Sans remords devant les désastres en Irak, en Afghanistan et au Liban, l’administration Bush vient d’ouvrir un nouveau front dans le monde musulman. Avec l’appui américain, des troupes éthiopiennes ont envahi la Somalie dans une guerre illégale d’agression.
Mais cette manoeuvre pour renverser un régime islamiste qui avait apporté la paix en Somalie pour la première fois depuis 16 ans risque de tourner mal. Devant le pillage qui a recommencé, le gouvernement transitoire a décrété l’état d’urgence. Des seigneurs de la guerre appuyés par divers clans qui avaient terrorisé la Somalie jusqu’à leur expulsion par les islamistes, ont recommencé à se tailler des fiefs dans la capitale Mogadiscio. Entre-temps, l’Union africaine qui avait aidé à la mise en place du gouvernement transitoire a exigé le retrait immédiat des forces éthiopiennes de même que le Kenya, pourtant un allié des Etats-Unis et de l’Éthiopie.
Ces pays ont estimé que l’invasion était une violation évidente de la loi internationale et de la résolution du Conseil de sécurité de l’ONU, que Washington avait pourtant appuyé au début, et qui interdit formellement l’utilisation de troupes de pays voisins dans une éventuelle opération de maintien de la paix en Somalie. En dépit de tout cela, l’administration Bush appuie l’offensive éthiopienne.
Comme dans le cas de l’Irak en 2003, les États-Unis justifient leur politique par la lutte pour éradiquer le terrorisme. En réalité, le but est de mettre un autre pied dans une région stratégique en installant un autre régime client en Somalie. En violation de l’embargo sur les armes décrété par l’ONU pour la Somalie, ils ont appuyé les mêmes seigneurs de la guerre dont certains avaient été responsables des attaques contre les soldats américains en 1993. Cette politique a été élaborée contre l’avis de tous les experts indépendants qui estiment qu’une telle guerre pourrait déstabiliser toute la région.
L’Éthiopie elle-même reste très instable. Divers conflits y sont en cours dont des révoltes de certaines communautés qui s’estiment marginalisées par le pouvoir mis en place par le Premier Ministre Méles Zenawi. Celui-ci bénéficie de l’appui des Etats-Unis bien qu’il ait perdu les élections au début de 2006. Il est cependant peu probable que cette incursion en Éthiopie, contrairement à la guerre contre l’Érythrée, ne permette à Zenawi de réunifier la population derrière lui.
Pour atteindre ses buts, Washington a encore une fois forcé la main au Conseil de sécurité qui a adopté une résolution qui risque de renforcer sa réputation d’être devenue un organisme anti-musulman. Celle-ci autorise l’entrée en Somalie d’une force de maintien de la paix pour protéger le gouvernement transitoire qui est faible et isolé, soi-disant pour « maintenir la paix et la sécurité ». Mais selon les principaux médias qui ont couvert la Somalie récemment, ce pays a enfin connu un certain répit après des années de chaos et de terreur depuis 1991. Une force multinationale est devenue soudainement nécessaire parce que ce sont des islamistes qui ont apporté la stabilité au pays, ce qu’ils ont fait pas tellement par la violence mais en ralliant la majorité de la population derrière leur programme de rétablissement de l’ordre en ligne avec la Shari’a, qui est de toute façon un cadre universellement accepté en Somalie.
Certes les islamistes ne sont pas anges. Mais leur violence paraît bien modérée à côté de celle des seigneurs de la guerre que les Etats-Unis ont continué à appuyer en violation de l’embargo décrété par l’ONU.
Les Etats-Unis ont raison d’être inquiétés à propos du terrorisme. Mais le meilleur antidote dans le cas somalien est la stabilité que l’union des tribunaux islamiques avait pourtant apportée. Les islamistes conservent l’appui d’une majorité de la population qui est contre les interventions américaines et éthiopiennes. Comme cela est le cas dans de conflits impliquant des pays occidentaux et des pays musulmans, l’établissement de la paix passe par un dialogue avec les islamistes pour faire en sorte qu’ils n’aient plus de raison de tomber dans le terrorisme.
· Salim Lone a été le porte-parole de l’ONU en Irak en 2003. Présentement, il écrit pour le quotidien de Nairobi, le Daily Nation. Son commentaire a été publié originellement publié dans le Guardian de Londres, le 30-12-06.