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Une énigme nommée Hezbollah

Mardi 15 mars 2005, par Pierre BEAUDET

Pour le Président Bush, ils sont plus dangereux qu’Al-Qaeda. Pour l’opinion publique occidentale, ce sont des terroristes. Plus récemment, ils sont présentés comme des larbins de Damas et de Téhéran. Mais lorsque un million de Libanais sont sortis dans la rue pour réclamer leur « libanité » et en même temps leur refus de capituler comme l’exigent Washington et Tel-Aviv, le monde a bien été obligé de constater qu’ils étaient est beaucoup plus qu’une vulgaire milice. Qu’est-ce qui cache derrière le « parti de Dieu » ?

Dans la résistance contre l’occupation

En 1982, l’armée israélienne envahit le Liban. Le but affiché est de bouter dehors les Palestiniens réfugiés dans le pays des cèdres depuis la création de l’État d’Israël en 1948. L’Organisation pour la libération de la Palestine ne peut évidemment résister à l’armada israélienne appuyée mur à mur par l’administration américaine. Après l’évacuation des soldats de l’OLP, un horrible massacre est organisé contre des civils dans les camps de réfugiés palestiniens. Quelque temps après, le gouvernement libanais signe un « accord de paix » avec Israël qui organise l’occupation de toute la partie sud du pays. Le « Pétain » libanais s’appelle Amine Gémayel et il veut « collaborer ». Mais rapidement, des résistants font la vie dure aux occupants Appelés à la rescousse, les Marines américains sont pris dans l’étau lorsqu’un attentat-suicide en 1983 tue plus de 200 Américains qui décident alors de fuir le Liban. À travers les évènements émerge un nouveau mouvement politico-militaire libanais, le Hezbollah (le parti de Dieu). Inspiré par la révolution iranienne et ancré dans la communauté chi’ite qui est majoritaire dans le sud du Liban, le Hezbollah devient peu à peu le centre de gravité de la résistance contre l’occupation. Tout au long des années 90, il se fait remarquer par ses capacités militaires qui mettent à mal l’armée israélienne qui se replie deux fois en 1982 et 1985. Les bombardements massifs contre les villes et villages libanais, l’exécution de civils et la torture largement pratiquée dans l’infâme prison de Khiam ne viennent pas à bout de cette résistance qui finit par apparaître pour la majorité des Libanais, et non seulement pour les chi’ites, comme légitime, nationale, le seul véritable rempart en fait contre la « palestinisation » du Liban. En l’an 2000, les soldats israéliens plient armes et bagages : c’est la première et unique fois qu’Israël doit concéder une telle défaite !

La voix des déshérités

Comment expliquer cette victoire du David libanais sur le Goliath israélien ? L’explication simpliste et à la limite raciste souvent proposée à Washington et à Tel-Aviv fait des chi’ites des « fanatiques » ingouvernables. On oublie de dire que les combattants du Hezbollah sont pour la plupart fils des paysans et des petits artisans qui ont subi l’occupation pendant près de 25 ans et qui pour beaucoup ont abouti dans les banlieues pauvres de la capitale libanaise. Enraciné dans ce terroir, Hezbollah est devenu beaucoup plus qu’une force armée. Ses activités sociales, éducatives et caritatives répondent aux besoins d’une grande partie des déshérités, grâce notamment au travail de Bina al-Jihad, qui fait beaucoup pour la reconstruction et la réhabilitation d’écoles, de cliniques et de maisons. Pendant les dernières années, des milliards de dollars ont afflué au Liban dans l’espoir de participer à la reconstruction du Beyrouth « doré » pour les riches dont rêvait Rafik Hariri, l’ancien Premier ministre dont l’assassinat a déclenché la crise actuelle. Seul Hezbollah pratiquement est resté actif dans les bidonvilles et les villages de l’intérieur. Lors des dernières élections législatives, neuf représentants d’Hezbollah ont été élus, un chiffre très en deçà de sa popularité selon la plupart des observateurs. Les chefs du mouvement dont son redoutable secrétaire général Hassan Nasrallah ont volontairement limité l’ampleur de cette « sortie » électorale, d’une part pour ne pas effrayer les autres forces politiques libanaises et d’autre part pour ne pas perdre ou diminuer sa nature de mouvement de résistance. Néanmoins à la suite du retrait israélien, Hezbollah s’est recentré sur le travail politique. La résistance militaire continue mais davantage comme une force de dissuasion contre d’éventuelles incursions israéliennes. Il n’en reste pas moins Israël y penserait deux fois avant de retourner au Liban si Hezbollah était encore sur le terrain.

Une force sociale conservatrice

Tout en devenant la voix des déshérités libanais, Hezbollah est le vecteur d’une idéologie islamiste virulente. Pendant longtemps, le mouvement a été influencé par l’ayatollah Muhammad Hussein Fadlallah, né dans la ville sainte irakienne de Najaf de parents libanais. Il a d’ailleurs fait ses « armes » dans la résistance chi’ite contre Saddam Hussein, à titre de fondateur du parti Dawa. Plus tard forcé à l’exil, il s’est retrouvé au Liban où il est rapidement devenu le leader spirituel d’Hezbollah et la référence obligée d’une grande partie des Libanais. La vision du monde de Fadlallah est restée longtemps volontairement ambiguë. Sans prôner la mise en place d’un État islamique (« impossible dans le contexte multiconfessionnel du Liban » selon l’ayatollah), Hezbollah s’est aligné sur la révolution iranienne et son code rigoriste et exclusif. Les femmes sont confinées au rôle traditionnel de mères de familles et pour le reste, la vie quotidienne est régimentée par la charia. Parallèlement, Hezbollah a imposé dans les zones dont il a pris le contrôle une domination sans partage, qui exclut des forces politiques historiquement enracinées au Liban (des organisations de gauche principalement). À plusieurs reprises même, les militants d’Hezbollah ont pourchassé et malmené ces autres organisations dans le sud où Hezbollah fait la loi.

Dans la tourmente régionale

Depuis l’invasion de l’Irak, pour les Américains et Israéliens, l’élimination d’Hezbollah est une grande priorité, d’une part pour effacer l’humiliation passée, d’autre part pour casser la résistance qui subsiste au Liban et en Palestine. D’un point de vue stratégique, la subordination du Liban et de la Syrie compléterait le dispositif américain et israélien dans la région. Mais ce rêve est encore loin de la réalité, surtout en constatant le chaos irakien. Par ailleurs pour Hezbollah un peu comme l’Iran dont il est l’allié (mais pas le subordonné), la stratégie actuelle est plutôt de calmer le jeu, en partie par réalisme (il serait dangereux de provoquer une escalade militaire), en partie par calcul politique. Surtout au Liban, les gens en ont marre de la guerre. Tous les Libanais, y compris les chi’ites, sont d’accord pour un retrait de l’armée syrienne, mais tout dépend dans quelles conditions cela se fait. Ce que Hezbollah craint, et cette crainte est partagée par bien des Libanais, c’est que le retrait précipité de la Syrie ne mène à de nouvelles confrontations et peut-être même à une autre guerre civile, surtout si des éléments « revenchistes » décident de remettre cela avec l’appui israélien. Dans ce contexte, on comprend la réticence par rapport à la résolution 1559 du Conseil de sécurité de l’ONU, qui en plus d’exiger le retrait de la Syrie, demande le démantèlement des « milices », ce qui vise implicitement Hezbollah. La « logique » de cet aspect de la résolution pourrait être perverse, compte tenu de la volatilité de la région et du sentiment très fort qui existe parmi les chi’ites que sans la protection militaire d’Hezbollah, ils seront encore une fois, comme en 1982, les victimes d’une « pacification » biaisée. Des personnalités de l’opposition libanaise, comme le leader druze Walid Joumblatt, le savent et veulent aussi éviter une dérive dont la grande majorité des Libanais pourrait être victime, d’où la recherche d’un compromis avec Hezbollah. Reste à voir le rôle que joueront dans cette crise les puissances extérieures, soit pour mettre de l’huile sur le feu et précipiter la confrontation, soit pour favoriser un accord politique et un véritable dialogue inter-libanais.