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Après la victoire du Hamas

Mardi 2 mai 2006, par Emmanuel TERRAY

Par Emmanuel Terray

Selon de nombreux commentateurs, officiels et officieux, la victoire électorale du Hamas et la constitution d’un gouvernement dirigé par celui-ci ont créé dans la région une situation entièrement nouvelle, imposant une révision en profondeur des orientations suivies jusqu’à présent par l’Union européenne et par la France. Cette analyse s’est immédiatement traduite dans la pratique par la suspension de l’aide que l’Union européenne apportait à l’Autorité palestinienne. Jusque dans les rangs des défenseurs du peuple palestinien, des interrogations se font jour : quelle conséquences tirer de la victoire du Hamas pour la conduite de notre action ?

Devant cette situation, il me semble important de rappeler trois points.

Premièrement, notre solidarité avec le peuple palestinien repose au moins depuis 1967 sur un certain nombre de principes fondamentaux : droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, respect du droit international, refus de l’occupation et, d’une façon générale, de la force brutale comme moyen de régler les conflits, solidarité avec les victimes de cette occupation et de cette force, légitimité de la résistance à l’oppression. Ces principes sont des principes généraux et permanents : ils demeurent valides par-delà les fluctuations de la conjoncture politique ; en particulier, ils ne dépendent pas de la « couleur » des gouvernements en place, qu’il s’agisse du gouvernement palestinien ou du gouvernement israélien ; et ils en dépendent d’autant moins que ces gouvernements sont issus d’un processus électoral démocratique. Bref, la victoire électorale du Hamas ne change rien à ces principes, ni aux conséquences que nous en avons tirées jusqu’à maintenant : les uns et les autres resteront pertinents au moins jusqu’à la fin de l’occupation et à la formation d’un Etat palestinien viable et reconnu.

En second lieu, la suspension de l’aide européenne à l’autorité palestinienne doit être appelée par son nom : il s’agit d’un chantage à la misère et à la famine exercé sur le peuple palestinien dans son ensemble. Le peuple palestinien a désigné son gouvernement dans des conditions parfaitement démocratiques, et c’est de ce choix démocratique que l’Union européenne a décidé de le punir. Car personne ne se méprend sur les effets de la suspension : les 150 000 fonctionnaires dont les salaires ne seront plus versés font vivre plus d’un quart de la population des territoires ; par ailleurs, le financement des services sanitaires et éducatifs n’est plus assuré, et leur désorganisation est imminente. Prétendre que les fonds seront attribués aux ONG est un faux-fuyant misérable : celles-ci ne pourront pas se substituer aux administrations palestiniennes pour faire fonctionner les services publics, et elles ne voudront pas se faire l’instrument des pressions européennes sur une population à bout de forces. Nous devons donc dire bien haut que cette mesure odieuse doit être rapportée sans attendre.

Enfin, il faut rappeler que la décision de suspension ne pouvait être prise qu’à l’unanimité des Etats européens : elle traduit donc une véritable capitulation de la France devant ses partenaires. Jusqu’à présent, la France s’efforçait de maintenir une position relativement « équilibrée » - pour autant qu’un équilibre est concevable entre des occupants et des occupés. Cette position est à présent abandonnée. Il faut se demander pourquoi ; affaiblissement de la France en Europe, affaiblissement complémentaire du gouvernement français après les crises qu’il a traversées, approche des élections, beaucoup de raisons peuvent être invoquées, mais le fait est là, il faut en prendre conscience.

Bien entendu, ces rappels ne nous dispensent pas d’analyser les causes et la signification de la victoire du Hamas, mais ils constituent à mon sens le cadre intangible dans lequel cette analyse doit être menée.

Quant au fond du problème, je m’en tiendrai ici à une seule remarque. Pour expliquer le succès du Hamas, on a mis en avant la corruption et l’incurie de nombreux responsables du Fatah, copieusement dénoncées d’ailleurs par les observateurs européens. Cependant, si le Fatah avait continué de représenter un espoir de négociation et de paix, on peut supposer que la majorité des Palestiniens se seraient encore une fois prononcés en sa faveur. Mais cet espoir de négociation et de paix a été anéanti par l’unilatéralisme israélien, qui, bien loin de reculer, s’est au contraire affirmé depuis la disparition d’Arafat ; et l’Union européenne est demeurée silencieuse et passive devant cette nouvelle orientation. Dès lors, le peuple palestinien n’avait plus aucune raison d’apporter son soutien au Fatah ; la victoire du Hamas est donc le produit commun de l’unilatéralisme israélien d’une part, du silence et de la passivité européennes d’autre part.