe.

Il a participé à certaines initiatives communes avec l’Iraqi Patriotic Alliance mais aussi l’Iraqi National Found Congress, sans pour autant formellement adhérer à l’un ou à l’autre de ces regroupements.
D’après certaines sources proches du parti, quelques uns de ses militants prennent part aux actions de groupes armés qui s’opposent à l’occupation.

Enfin, Le PCI –Commandement central- a entamé un processus de fusion avec deux autres forces marxistes l’Organisation communiste unifiée et L’Organisation démocratique du 14 juillet.

Le Parti communiste irakien -Courant des cadres- (Hizb al-Shuyu’i al-’Iraqi - al-Kader) : Scission du Parti communiste irakien datant de 1985 et dirigée par Nuri al Muradi.

Considéré comme proche du parti Baath, le PCI -Courant des cadres- a déclaré en août 2004 qu’il était solidaire de Saddam Hussein et considérait qu’il était toujours Président de la République .

Plus intéressant, en janvier 2004, le parti, dans un long développement sur la situation politique, a décidé qu’il renonçait à l’athéisme, tout en se considérant toujours comme marxiste et a appelé à une alliance avec toutes les forces islamistes anti-impérialistes et particulièrement le courant salafiste.

Le Courant national démocratique irakien :
Dirigé depuis l’extérieur de l’Irak par Abdel Amir Al Rekabi, ex opposant à la dictature Baathiste, exilé en France. Cette structure regroupe des « islamistes de gauche », des nationalistes et communistes dissidents.

C) Le Courant islamique

Le Mouvement As Sadr II (Jamaat al-Sadr al-Thani) :
D’une surface militante et politique qui semble bien plus importante que les organisations que nous avons précédemment citées, le mouvement Al Sadr II est dirigé par Moktada Al Sadr.

Bénéficiant d’une base importante dans l’immense quartier pauvre d’Al Sadr à Bagdad, qui représente plus d’un millions d’habitants, mais aussi dans le sud à Bassora, Nadjaf et Nassirya, le mouvement Al Sadr II a considérablement augmenté son influence dans la communauté chiite et plus largement dans la société irakienne. Il a pu créer une milice armée de plusieurs milliers de militants , il a organisé de nombreuses manifestations de plusieurs dizaines de milliers de personnes.

Le mouvement a un discours violemment antiaméricain, islamiste, insistant sur la le rôle de la shari’a et promeut un nationalisme plutôt pro arabe.
Il a ainsi pris position contre le fédéralisme, pour un Irak uni et par exemple organisé des manifestations pour que la ville de Kirkuk reste considérée comme arabe et ne soit pas intégré au Kurdistan irakien.

Il appelle à l’unité des irakiens chiites/sunnites contre l’occupation, mais il fait aussi référence régulièrement au caractère arabe de l’Irak et en appelle à la solidarité de la Nation arabe.

De fait, malgré son caractère communautaire affirmé et la mauvaise réputation de sa milice, l’armée du Mahdi, est sans doute le seul mouvement chiite qui reçoit un accueil plutôt favorable de la part d’une partie importante de la communauté sunnite . Il entretient ainsi un dialogue, certes parfois houleux mais constant avec le Comité des oulémas musulmans.

Si ce mouvement islamiste chiite a véritablement émergé après à la chute du régime, en 2003, c’est le père de Moktada al Sadr, l’ayatollah Muhammad Sadiq Al Sadr qui avait créé l’ossature de ce mouvement au milieu des années 1990.

Voulu avant tout comme un vaste mouvement populaire chiite de ré-islamisation organisé autour des husseynya et de mosquées, l’ayatollah Sadiq al Sadr reprenait et popularisait d’une certaine façon l’héritage de l’ayatollah Baqr al Sadr et de la Jamaat al ulama et du parti Dawa de la fin des années 1950.

De la période du père de Moktada, le mouvement a gardé et même développé l’ancrage populaire, voire « prolétaire » urbain et rural et aussi la défiance vis-à-vis de la marjayya plutôt quiétiste dirigée par l’ayatollah Sistani. C’est l’aura de son père qui a permis à Moktada al Sadr, qui est âgé d’une trentaine d’années, de reprendre les reines du mouvement.

Cependant il lui manque l’autorité savante et religieuse dont bénéficiait sont père et il a dû composer avec nombres de cheikhs et de cadres qui appartenaient déjà à la mouvance sadriste du temps de l’ayatollah al Sadr.
Ainsi, il a dû pendant près d’un ans se prévaloir de l’autorité religieuse de l’ayatollah Kadhim al-Ha’iri, que son père avait désigné comme son successeur en tant que Marja. De même, le cheikh Muhammad al-Ya’qubi, qui fut étroitement associé au père de Moktada, a fondé le parti de la vertu (Hizb al-Fadhila) tout en continuant à se réclamer de l’héritage de l’ayatollah al Sadr et du mouvement sadriste .

Aussi, à la chute du régime de Saddam Hussein, on aurait tort de prendre le mouvement as SadrII pour une organisation structurée autour d’une ligne politique précise et d’une direction centralisée, au contraire c’est avant tout un mouvement populaire, plutôt décentralisé et organisé autour de cheikhs locaux souvent assez jeunes. Comme le reconnaît le Sayyed Hasan al Moussaoui, en parlant de la mouvance sadriste après la mort de l’ayatollah al Sadr : « (…) Après 1999, il y a eu du monde qui a voulu l’imiter (…) mais la structure n’était pas organisée. C’était spontané. »

C’est ce qui permet, sans doute, de comprendre un peu mieux l’origine de l’ambiguïté de la ligne politique du mouvement As SadrII et ses revirements quant à son attitude vis-à -vis de la Hawza ou de sa position quant à la participation aux différentes élections organisées sous l’égide des forces de la coalition.

Ainsi, Moktada al Sadr a officiellement refusé de prendre part aux élections tout en laissant la liberté aux militants de son mouvement d’y participer ou non. Une partie des cadres du mouvement sont ainsi rentrés dans la coalition chiite (l’Alliance irakienne unifiée) soutenue officieusement par l’ayatollah Sistani et ont même obtenus des postes au gouvernement.

De même, alors que le mouvement a officiellement cessé la résistance armée contre l’occupation, il n’empêche que sur le terrain, les affrontements violents entre l’armée du Mahdi, la milice du mouvement et les forces de l’occupation continuent .

Cependant, après les événements de Nadjaf en 2004, il semble que Moktada al Sadr ait voulu structurer le mouvement et ré-affermir sa direction. Un certains nombres de responsables, qui avaient pris un certain ascendant sur le mouvement ou des positions politiques trop divergentes de celle de Moktada al Sadr, ont été expulsés du mouvement, ou écartés de la direction du mouvement tel Hasan al Zargani qui représente maintenant le mouvement en Angleterre.

Dans le même esprit, une sorte d’« école du parti » a été instituée, l’institut du Mahdi [en référence au douzième imam, l’imam caché], qui se focalise sur l’enseignement du père de Moktada, l’ayatollah al Sadr.
Au-delà des modes de fonctionnement du mouvement as SadrII, on peut penser aussi que l’attitude contradictoire entre les différentes positions de Mokatad al Sadr et la réalité des actions entreprises sur le terrain, peut répondre à un certain opportunisme politique, particulièrement en ce qui concerne la participation aux élections de décembre 2005 et au gouvernement irakien qui les a suivies.

Lors des événements de 2004 où durant plusieurs mois il s’est opposé militairement aux forces de la coalition, mais aussi au leadership de la Hawza, le mouvement As SadrII a perdu des centaines de militants et il a vu de nombreux cadres de son organisation arrêtés
De plus, les longues semaines de guérilla notamment à l’intérieur des villes saintes de Nadjaf et de Karbala ont pu amener une partie de la communauté chiite à le tenir pour responsable des destructions et des pertes économiques importantes et à désapprouver une ligne politique de confrontation avec l’occupant jugée inconsciente.

Alors que tout donnait à croire que la communauté chiite allait se déplacer en masse pour voter, la décision de laisser le mouvement participer aux élections tout en martelant que son leader Moktada al Sadr n’y participerait pas, a permis d’alléger les pressions politiques et militaires qui restaient très fortes sur le mouvement et de ne pas se laisser marginaliser dans la communauté chiite, tout en gardant un profil anti-américain et nationaliste.

Enfin, lorsqu’il a accepté de participer au gouvernement issu des élections de décembre 2005, le mouvement de Moktada al Sadr s’est bien gardé d’occuper le ministère de l’Intérieur ou de la Défense qui aurait pu l’amener à prendre une part active dans la répression des groupes armés. Au contraire le mouvement s’est focalisé sur les services ; transport, santé, éducation, de manière à renforcer son ancrage au près de la population.

Le comité des oulémas musulmans ( Hayat al ulama al muslimin) :

Dans la communauté sunnite, le Comité des oulémas musulmans, créé quelques jours après la chute de Saddam Hussein en 2003, est représenté par le Cheikh Harith Sulayman al-Dari et le cheikh Abdel Salam al-Kubeissi.
Dès son avènement, l’organisation a tenu un discours nationaliste arabe et demandait le retrait des forces d’occupation et bien qu’il n’ait jamais appelé directement au Jihad contre l’occupation, le Comité des oulémas musulmans soutient le droit de résister par les armes à l’occupant.

L’organisation déclare regrouper un réseau de plus de 3000 mosquées, dont les très renommées mosquées Abu Hanifa , Al Gaylani et Um al Qura et un grand nombre d’associations et d’institutions religieuses sunnites d’Irak.

En fait, après le vide institutionnel et politique occasionné par la chute du régime, le Comité des oulémas musulmans a tout simplement pris en charge une grande partie du waqf sunnite et la redistribution de la zakat , et il a de même commencé à nommer lui-même des imams dans certaines mosquées au grand dam de l’Autorité provisoire de la coalition qui avait mis en place un comité (the Shari’a Observatory Comitee) pour reprendre en charge le ministère du waqf.

Bien que refusant de se considérer comme un acteur politique en tant que tel, le Comité des oulémas musulmans édicte des fatwas et « conseille » les différents acteurs politiques. Cela dit, il n’a pas hésité à appeler directement au boycott des élections de 2004 et de 2005 .
En fait, cette organisation religieuse tend à acquérir une position dans la communauté sunnite identique à celle que tient la Hawsa dans la communauté chiite, bien qu’elle ne dispose pas des mêmes moyens ni de la légitimité historique que la Hawza dans la communauté chiite. Du point de vue religieux, le Comité des oulémas musulmans a insisté sur le rôle de la shari’a comme source de la constitution irakienne mais n’a jamais appelé en tant que tel à un Etat islamique ou à l’établissement d’un califat.
De plus, les dirigeants du Comité des oulémas musulmans sont issus pour un bon nombre d’entre eux des clans sunnites du Nord-Ouest du pays dirigeant des grandes tribus irakiennes (les al dahri pour la tribu al Zubayd, les kubeyssi pour la tribu al Jubbur) et qui fournirent aussi traditionnellement les rangs des officiers de l’armée irakienne, plutôt nationalistes et conservateurs.
Tout ceci nous laisse à penser que l’islam du Comité des oulémas est sans aucun doute un islam rigoriste mais sans doute plus proche de celui des Frères musulmans que d’un islam salafi.

D) A la croisée des chemins

l’Iraqi National Foundation Congress ( al mutamar al ssyassya ) :

A partir du mois de décembre 2003, ces mouvements éclatés et divisés tentent pour une partie d’entre eux de se regrouper afin d’unifier l’opposition politique à l’occupation.

Ainsi des meetings réunissant plusieurs centaines de personnes contre l’occupation et pour l‘unité de l’Irak sont organisés régulièrement dans des mosquées chiites et sunnites. On y retrouve le Comité des oulémas musulmans, le mouvement Al Sadr II, mais aussi divers partis nationalistes et nassériens, ainsi que des chefs tribaux et religieux.

Ces meetings sont organisés sous l’égide du CNDI d’Al Rikabi et le cheikh Jawad Mahdi al Khalissy, un Alim chiite qui fait partie de la hawza de Kazamya à Bagdad.
Après plusieurs mois de préparation, et alors qu’il semble que le CNDI se soit retiré, la formation de l’Iraqi National Foundation Congres est annoncée en mai 2004 à Bagdad.

Le fait que ce soit le cheikh Khalissy qui ait été désigné secrétaire général de ce front est tout un symbole.
Le cheikh Khalissy, qui appartient à une lignée de savants religieux chiites, bénéficie de la renommée de son père et surtout de son grand-père, l’ayatollah Muhammed Mahdi al Khalissy qui fut un des héros de la révolte 1920 contre les Anglais.

L’ayatollah Khalissy a été un fervent partisan du rapprochement entre Chiite et Sunnite, et fut reconnu comme un grand patriote et un arabiste.

Or, il est clair que ce front veut se situer en plein dans l’héritage de la révolution de 1920, ainsi chaque meeting commence ou se termine par une prière commune dirigée alternativement par un imam sunnite ou chiite. La première manifestation de ce mouvement eut lieu à khazymya à l’endroit même où, selon la légende, fut regroupé le premier bataillon Baghdadi qui prit part à l’insurrection de 1920.

L’INFC regroupe une vingtaine d’organisations politiques issues principalement des courants nationalistes et islamistes irakiens, ainsi que diverses associations religieuses, communautaires et civiles.

Le Comité des oulémas musulmans ainsi que le mouvement al Sadr participent à l’INFC.

Cependant, l’INFC n’est pas un front politique en tant que tel, c’est plutôt un regroupement large et transcommunautaire. Il n’y a pas de réelle direction politique et chaque organisation qui le compose garde sa structure propre et son apparition politique indépendante.
Cela représente néanmoins un premier pas vers une unification de l’opposition politique à l’occupation.