« Pour notre liberté et pour la vôtre, pour notre fierté et votre dignité humaine, nationale et sociale ! »
(dernier testament des combattants du Ghetto de Varsovie)
« Je veux que les Allemands sachent où est allé tout l’argent qu’ils ont donné à l’Etat d’Israël. ». Ces mots sont ceux de l’un des survivants du génocide juif de la Seconde Guerre mondiale qui manifestait devant la Knesset pour exiger une revalorisation de l’allocation de l’Etat aux survivants du génocide.
Beaucoup de ces survivants, qui sont aujourd’hui évidemment très âgés, vivent dans une extrême pauvreté : l’allocation qu’ils reçoivent de l’Etat est insuffisante pour vivre décemment durant les quelques années qu’il leur reste à vivre et ils manquent souvent des soins médicaux dont ils ont besoin. Leurs protestations concernent l’argent mais d’abord et avant tout, leur dignité perdue : « J’ai fait tout le chemin depuis Ramat Gan pour protester contre l’humiliation des survivants de l’Holocauste » dit Haya Rosenbaum, une survivante d’Auschwitz.
Et l’humiliation est double : d’abord, ils doivent mendier de l’argent afin de survivre alors que l’Etat d’Israël existe grâce aux compensations énormes qu’il a reçues des Allemands, « au nom des victimes » ; et ensuite, parce que la première réponse du gouvernement a été de porter l’allocation mensuelle à... 20 $US, pas même assez pour se payer une tasse de thé tous les jours. Après négociations, Ehud Olmert a accepté de l’augmenter : le paiement mensuel total sera maintenant de... 280 shekels (NIS), c’est-à-dire, environ 70 $US (52 €), en plus de ce que chaque personne âgée touche de l’Institut national d’assurances, autour de 2 000 NIS.
Bien pires que l’aspect financier de cette confrontation, il y a sa dimension morale et tout ce manque d’empathie envers les survivants. On peut imaginer ce qu’aurait été la réaction de l’opinion publique internationale si l’Allemagne, ou n’importe quel pays européen, avait traité les survivants juifs de la manière que le fait Israël (j’ai écrit intentionnellement « juifs » car les autres survivants - Roms, communistes, homosexuels, etc. - sont complètement exclus du discours israélien). « Ils n’ont pas honte d’essayer et de gagner de l’argent sur la souffrance de notre peuple », a osé dire l’un des conseillers d’Olmert à la télévision israélienne. Lui qui possède un bureau, une voiture et reçoit un salaire 10 fois supérieur à l’allocation des survivants, tout cela grâce à l’aide allemande des années 1950 et 60 à Israël.
La dette d’Israël envers les victimes du génocide juif est immense, et sans cette tragédie, il est raisonnable de déduire qu’Israël n’aurait jamais existé. On se serait attendu à ce que la direction du pays exprime au moins du respect, sinon de la gratitude, envers les survivants et fasse tout son possible pour leur fournir des conditions de vie décentes pour leurs dernières années.
« Souvent je me demande si ce ne fut pas une erreur de rester vivante » dit Miriam Yahav, qui a survécu à Auschwitz et Treblinka, « si ce ne fut pas une erreur de venir en Israël pour vivre parmi les Juifs. Il y a soixante ans, nous avons été opprimés et volés par les nazis et leurs valets. Des années plus tard, nous sommes volés par notre propre gouvernement. C’est honteux ! ». Eizer Eilon, qui a été dans pas moins de 5 camps de concentration nazis ajoute : « Ce que les nazis finalement n’ont pas réussi à faire, le gouvernement israélien pourrait y arriver, grands dieux, non ! » (1)
Cette dernière citation me rappelle une interview dans les années 80, à l’occasion du 50ème anniversaire de la révolte du Ghetto de Varsovie, de Marek Edelman, l’un des commandants du soulèvement et l’un des dirigeants de Solidarnosc. Dans cette interview, le grand homme accusait l’Etat d’Israël d’avoir donné le coup fatal à l’existence des Juifs d’Europe de l’Est : « Les Israéliens, si forts et si puissants, les Israéliens qui ont gagné toutes leurs guerres, ont honte des victimes de la Shoah et méprisent les survivants. Israël n’a rien fait pour la renaissance de la culture juive, pour l’héritage de millions d’êtres humains qui ont créé un monde juif entre le Dniepr et la Vistule. Même leur langue a été enterrée. Comme si Israël avait honte de l’histoire du peuple juif d’Europe de l’Est et voulait gommer son passé. » (2)
En effet, l’attitude d’Israël à l’égard du génocide de la communauté juive européenne est totalement manipulatrice : les musées et les jours de commémoration visent à inculquer à la jeunesse israélienne que, seules, la puissance et la force militaire peuvent garantir l’existence des Juifs, et une propagande systématique s’adresse à la communauté internationale et aux peuples du monde afin de les obliger à soutenir inconditionnellement la politique d’Israël et à mettre en doute la souffrance du peuple palestinien.
La mémoire des martyrs de notre peuple est trop sacrée pour être laissée entre les mains des politiciens cyniques qui dirigent l’Etat d’Israël. Il est de notre devoir d’ôter leurs cendres des mains sales et pleines de sang d’Ehud Olmert et Shimon Peres, et de traduire le dernier testament des combattants de Varsovie en une ligne d’action : « Pour notre liberté et pour la vôtre, pour notre fierté et votre dignité humaine, nationale et sociale ! »
1) toutes ces citations sont tirées de l’édition du 6 août 2007 d’Ha’aretz
2) cité dans Points Critiques n° 52 - août/octobre 1993