Les États-Unis ont augmenté leurs troupes dans le centre de l’Irak, où vivent les sunnites, afin de contrer la rébellion. En se basant sur les expériences françaises et britanniques à la fin de la période coloniale, l’armée états-unienne a voulu chasser par la force les insurgés d’une petite zone pour ensuite gagner les faveurs de la population locale en fournissant des services et en stimulant le développement économique. Après avoir consolidé cette zone, la même approche est appliquée dans les secteurs voisins afin de se répandre à l’ensemble du pays. Mais en examinant les dynamiques politiques et militaires sur le terrain, on remarque que la diminution de la violence en Irak n’a rien à voir avec cette stratégie.
Une bonne partie de la violence en Irak depuis quelques années ne provient pas des rebelles ou d’al-Qaïda, mais plutôt d’une animosité entre sunnites et chiites. Ces affrontements ont causé une émigration des sunnites vers des pays voisins. De plus, les sunnites et les chiites qui vivaient dans des quartiers mixtes ont déménagé dans des zones homogènes protégées par des milices locales. Ces mouvements de population ont diminué les probabilités des violences interconfessionnelles. Cette dynamique interne est donc grandement responsable de la chute de la violence, surtout à Bagdad.
L’influence saoudienne
La baisse de la violence s’explique par le fait que les tribus sunnites d’Anbar et de Diyala ont laissé tomber la rébellion pour s’allier aux États-Unis contre al-Qaïda. Mais cela n’a rien à voir avec la stratégie américaine puisqu’il n’y avait pas eu d’augmentation des forces avant que les leaders sunnites décident de tourner le dos à al-Qaïda. Ces clans arabes ont commencé à coopérer quelques mois avant l’arrivée des renforts états-uniens. Les opérations d’al-Qaïda avaient alors fait de nombreuses victimes chez les sunnites et les agents du groupe terroriste avaient violé des coutumes locales. Les chefs sunnites ont donc approché les officiers états-uniens de la région pour expulser al-Qaïda. D’abord à Anbar, puis à Diyala.
Cette nouvelle alliance s’explique aussi par des facteurs externes. L’Arabie saoudite avait depuis longtemps prévenu les États-Unis que la chute de Saddam Hussein déstabiliserait la région et ouvrirait la porte à une domination chiite et iranienne. Afin de stabiliser son voisin et pour mettre des bâtons dans les roues des chiites et de l’Iran, les Saoudiens ont eu recours à la diplomatie et à l’argent pour convaincre les chefs sunnites. D’autres incitatifs américains, ainsi que des programmes de contre-insurrection ont par la suite permis de consolider l’appui des sunnites, mais les changements étaient déjà entamés.
Les États-Unis copient l’Iran
Plus de soixante pour cent des Irakiens sont chiites. La plupart vivent dans le Sud, une région où la présence américaine n’est pas significative. Le Sud a été laissé aux Britanniques qui, grâce à l’expérience de l’Irlande du Nord, ont compris qu’il fallait mettre l’accent sur le respect des populations locales et qu’il fallait éviter d’avoir recours à la gâchette, des principes souvent oubliés par les Américains.
De plus, les régions chiites sont fortement influencées par l’Iran, qui est de même confession religieuse. La majorité des groupes politiques chiites clés, et les milices qui y sont associées, ont été formés en Iran durant la longue guerre entre les deux pays. La quasi-totalité reçoit de l’argent d’Iran. Les gardiens de la révolution d’Iran entraînent et conseillent les milices irakiennes chiites et des cadres politiques travaillent avec les chefs locaux dans des projets de développement. Sur plusieurs points, la stratégie de contre-insurrection des États-Unis est une copie de l’approche des gardiens de la révolution d’Iran, qui a été mise en branle bien avant le début du programme américain dans les premiers mois de 2007.
L’influence iranienne a permis de conserver une certaine cohésion parmi des groupes chiites disparates, qui tendent à résoudre leurs conflits par la violence. Le gouvernement de Nouri al-Maliki a ainsi pu faire face à la tempête. Les gardiens de la révolution ont par exemple obtenu des cessez-le-feu entre différentes milices chiites et aussi entre l’armée de Sadr et celle qui est sous les ordres d’al-Maliki. Même si aucun responsable américain ne veut le reconnaître en public, il est clair que l’Iran a joué un rôle primordial dans la réduction des violences.
L’Iran a changé son fusil d’épaule pour chasser les États-Unis d’Irak. L’Iran n’essaye plus de forcer le départ des Américains en fournissant des armes aux milices et en encourageant une guerre d’usure jusqu’à ce que l’opinion publique états-unienne exige un retrait. Cette approche a été mise en échec en raison de la tiède opposition à la guerre aux États-Unis, de la forte cohésion des troupes de combats américaines, du déclin de la rébellion sunnite et des menaces de frappes aériennes par la Maison-Blanche. L’Iran cherche maintenant à stabiliser autant que possible l’Irak pour encourager par la suite les chiites à exiger le départ des États-Uniens.
Les difficultés liées à la stratégie du renfort
Cette stratégie de renfort dans les zones sunnites durant les 18 derniers mois a créé certains problèmes. Plusieurs ententes entre l’armée américaine et des clans sunnites ont marginalisé les partis politiques sunnites, qui n’ont jamais eu la même cohésion que leurs vis-à-vis chiites. Ceux-ci craignent évidemment une région sunnite forte. Les chiites seraient donc satisfaits d’avoir en face d’eux une région sunnite fracturée, mais stable, plutôt qu’unifiée en prévision des élections de cet automne.
Cette attention accrue vers les régions sunnites a permis à l’Iran d’étendre son influence aux partis et aux milices chiites. Plus important encore, cette fixation sur ce plan de la Maison-Blanche a relégué l’Afghanistan au deuxième, et même au troisième plan. Pendant ce temps, les talibans et al-Qaïda ont consolidé leurs sanctuaires le long de la frontière pakistanaise. De ces enclaves, ils ont pu étendre leur contrôle sur les territoires pachtounes dans le Sud et dans des zones du nord de l’Afghanistan.
La situation en Irak est extrêmement complexe. Si on considère la vanité individuelle et l’esprit de clocher bureaucratique, qui amplifient l’importance donnée aux projets fétiches, les dirigeants américains seront incapables de saisir ce qui s’est passé en Irak depuis près de deux ans. L’impact de la stratégie des renforts pour diminuer la violence a donc été grandement exagérée à Washington et dans la zone verte de Bagdad. Et le public américain a succombé à cette belle histoire basée sur des notions populaires comme l’ingéniosité et la détermination de ses soldats.
Ils sont tous victimes d’un lien de causalité fallacieux bien illustré par le proverbe latin Post hoc, ergo propter hoc (à la suite de cela, donc à cause de cela).
Le danger c’est que le général Petraeus, qui va prendre les rênes cet automne du commandement central des États-Unis (CENTCOM), décide d’utiliser cette stratégie en Afghanistan, où la situation est bien différente.
L’auteur est vétéran de la guerre du Vietnam. Il a écrit plusieurs livres militaires et politiques. © Asia Times