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IRAK

Triste 8 mars pour les Irakiennes

Mercredi 7 mars 2007, par Congrès des libertés en Irak

Les Etats-Unis d’Amérique se présentent volontiers, au regard de l’opinion publique internationale, comme les défenseurs de la démocratie et des droits des femmes face à l’islamisme. La situation irakienne fournit pourtant un exemple flagrant de soutien américain à l’islam politique, en dépit de son action contre la résistance armée. Les élections de décembre 2005 viennent confirmer ce processus engagé avant même le déclenchement de la seconde guerre du Golfe, tandis que dans la rue, les milices islamistes font déjà appliquer leur loi. Face à cela, une résistance civile et féministe se met en place.

Une longue dégradation des droits des femmes

L’image de la situation des femmes irakiennes est prise dans un faisceau de contradictions. Le régime de Saddam Hussein avait la réputation d’être laïque et reste perçu ainsi au sein de la gauche internationale. De fait, dès la fin des années 1950, l’Irak était considéré comme l’un des pays les plus avancés du Moyen-Orient en ce qui concerne les droits des femmes. Les Irakiennes qui ont vécu leurs jeunes années durant cette période ont conservé le souvenir d’une certaine liberté, bien qu’elles n’aient jamais connu l’égalité des droits. Cette situation, issue des luttes féministes menées depuis les années 1930, est inscrite dans le code de la famille de 1958 – donc, avant la prise du pouvoir par le « Baas », de son nom complet Parti de la renaissance socialiste arabe. Celui-ci, qui se présentait alors comme progressiste, ne fit pas obstacle à l’amélioration de la situation économique et sociale des femmes : la constitution de 1970 érigeait l’égalité hommes-femmes en principe, même si le droit de vote ne fut accordé aux femmes qu’en 1980 –d’une faible utilité, au demeurant, dans un système totalitaire.

C’est au nom de l’effort de guerre, durant le conflit contre l’Iran (1980-88), que vinrent les premières attaques. Pendant que le développement du culte de la personnalité mettait à l’honneur l’image virile et paternelle du Raïs, Saddam Hussein décréta que, pour soutenir la patrie, les femmes devaient rester dans leur foyer et s’occuper de leurs époux. Il s’agissait d’un sursaut patriarcal face à la place prépondérante que les femmes étaient en train de prendre dans le monde du travail et dans les administrations publiques, pendant que les hommes étaient envoyés sur le front. Dès la fin du conflit, la plupart des employées des ministères furent renvoyées. La mesure la plus symbolique de cette nouvelle politique fut sans doute, en 1990, la quasi-légalisation du « crime d’honneur », c’est-à-dire du droit pour un père, un frère ou un mari de tuer sa fille, sa sœur ou son épouse s’ils la soupçonnent d’adultère ou d’avoir été violée. Cette pratique, présentée comme « traditionnelle » et sans fondements religieux, a connu depuis une recrudescence notée par tous les observateurs.

Cette politique patriarcale dirigée contre les femmes précède le tournant traditionaliste et religieux du régime de Saddam Hussein à partir de la première guerre du Golfe (1991-2003). A partir de ce moment, le baasisme se fait de plus en plus conservateur, revitalisant les institutions tribales qu’il dénonçait auparavant comme archaïques et féodales. En rendant aux tribus, fondées sur le pouvoir masculin et les alliances familiales, une puissance sociale qu’elles avaient perdue, le régime baasiste cherche à s’appuyer sur les fondements traditionnels de la société irakienne, à contre-courant de son évolution au cours du XXe siècle. Afin de s’attirer le soutien du monde musulman, Saddam Hussein multiplie les références religieuses et fait évoluer le discours baasiste vers une synthèse islamo-nationaliste, qui va jouer un rôle important dans la situation actuelle. Des initiatives telles que la « campagne de la fidélité » (2000), au cours de laquelle 130 femmes, dont plusieurs opposantes politiques, avaient été décapitées sous prétexte de prostitution, sont supposées accréditer le ralliement à l’Islam du leader irakien.

Il faut remarquer que dans la zone kurde autonome, dirigée de 1991 à 2003 par les nationalistes – dont l’Union patriotique du Kurdistan (UPK) de l’actuel président irakien Jalal Talabani – les crimes d’honneur ont bénéficié de la même tolérance : la législation baasiste y a été maintenue jusqu’en 2000. La même année à Suleimania, capitale régionale du Kurdistan irakien, le centre d’hébergement pour les femmes menacées de crime d’honneur, mis en place par l’Organisation des femmes indépendantes, a été fermé par le parti au pouvoir (UPK). Plusieurs résidentes furent assassinées par leur famille dans les jours qui suivirent, et les militantes durent prendre les chemins de l’exil. A Arbil, deux ans plus tôt, c’est un groupe islamiste qui avait – sans aucune réaction du Parti démocratique du Kurdistan, au pouvoir dans cette région – qui avait menacé de mort six dirigeantes de l’Organisation des femmes indépendantes. Ils n’avaient pas hésité à ouvrir le feu sur une manifestation de soutien à ces militantes, tuant deux dirigeants du Parti communiste-ouvrier d’Irak alors qu’ils prenaient la parole. Surma Hamid se souvient : « Les islamistes affichèrent nos portraits sur les murs de la ville assortis d’un texte rappelant notre immoralité. Le résultat fut que nous, les six femmes, nous nous cachions. Je me suis cachée chez des amis, dans leur maison. Je suis restée 4 mois dans leur cave ». La défense des traditions kurdes et la religion servent alternativement de prétexte aux institutions patriarcales.
Si on ajoute à cela la chute vertigineuse de l’alphabétisation des femmes, passée de 75% à 25% durant les douze années de l’embargo, on comprend que leur situation ait été particulièrement fragilisée au moment où, en mars 2003, les troupes coalisées sont entrées dans Bagdad.

L’occupation militaire

Lors de la campagne de préparation de la seconde guerre du Golfe (2003- ?), le gouvernement américain n’hésita pas à enrôler, comme il l’avait fait en Afghanistan, les droits des femmes dans son argumentaire « démocratique » contre le régime de Saddam Hussein. Dans cette perspective, il a financé, dès l’entrée des troupes en Irak, un certain nombre de fondations, d’organisations non-gouvernementales ou de personnalités féminines irakiennes. Son action vise principalement la formation de cadres féminins de haut niveau pour l’administration et les entreprises irakiennes. Mais cette opération, qui sert à légitimer une opération militaire, trouve ses limites évidentes dans le soutien apporté par les USA aux partis traditionalistes actuellement au pouvoir.
Les autorités d’occupation mirent en place un conseil de gouvernement intérimaire, où siégeaient les partis d’opposition – des communistes aux islamistes – qui avaient soutenu le déclenchement de la seconde guerre du Golfe. Réunis à la conférence de Londres (2002) avant le déclenchement des opérations militaires, ils avaient accepté de collaborer au nouveau pouvoir. Dès les premiers mois, ce conseil de gouvernement annonça sa décision de remplacer le code du statut personnel, qui régit les droits des femmes, par une nouvelle loi inspirée de la charia. Cette conception allait au-delà de la législation baasiste, dans laquelle la charia n’était applicable que dans les cas non expressément prévus par la loi. La féministe anglo-irakienne Houzan Mahmoud en conclut : « Saddam n’a pas réussi à imposer la Charia mais ces émigrés politiques ont failli le faire au bout de 3 ou 4 mois, alors qu’ils n’étaient même pas élus ».
L’Organisation pour la liberté des femmes en Irak, lance une campagne contre ce projet, malgré les menaces de morts adressées par l’Armée des compagnons du prophète à sa porte-parole, Yanar Mohammed. Cette ceinture noire de karaté, qui ne se déplace jamais son revolver, décide malgré cela d’organiser une manifestation de femmes contre la charia, en plein Bagdad : « C’était une nouvelle pratique pour ces femmes, aucune d’entre elles n’avaient encore osé ou même pensé à chanter un slogan. Quelques-unes d’entre elles portaient bel et bien le voile. Je leur demandais si elles avaient quelques mots d’ordre pour la manifestation. Elles me répondirent que non. Je démarrais alors avec : « Oui aux femmes… oui à l’égalité ». Autour de moi, certaines le reprenaient avec une voix discrète. Après quelques minutes, plus d’une centaine de femmes commencèrent à reprendre le slogan ».

Le projet de loi fut finalement repoussé. Après cette victoire du mouvement féministe, les débats sur le processus de démocratisation amenèrent à poser la question de la proportion obligatoire de femmes à l’assemblée nationale. Elle fut finalement fixée à 25%, ce qui est évidement mieux qu’en France (10,9 %, malgré le système de parité), mais insuffisant : à partir du moment où l’on accepte un principe de quota, il aurait fallu tenir compte du fait que, après un quart de siècle de guerre, la société irakienne compte 56 % de femmes. Les premières élections amenèrent donc des femmes à l’assemblée, mais la majorité d’entre elles figuraient sur les listes islamistes et n’étaient pas spécialement connues pour leurs activités féministes. En outre, plusieurs femmes politiques furent assassinées par la résistance armée, dont Akila al-Hashimi, membre du conseil de gouvernement, ou encore la députée Lamiya Abed Khaddour.
Au cours du débat sur la constitution irakienne, la question de la charia réapparut à l’assemblée. Bien sûr, elle n’avait cessé d’être la revendication principale des mouvements religieux, qu’ils soient au gouvernement ou dans l’opposition, comme on le verra plus loin. Il est symptomatique que les deux questions les plus discutées aient été celle du partage des ressources pétrolières et celle de la référence à l’Islam. L’assemblée à dominante islamiste finit par aboutir à une double formulation, au terme de laquelle la loi ne devait être contraire, ni aux principes de l’Islam, ni à ceux de la démocratie – même si pour nombre d’Irakiennes, la contradiction sautait aux yeux. La fiction d’un Irak laïque était enterrée.

La réalité quotidienne de la charia

Si la charia est à l’ordre du jour à l’assemblée, c’est d’abord parce qu’elle est déjà mise en application dans la rue. Branche militaire du Conseil suprême de la révolution islamique en Irak (CSRII), les brigades Badr ont officiellement quitté leurs camps iraniens pour intégrer l’armée régulière irakienne. Mais, au nom de la protection des chiites, ils sont devenus une milice particulièrement violente, accusée d’assassinats de personnalités sunnites. Les Brigades Badr sont officieusement dirigées par le ministre de l’intérieur Baïane Djabor.

Quand à l’Armée du mahdi de Moqtada al-Sadr, elle contrôle des villes entières dont la capitale du sud, Bassorah. Elle s’est particulièrement illustrée en mai dernier en s’attaquant à des étudiants qui participaient à un pique-nique jugé « immoral », car organisé par des jeunes gens des deux sexes. L’assassinat d’un jeune homme par les miliciens alors qu’il essayait défendre l’une de ses camarades contre une agression sexuelle, avait provoqué une grève de l’université, réprimée par les sadristes sans que les troupes anglaises stationnées sur place ne jugent utile d’intervenir. L’une des responsables de la grève, Thikra Faisal explique : « Le premier jour, nous sommes restés dans l’université. Les islamistes ont essayé de nous en empêcher, mais ils n’y ont pas réussi. Alors, le deuxième jour, on a décide de sortir, parce qu’on était beaucoup plus nombreux, et d’aller manifester devant les buildings du gouvernement. Les filles avaient peur, à cause des menaces des islamistes, qui avaient effectivement capturé plusieurs d’entre elles. Elles ont préféré rester dans l’université, sauf un petit groupe qui a suivi de loin la manifestation, discrètement. On était plus que deux, moi et une fille musulmane, à manifester avec les garçons, à chanter des slogans pour la liberté et contre l’Islam à l’université ».

Mais cet événement n’est que l’un des épisodes de la véritable guerre aux femmes menée par les milices islamistes. Le port du hejab, qui n’était plus de mise, est obligatoire dans la rue. Comme en Tchétchénie, en Algérie ou en Afghanistan, tout ce qui semble contraire à la religion est susceptible d’être attaqué : coiffeurs, marchands d’alcool, femmes vêtues de jeans… Mais les principales cibles sont les femmes qui étudient ou travaillent à l’extérieur. Les femmes médecin, assistantes sociales, enseignantes, sont particulièrement visées : assassinats par balles ou pat décapitation. Aux prescriptions propres à l’islam fondamentaliste, s’ajoute un anti-occidentalisme qui formait jadis le fond du discours de la gauche moyenne-orientale.

A Bassora, la grève étudiante déjà évoquée a permis d’obtenir l’évacuation des islamistes qui faisaient régner « l’ordre » à l’université et voulaient interdire aux étudiantes d’assister aux cours. Mais à Bagdad, cette surveillance existe toujours dans plusieurs écoles et facultés. Enfin, il faut rappeler la manifestation de femmes en faveur de la charia, dans le plus pur style khomeyniste, organisée par Moqtada al-Sadr. Le programme islamiste est déjà entré dans la réalité irakienne.

Cette situation de violence politique contre les femmes donne libre cours aux violences privées. Ainsi, si la révélation des tortures dans la prison d’Abou Ghraïb, en particulier celle des viols, a eu un vaste écho international, l’assassinat de plusieurs de ces femmes violées par leur famille, afin de « laver l’honneur », a été révélé par l’Organisation pour la liberté des femmes en Irak. Violence dans la violence, il témoigne tristement de la situation actuelle des femmes irakiennes. Si les viols perpétrés sur les détenues a été considéré comme insupportable, c’est moins pour ce qu’ont subi les femmes elles-mêmes que pour l’atteinte faite à la fierté nationale et familiale.


Voir en ligne : www.ifcongress.org