État de guerre
Dans les provinces du nord (North West Frontier et Baloutchistan) ainsi que dans les territoires dits tribaux, la guerre continue entre l’armée et les islamistes. Chaque jour ou presque, des affrontements ont lieu, ainsi que des attentats commis par des commandos-suicide. Depuis le début de 2008 selon Dawn (quotidien publié à Karachi), il y a eu 16 attaques-suicide qui ont fait 242 morts. Les installations de l’armée et de la police sont visées, mais la plupart du temps, ce sont des civils qui sont les victimes. Parallèlement., ces régions sont frappées par un état de non-droit permanent qui se manifeste par les exactions de l’armée contre les civils, également par la criminalisation de la société (rackets, enlèvements, assassinats). Évidemment, toutes ces turbulences sont étroitement reliées à ce qui se passe de l’autre côté de la frontière, en Afghanistan, où l’insurrection talibane s’accroche malgré les durs coups que lui portent les armées de l’OTAN et des États-Unis.
Timides espoirs de négociation
Le nouveau gouvernement fédéral mis en place par le PPP et la Ligue Musulmane estime qu’il faut entreprendre des négociations. Dans la province du NWFP, le gouvernement provincial dominé par l’ANP a effectivement entrepris des négociations, le plus souvent à l’échelle locale. Le chef des Talibans pakistanais, Baitullah Mehsud, se dit d’accord avec l’idée d’un processus de paix, mais exige d’abord le retrait de l’armée des territoires où la « mouvance » islamiste est à l’œuvre. Selon le principal mouvement de droits humains pakistanais, le HRCP, la majorité des combattants islamistes sont recrutés localement de la masse des jeunes hommes en chômage. Il y a cependant un « noyau dur » internationalisé et lié à Al-Qaïda. Pour avancer dans le processus, le gouvernement de l’ANP désire organiser de vastes consultations locales impliquant les chefs de tribus, une sorte de « loya jirga » qui mettrait l’accent sur le dialogue et la réconciliation nationale.
L’intervention des États-Unis
Mais Washington est contre ces négociations, comme l’a récemment dit à Islamabad le secrétaire d’état adjoint, John Negroponte. Officiellement, les États-Unis pensent qu’une trêve pourrait redonner aux islamistes du temps et de l’espace pour se réorganiser. En fin de compte selon les analystes pakistanais cependant, la logique de la « guerre sans fin » va à l’encontre de tout accommodement politique. Il est important que la région continue d’être déstabilisée par la guerre, sans que celle-ci ne devienne trop dangereuse pour autant. Les États-Unis veulent donc souffler le chaud et le froid et justifier leur présence dans la région, tout en forçant les militaires pakistanais à être davantage en phase avec la politique états-unienne. Certes, cette armée a toujours été le fidèle allié des États-Unis. Mais à plusieurs reprises, elle a également joué son propre jeu, notamment sur le dossier nucléaire et dans l’aventure afghane.
Les affrontements à venir
L’armée et ses redoutables services de sécurité (ISI qui ont toujours été l’État dans l’État au Pakistan essaient de manœuvrer dans un contexte où sa crédibilité est à zéro. Le président Musharraf n’a plus d’appui populaire, surtout depuis l’affaire dite des « juges » lorsqu’il a renvoyé plusieurs juristes qui le menaçaient de poursuite pour corruption et fraude électorale. La question est encore d’actualité car le nouveau gouvernement a promis de réinstaller les juges. Mais déjà des divisions sont survenues entre le PPP et la Ligue musulmane. Il semblerait que le PPP essaie de trouver un « compromis » avec l’armée pour éviter la confrontation. Avant son assassinat, c’est d’ailleurs la stratégie que poursuivait Benazir Bhutto avec l’appui des États-Unis d’ailleurs. Ce louvoiement du PPP et de son nouveau chef Asiz Ali Zardari (le veuf de Benazir) inquiètent l’opposition civile qui voit là la continuation de l’habituel « jeu politique » au Pakistan. Selon le président de l’ANP Afrasiab Khattak, les partis traditionnels et l’armée savant s’ajuster l’un à l’autre : « quand cela va mal pour l’armée, les partis reviennent au devant de la scène, sans être vraiment capables d’exercer le pouvoir. Au bout de quelques années, l’armée revient au pouvoir soit en s’imposant par un coup d’état, soit en intervenant directement sur le terrain politique ». Il faudrait pou changer cela qu’il y ait un vaste mouvement « par en bas » au niveau de la société civile, mais pour le moment, cela ne semble pas à l’ordre du jour. Lors des manifestations à l’automne et à l’hiver dernier, la population a en général appuyé les revendications de avocats et des juges, mais sans y participer massivement.
Une crise économique latente
Ijaz Khan, qui enseigne à l’université de Peshawar pense que cette passivité pourrait basculer si la crise économique latente s’aggrave. En effet, en dépit de taux de croissance élevés gonflés par la croissance de Karachi (la métropole économique du pays), l’économe stagne et même régresse. Le déficit commercial s’est accru de deux milliards de dollars depuis le début de l’année, de même que la dette externe (de $33 à $40 milliards). Également, l’augmentation phénoménale des prix du pétrole et des aliments pourrait faire très mal, dans un pays où la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté (deux dollars par jour). À cela s’ajoute le déficit énergétique qui devient très sérieux.
Les défis du mouvement démocratique
Les forces politiques comme l’ANP qui réclament une véritable démocratisation du pays restent fragiles, même si elles exercent une parcelle du pouvoir (au niveau provincial), puisque les réels leviers du pouvoir restent dans les mains de l’armée. Dans le PPP et la Ligue musulmane, les clans qui dominent depuis toujours empêchent un ralliement de l’opposition à une perspective de démocratisation claire et forte. D’autant plus que les pratiques népotistes et corrompues sont également la marque de commerce de ces partis, notamment le PPP dont les chefs ont été régulièrement accusés de massifs détournements de fonds. Au niveau de la société civile, les mouvements populaires sont en général faibles et disloqués, à part quelques exceptions comme le mouvement des communautés côtières à l’est de Karachi (Pakistan Fisherfolks Forum). Des organisations de droits comme HCRP jouent un rôle important, mais limité. À côté de ces organisations disposant d’un enracinement populaire prolifèrent une ribambelle d’« ONG » qui sont en majorité des organismes de services financés par et redevables aux agences de coopération européennes et nord-américaines. La transformation de cet ensemble s’avère une œuvre de longue haleine. Lors du Forum social mondial « décentralisé » de Karachi de 2006, cette mouvance civile a démontré ses capacités mais aussi ses contradictions. C’est en partie ce qui explique que dans les milieux populaires, notamment en milieu rural, les Islamistes continuent d’être, et de loin, le pôle dominant. D’une part parce que leur discours anti-gouvernemental et anti-américain est sans équivoque. D’autre part parce qu’ils livrent à la population des services sociaux et éducatifs considérables. Par exemple dans le domaine de l’éducation, la désintégration du système public a ouvert la voie aux madrasas contrôlées par la galaxie islamiste. Selon Afrasiab Khattak, il faudra du temps et du courage pour changer cette situation.