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La COVID-19 déconstruit les dogmes néolibéraux et fait rêver d’un autre monde

Vendredi 17 avril 2020, par Didier Levreau

La COVID-19 n' a pas d'idéologie, de couleur politique ni de dogme en matière d'économie ou de finance, invisible la maladie parcourt la fourmilière humaine et bouleverse tout sur son passage. Elle met les usines à l'arrêt, ferme les aéroports, sème l'émoi chez ceux qui prétendent diriger le monde et confine à domicile une large partie des forces vives de la planète. Les caissières de grandes surfaces, les livreurs et les soignants des hôpitaux publics deviennent héros de la nation et l'on découvre qu'il aurait été plus facile à la « première puissance économique mondiale » d'envoyer un porte-avion ou deux au large de l'Irak que de trouver suffisamment de place dans ses hôpitaux pour soigner les citoyens américains touchés par la COVID. Pareil pour la France qui déploie quelques milliers de militaires dans le Sahel avec hélicoptères et blindés mais manque de masques chirurgicaux sur son territoire pour équiper les soignants en première ligne dans les hôpitaux. À New-York, des tentes ont été dressées dans Central Park pour accueillir des malades, à une poignée de kilomètres de Wall Street, temple de l'argent roi. Impensable il y a quelques mois, sauf dans l'imagination de scénaristes de films catastrophe dont raffolent les Américains. Sauf que ce n'est pas du cinéma et nul ne connaît la fin de l'histoire ! Ce virus casse les codes : un directeur de l'ARS (Agence régionale de santé) est limogé par le gouvernement pour avoir déclaré poursuivre la politique voulue, il y a quelques semaines encore, par ce même gouvernement (suppression d'emplois et réduction du nombre de lits au CHU de Nancy). La doctrine gouvernementale d'hier contestée depuis des années par le personnel hospitalier et une grande partie de l'opinion, est devenue politiquement incorrecte. Exit le fonctionnaire cynique, naïf ou trop sincère qui n'a pas vu le vent tourner. Si les chiffres de la mortalité accompagnant ce virus n'étaient pas aussi funestes, on pourrait en sourire. Le virus révèle les failles, les contradictions, les incertitudes et quelques fois les mensonges de ceux qui exercent le pouvoir et les injustices tenaces qui minent nos sociétés.

Un État-providence tout à coup fréquentable

La COVID-19 réussira-t-elle à faire ce que des grèves, des manifestations, des combats politiques n'ont pas pu obtenir en France et ailleurs dans le monde : la remise en cause des dogmes néolibéraux qui jusqu'à il y a quelques jours régnaient encore dans les allées du pouvoir. Au « there is no alternative » thatchérien se substitue tout à coup un interventionnisme des États à la fois surprenant et indispensable. Les hôpitaux publics bénéficient en France de financements pour des équipements qu'ils réclamaient depuis des mois ; aux USA, le gouvernement fédéral débloque des milliards de dollars d'argent public pour venir en aide aux personnes, aux entreprises, à tout le système qui menace de s'effondrer et la banque d'Angleterre va financer directement les dépenses de l'État britannique, un tabou dans ce pays où règne la doctrine néolibérale. Tout le monde en convient : laisser faire la main invisible du marché, « capable » de tout réguler et d'instaurer les grands équilibres, serait dans ces circonstances, suicidaire. Les plus grosses entreprises, en appellent à la solidarité et usent en France, où c'est possible, du chômage partiel, financé par l'État. L'État-providence, dépassé et ringard, vilipendé par les néolibéraux devient fréquentable. Dans quelques mois il faudra s'en ouvenir et se convaincre qu'il est possible d'être guidés par autre chose que l'égoïsme et l'intérêt personnel tel que prétendent l'affirmer de manière quasi « scientifique » les textes fondateurs de la pensée libérale.

Jusqu'où cela ira-t-il ? La gestion de la planète à flux tendus, la quête inexorable de la rentabilité maximum se heurtent au monde réel de la nature et de l'humain. Ce virus n'est pas contre nature, il est le grain de sable à la machine à optimiser les rendements que les apprentis sorciers de la mondialisation néolibérale ont cru bon de mettre en place. Ce n'est pas par hasard que l'Europe a manqué de masques chirurgicaux et ne produit quasiment plus de médicaments. C'est en vertu d'une théorie libérale qui dicte les règles du commerce international : un pays a tout intérêt à se spécialiser ou à être spécialisé dans la production de biens pour lequel il est le plus efficace. Efficace signifie là : dont le coût de production relatif est le plus bas. C'est la théorie des « avantages comparatifs ». Ainsi la Chine avec ses bas salaires et sa main-d'oeuvre pléthorique est devenue « l'atelier du monde » pour les masques chirurgicaux et pour des centaines de milliers d'autres produits. Faire fabriquer pas cher dans les pays à bas coût de main-d'oeuvre et vendre cher dans des pays à niveau de vie élevé, c'est le jackpot pour ceux qui contrôlent le marché et obtiennent des réglementations peu contraignantes de la part des États. Sauf que cette méthode a une limite : celle de l'imprévu, de la catastrophe, bref des accidents de la vie. L'accident est depuis trois mois planétaire et percute de plein fouet ceux qui individuellement et depuis longtemps ont l'expérience de vies accidentées.


Obésité, diabète et COVID-19, la triple peine

On a dit : le virus est aveugle, il frappe les puissants comme les faibles. Il a frappé Boris Johnson, premier ministre britannique tout comme l'arrière-grand-mère de 95 ans recluse dans son Ehpad (Établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes), privée de voir ses petits-enfants. À regarder de plus près, la réalité est moins simple. À New York, ville durement touchée par la pandémie, la mairie a recensé le nombre de malades par quartier faisant apparaître des disparités : plus de cas de corona dans le Queens (quartier populaire) qu'à Manhattan au niveau de vie et de confort plus élevé. Le lien entre corona et obésité semble partout se confirmer et toutes les études montrent que l'obésité sévit chez les plus modestes plus que chez les riches. Un rapport américain de la Robert Wood Johnson Foundation (RWJF) révèle que le taux d'obésité augmente à mesure que le revenu des ménages diminue. Obésité plus corona constituent une sorte de double peine, voire de triple peine si le diabète s'ajoute et augmente les risques. Aux États-Unis, les premiers éléments statistiques à New-York et en Louisianemontrent que c'est parmi les populations à la fois mal soignées et mal nourries, en surpoids — majoritairement les Noir·es — que le nombre de morts est le plus important. Ce n'est pas un hasard. Si le système de santé aux USA protégeait les plus modestes et si l'industrie alimentaire ne déversait pas des tonnes de boissons trop sucrées et d'aliments de qualité médiocre sur des personnes qui n'ont pas les moyens matériels d'acheter de meilleurs produits, des morts auraient sans doute été évitées. Première leçon donc à retenir pour les mois de l'après-virus : il faudra améliorer les systèmes de santé partout sur la planète et contrôler les produits nocifs pour la santé distribués et vendus par les industries agroalimentaires et les grandes surface à coup de pubs et d'opérations marketing à la sincérité discutable. Deux possibilités s'offrent à nous pour l'après-virus : un monde qui se voudra plus solidaire, attentif à l'autre et à ses éventuelles souffrances, ou bien le retour à la culture des « premiers de cordées », de l'égoïsme et des intérêts personnels. À suivre.


Article d'abord publié sur le site de perspektives.org