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PALESTINE

Un jour « calme » à Gaza

Vendredi 12 octobre 2007, par Amira Hass

« Moment de calme dans la vague de protestation » : c’est dans ces termes que divers rapports journalistiques israéliens décrivaient, vendredi, la manière dont la junte militaire birmane avait réussi, en recourant à une force importante, à vider les rues de ses milliers de manifestants.

En dépit de la sympathie naturelle à l’égard des insurgés, plusieurs éditeurs ont opté pour le mot « calme », qui incarne le point de vue du pouvoir : la norme, c’est une situation « calme », même si cela signifie une violence gouvernementale permanente. Une protestation de masse contre l’oppression constitue une atteinte à l’ordre, elle est tumulte et confusion. Il y avait dans ce choix du mot « calme » une traduction automatique de la manière dont la majorité des Israéliens juifs (et leurs médias) traitent la situation d’oppression permanente qu’Israël impose aux Palestiniens, depuis 40 ans. C’est la situation habituelle, la norme, que l’on évoque ici quand les Palestiniens rompent le cours tranquille des choses.

L’oppression du peuple palestinien est destinée à poursuivre sa dépossession de sa terre et de ses droits dans le pays. Mais sur l’autre face du régime d’oppression, il y a pour les Juifs une démocratie, dont jouissent aussi les opposants à l’occupation. Sauf exceptions, les opposants juifs ne mettent pas leur vie en danger, ni leurs revenus, leur liberté ou leurs droits. Il est vrai que manifester contre la clôture de séparation fait courir certains risques - être détenu quelques heures, être blessé par une balle tirée par un soldat, par un coup de crosse de fusil, subir les gaz lacrymogènes - et on peut en cela parler d’une décision personnelle courageuse de la part de chaque participant. Accompagner des Palestiniens pour la récolte exige aussi du courage car cela peut se terminer par un assaut de colons (pendant que les représentants du pouvoir - les soldats - se tiennent à l’écart). Il existe néanmoins des dizaines de modalités d’action contre l’oppression, qui ne mettent pas en danger les militants dévoués (essentiellement des militantes) qui y prennent part.

Potentiellement, des centaines de milliers d’Israéliens juifs pourraient participer à l’action contre cette oppression aux multiples visages : lois et décrets d’apartheid, offensives militaires, dissimulation de l’information, blocus économique, confiscation de terres, expansion de colonies, et autres. Pas un cheveu de leur tête ne serait touché. Je veux parler de ceux qui se déclarent favorables à une solution de paix, d’un Etat palestinien à côté d’Israël. Mais visiblement, leur interprétation de la participation à la démocratie consiste à se rendre aux urnes toutes les quelques années et à protester mollement dans son salon.

Mais la démocratie, c’est aussi manifester une responsabilité citoyenne par le biais d’un contrôle incessant exercé sur les décisions et les actes politiques entre deux élections, pour garantir que l’essence de la démocratie n’est pas altérée. Ceux qui, sur leur témoignage, soutiennent une solution à deux Etats feignent d’ignorer l’autre face de la démocratie-pour-les-Juifs, c’est-à-dire le régime militaire qu’elle impose aux Palestiniens. Ce régime crée sans arrêt sur le terrain des réalités qui mettent en échec le dernier espoir qui reste à ladite solution (dans sa version véritable : retrait total, avec uniquement de légères modifications, sur les lignes du 4 juin ’67 et création d’un Etat palestinien). Les citoyens juifs, qui jouissent de leur démocratie, ne sont pas personnellement touchés par l’autre face de celle-ci. Au contraire, ils en profitent : terre à bon marché et logement de qualité, sources en eau supplémentaires, création d’une élite de professionnels de la sécurité qui sont demandés dans le monde entier, développement d’une industrie dans le domaine de la défense. Telle est la situation de « calme » que même les partisans - à leurs yeux - de la paix s’abstiennent de désorganiser.

Dans l’empire soviétique, dans l’Afrique du Sud raciste - comme aujourd’hui en Birmanie - l’opposition à l’oppression se payait au prix fort et on peut dès lors comprendre les opposants qui choisissaient de ne pas agir. En Israël, puisqu’il s’agit d’une démocratie pour les Juifs, une lourde responsabilité individuelle pèse et pèsera à l’avenir sur tous ceux qui se croisent les bras et détournent le regard de ce qui se fait, aujourd’hui, en leur nom. La responsabilité n’est pas seulement celle des chefs d’état-major, des chefs de gouvernement, des ministres et des généraux.

Y ont part tous ceux qui s’opposent théoriquement à l’oppression, à la discrimination et à l’expulsion, mais ne participent pas activement à la lutte et à l’émergence d’une insurrection populaire permanente visant à faire tomber le régime d’apartheid que nous avons créé ici et qui se développe.

Amira Hass écrit pour Ha’aretz (Tel Aviv)