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PALESTINE

Qui est responsable de la catastrophe à Gaza ?

Jeudi 14 juin 2007, par Pierre BEAUDET

Les forces armées de Hamas contrôlent maintenant l’essentiel de la bande de Gaza. En dépit de leur armement supérieur, les militaires associés au Fatah et au Président Abbas n’ont pu tenir le coup devant la détermination des combattants islamiques. C’est donc une nette victoire militaire pour Hamas. Rien n’est cependant joué. Le limogeage du gouvernement d’unité nationale par le Président Abbas laisse penser que les affrontements vont continuer. Chose certaine, les Palestiniens sont dans un gros trou noir.

Une confrontation prévue et prévisible

Depuis plusieurs mois, les deux principaux protagonistes n’ont cessé de se préparer à l’affrontement. Le Fatah s’est réarmé, en partie avec le soutien militaire américain. Les Israéliens pour leur part ont laissé entrer à Gaza plusieurs centaines de combattants des forces spéciales du Président. Hamas pour sa part a refusé tout compromis sur l’autonomie de ses troupes que le Président Abbas voulait intégrer dans une seule force militaire. En dépit des négociations de La Mecque et de la constitution d’un gouvernement d’unité nationale, ces préparatifs militaires se sont récemment accélérés. Du côté de Gaza, c’est l’homme fort du Fatah, Mohamed Dahlan, qui a orchestré les préparatifs. Dahlan, dont la réputation à Gaza est plutôt sulfureuse, a proposé au Président Abbas d’« éradiquer » Hamas, rien de moins. Il aurait dit à ses contacts américains et israéliens qu’il était en mesure de « nettoyer » la bande de Gaza en 24 heures.

Le chaos

Avant les derniers affrontements, Gaza est devenu une sorte de zone de non-droit. Des enlèvements, des attaques contre des domiciles et des commerces ont proliféré comme jamais auparavant. Selon l’avocat Raji Sourani, plusieurs de ces opérations remontent à des proches de Dahlan. L’idée étant de démontrer que Hamas n’était pas en mesure de gouverner le territoire. Les lancements de roquettes artisanales contre le territoire israélien auraient relevé de la même tactique. À plusieurs reprises, Hamas a tendu la main aux autorités israéliennes pour décréter un cessez-le-feu mutuel, mais à chaque fois que les négociations semblaient pouvoir déboucher, de nouveaux attentats ont paralysé le processus.

Hamas realpolitik

Depuis plusieurs mois en effet, Hamas a cherché à reprendre le processus de négociation. Il a carrément endossé la Déclaration des pays arabes dite de Beyrouth préconisant la reconnaissance d’Israël en échange de la libération des territoires occupés en 1967. Les dirigeants islamistes ont reconnu la nécessité de ce tournant pour permettre aux Palestiniens de respirer un peu, de remettre en place une administration fonctionnelle, de rebâtir l’économie, bref de permettre le redémarrage de la société, en échange d’en engagement à garantir la sécurité à l’État israélien. Du côté israélien, et notamment parmi les services de sécurité, cette ouverture a été prise au sérieux. Les responsables israéliens savent très bien que c’est la retenue de Hamas et non l’érection du Mur qui a permis la diminution des attentats en Israël.

Les ambiguïtés du mouvement islamique

Pourquoi alors cette orientation n’a pas fonctionné ? Il y a d’une part les secteurs ultra comme Mohamed Dahlan qui sont prêts à tout pour reprendre le pouvoir. Mais il y a aussi des ambiguïtés et des contradictions du côté de Hamas. En effet, le mouvement islamiste qui est devenu la force politique majoritaire dans les territoires occupés n’est pas encore suffisamment cohérent et inclusif pour réunir l’ensemble des Palestiniens comme l’avait fait l’OLP à l’époque de Yasser Arafat. Encore aujourd’hui, Hamas fait peur, notamment aux couches moyennes (intellectuels, enseignants, fonctionnaires) qui ne reconnaissent pas dans le discours islamiste ou dans ses pratiques autoritaires contre les femmes notamment. C’est différent cependant au niveau populaire où les pauvres, les déshérités et les réfugiés appuient Hamas comme l’antidote à la corruption et à la malgestion identifiées au Fatah, de même qu’un contrepoids nécessaire face à la tendance affichée par le Président Abbas à des compromis qui remettent en question les droits palestiniens.

Qui sème le vent …

La crise actuelle n’aurait jamais pris l’ampleur que l’on connaît si elle n’avait été sciemment entretenue par Tel-Aviv et Washington. En plus de participer au réarmement de groupes palestiniens, Washington a imposé avec la connivence de la majorité des pays occidentaux le boycottage du gouvernement palestinien dès l’élection de Hamas en janvier 2006, ce qui avait comme objectif explicite le renversement de ce gouvernement. Résultat prévisible, l’infrastructure palestinienne a été pratiquement anéantie, suscitant un désordre immense et surtout la misère. Dans l’optique de Washington malheureusement, il fallait punir la société palestinienne pour avoir majoritairement voté du « mauvais bord » et la forcer à se révolter contre ses dirigeants démocratiquement choisis. Les néoconservateurs qui dominent encore Washington ont une vision extrémiste. Ils voudraient briser le nationalisme palestinien et obliger les leaders de devenir les gérants d’une occupation non seulement illégale mais qui sape les fondements de la société palestinienne. La stratégie de manière similaire à ce qui se passe en Irak est d’alimenter la crise, le chaos et les violences. Cependant, cette politique est très dangereuse, car cette « gestion du chaos » peut mal tourner, comme on le voit trop bien dans toute la région.

Les Palestiniens en otages

Il se peut qu’Hamas complète sa « victoire » à Gaza. Les intégristes sont supérieurs militairement et leur base populaire est plus stable. Mais qu’arrivera-t-il par la suite ? Les « pessimistes » pensent que cela permettra aux Israéliens de consolider leur encerclement total de Gaza tout en accélérant la colonisation et le démembrement de la Cisjordanie. Les « optimistes » estiment qu’Israël n’aura pas le choix que de négocier avec Hamas pour éviter un embrasement généralisé, en sachant que Hamas a la capacité d’imposer un réel cessez-le-feu. En attendant, quatre millions de personnes sont prises en otages. Alors que les rumeurs de guerre s’accentuent au Liban, en Irak, voire en Iran, tout peut glisser, même la nucléarisation du conflit, comme cela est sérieusement discuté parmi les stratèges américains.