Un signe des temps. Je rentre chez moi à Beyrouth en provenance de Paris, je suis à 20 minutes de mon appartement lorsque les fenêtres de mon bureau sont soufflées d’un coup sec. Une explosion colossale retentit dans toute la capitale libanaise. A l’extérieur de la maison, 500 mètres plus bas en dessous de la Corniche, de la fumée tourbillonne au-dessus du Staff Sporting Club. Des soldats crient, des flics tentent de maintenir les premiers journalistes à distance, mais je rôde à travers les ruines près de la mer avec un vieux copain libanais photographe et nous nous retrouvons dans les décombres d’un train fantôme pour touristes, les rails et les voitures broyées. "Entrez à vos risques et périls", est-il écrit au-dessus du tunnel. Et, de l’autre côté, il y a une voiture en feu contenant le cadavre de la dernière victime d’assassinat du Liban.
Et pas n’importe quelle victime ! L’homme qui se trouve dans le véhicule qui se consume est Walid Eido, un membre du parlement de Beyrouth, un ancien juge, très vénéré - anti-syrien, bien sûr, autrement il ne serait pas mort, n’est-ce pas ? Celui-ci était un supporter de Saad Hariri, le fils de l’ancien Premier ministre assassiné, Rafik, qui a été tué dans une explosion encore plus grosse le 14 février 2005, à 1 kilomètre de l’autre côté de mon appartement. Qu’y a-t-il à Beyrouth qui transforme si rapidement cette ville magnifique bénie par le soleil en crématorium ?
Eido a été tué avec son fils Khaled et j’ai vu leurs cadavres, rôtis, couverts de sacs plastique bon marché afin que les photographes libanais avides ne puissent pas se servir de leur restes funéraires à la une de leurs journaux. Les deux gardes du corps de Walid Eido sont morts avec eux. Le "Sporting" était l’endroit favori des hommes d’Hariri, mais, comme d’habitude, cet assassinat doit avoir été très bien préparé, bien coordonné et payé d’avance.
Et quel coup de massue pour le corps politique du camp Hariri ! Le parti majoritaire d’Hariri est la raison pour laquelle le gouvernement de Fouad Siniora survit, soutenu - que Dieu les garde ! - par les Américains, abandonné par le Hezbollah qui a persuadé six ministres chiites de démissionner du gouvernement l’année dernière. Aurait-il pu y avoir hier soir une cible plus dévastatrice pour les ennemis du gouvernement ?
Walid Eido représentait une circonscription dans la zone musulmane sunnite dure de Basta, à Beyrouth. C’était un homme politique populiste qui avait constamment condamné "l’interférence" de la Syrie et qui s’était plus récemment tourné vers l’action politique du Hezbollah contre le gouvernement. Lorsque le groupe milicien pro-syrien, qui a résisté au bombardement dévastateur par Israël de l’année dernière, a planté ses tentes dans tout le centre de Beyrouth, dans une tentative de faire tomber le gouvernement de Siniora, ce fut Eido qui compara cela à une "occupation".
Et quelle sera la réaction à ce dernier meurtre des plus scandaleux ? A la suite de cet attentat, parmi les décombres du train fantôme, les auto-tamponneuses retournées et les piscines recouvertes de cendres, il n’y avait que le choc. Mais chaque crise est pire que la précédente. Chaque assassinat - d’un politicien communiste, d’un journaliste, d’un député chrétien - chaque éruption de violence de guérilla - 61 soldats ont été tués jusqu’à présent dans le combat contre le Fatah al-Islam au Nord - fait avancer le Liban à grand pas vers les abîmes. Au cours de ces derniers mois, les bombes ont explosé vers minuit, ici une zone industrielle, là un centre commercial chrétien ou musulman, toujours trop tard pour causer des pertes massives. Et, bien sûr, c’est de cela qu’il s’agit : menacer plutôt que tuer. Mais qu’arrivera-t-il si la prochaine bombe explose à midi plutôt qu’à minuit ? Combien de morts, alors ? C’est le cauchemar avec lequel vivent les Libanais. Si, ce soir, dans Basta la prolétaire, les foules peuvent être contenues (par une armée en majorité chiite), que se passera-t-il demain ?
C’est grâce à l’énorme mérite des Libanais qu’ils ont refusé de s’embarquer, malgré la provocation, dans une nouvelle guerre civile. Mais les provocations ne sont pas terminées. Cela peut devenir bien pire. La nuit dernière, à côté des auto-tamponneuses, il y avait une plaque minéralogique brûlée : 101437. Les enquêteurs libanais ont relevé le numéro. Mais - et je suis fatigué de le répéter dans mes reportages - pas un seul assassinat libanais n’a été résolu depuis 1976 !
traduit par [JFG/QuestionsCritiques]