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IRAK

Une baisse de la violence en trompe-l’oeil

Mardi 27 novembre 2007

« Je ne pense pas que la stratégie de Petraeus lui permettra de quitter l’Irak en vainqueur. » Le spécialiste de l’Irak Pierre Jean Luizard analyse les résultats du surge.

Les dernières statistiques avancées par l’armée américaine sont encourageantes. Quelle est votre analyse ?

On peut en effet parler d’une accalmie depuis septembre, depuis que la nouvelle politique américaine envers les sunnites a pris effet sur le terrain. L’armement des anciens insurgés, à condition qu’ils se retournent contre Al-Qaida, a apaisé les zones sunnites. Quant aux territoires chiites, ils sont beaucoup moins touchés par la violence depuis que l’Armée du Mehdi a gelé ses activités. La capitale semble également plus calme, car le nettoyage confessionnel est terminé ; chaque communauté est retirée dans son quartier et protégée par des murs de béton. Cela dit, on découvre encore une dizaine de corps mutilés chaque jour à Bagdad. Les chiffres avancés par les Américains sont très exagérés.

L’accalmie est-elle valable dans toutes les régions d’Irak ?

La géographie de la violence n’est plus la même ; les attaques ont diminué à Bagdad, mais augmenté dans le nord, dans les provinces de Tikrit, Mossoul et Baqouba.

La diminution des violences est-elle également due aux renforts, comme l’affirme Washington ?

Je ne crois pas. Elle est vraiment due à cette politique d’armement et d’achat des milices sunnites. Chaque combattant du Conseil de réveil d’Al-Amiriyya, par exemple, reçoit directement des Américains un salaire mensuel de 360 dollars, trois fois plus qu’un enseignant !

Est-ce une solution à long terme ?

Le fait d’armer des groupes ayant des intérêts locaux est loin d’être une solution, car ces milices réclament maintenant une représentation politique. Tout cela va mener à une implosion de la communauté sunnite. Washington était dans l’obligation de présenter des succès, vu son calendrier électoral interne, les autorités ont donc profité du clivage apparu dans la mouvance djihadiste. C’est un subterfuge politique qui conduira finalement à un redoublement des violences.

Le réseau Al-Qaida est-il véritablement affaibli ?

Il faut relativiser les discours enterrant Al-Qaida. La mouvance n’a pas d’autre but en Irak que le chaos. Ce qui se passe actuellement va donc totalement dans son sens. L’atomisation de la société irakienne et l’impossibilité d’une reconstruction politique obligent les Américains à rester dans le bourbier.

Le retour annoncé de milliers de réfugiés est-il dû à l’accalmie, ou au durcissement de la politique syrienne à leur égard ?

Cela fait partie de l’effort de propagande américain. Washington veut faire croire que l’accalmie des violences est porteuse de solutions politiques. On a vu fleurir ces derniers temps des comités de réconciliation sunnites-chiites, lu des reportages sur le retour des réfugiés. Je suis en contact quotidien avec l’Irak, on ne m’a parlé d’aucun retour. Au contraire, l’exode continue, même s’il a légèrement diminué.

Certains qualifient le commandant des forces américaines en Irak, David Petraeus, de nouveau Lawrence d’Arabie. Un titre mérité ?

Il est vrai que les Américains ont fini par comprendre comment fonctionne la société irakienne, comme tous les précédents occupants du pays. La politique tribale a été largement utilisée avant eux et l’on sait qu’elle ne peut pas déboucher sur une solution politique. La révolte arabe patronnée par Lawrence d’Arabie est loin d’être considérée comme un succès, elle a cependant permis la libération des ex-provinces ottomanes. Je ne pense pas que la stratégie de Petraeus lui permettra de quitter l’Irak en vainqueur.