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NAIROBI 2007

Quelle place pour les femmes au Forum social mondial ?

Vendredi 1er décembre 2006, par Onyango Oloo

Malgré le progrès déjà fait pour inclure plus de femmes dans le mouvement du Forum Social Mondial, il existe toujours des problèmes complexes qui pourront se manifester pendant les jours qui précèderont la prochaine réunion du FSM laquelle se tiendra à Nairobi en 2007, dit Onyango Oloo lors d’un débat public consacré à « L’équilibre de genre au sein du FSM ». Mais tout n’est pas perdu. Selon Oloo, on peut encore agir pour encourager les hommes à se montrer solidaires envers leurs collègues femmes.

Conceptions de base

Tout d’abord, en parlant de ‘représentation des sexes’ au sein du Forum Social Mondial, il est crucial que mes lecteurs comprennent ce dont je ne parle PAS.

Je ne traite PAS de « problèmes qui touchent aux femmes » ; je n’essaie pas non plus de « résoudre » « la question de la femme ».

Je vise plutôt à explorer les questions soulevées par les relations de pouvoir entre les hommes et les femmes telles que celles-ci existent depuis très longtemps, et à les mettre dans le contexte de l’histoire de la planification et de l’organisation des événements à venir du FSM.

De plus, je me suis lancé dans cette tâche pour des raisons qui sont loin d’être « académiques » ; je ne suis pas motivé seulement par des préoccupations théoriques ou intellectuelles relatives au sujet du sexe de la personne.

Je me trouve actuellement en train de régler, parmi d’autres, les aspects logistiques et programmatiques de la mobilisation sociale, la collecte des fonds, l’assistance et la publicité pour la prochaine rencontre du FSM, qui aura lieu à Nairobi au Kenya, du 20 au 25 janvier 2007.

En tant qu’homme, je suis parfaitement conscient du privilège masculin que je détiens, ayant grandi dans un monde caractérisé par le patriarcat, la misogynie et d’autres formes d’oppression et de domination sur les femmes.

Étant kenyan, je suis également conscient de la présence indéniable de l’économie mondiale capitaliste, ce qui renforce ces oppressions anciennes en délimitant tout en fonction des classes sociales, et en faisant plonger des sociétés historiquement déterminées dans un tourbillon impérialiste, ce qui dans le contexte kenyan et africain, se traduit en néo-colonialisme.

Pendant les vingt-cinq dernières années, les politiques neo-libérales transférées au Kenya et à d’autres pays africains et austraux, par voie d’agences multilatérales telles que la Banque Mondiale, le Fond Monétaire International (FMI), l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), ont empiré la dynamique de pouvoir déjà inégale qui existait entre les hommes et les femmes dans les domaines de l’économie, de la représentation politique, des relations sociales et culturelles, sans oublier les impératifs idéologiques de nos jours.

Alors que l’humanité se bat pour réaliser la vision d’un monde alternatif qui serait plus orienté vers l’égalité et la justice sociale, on est plutôt conscient que cette lutte se passe dans le contexte et des conflits entre les classes sociales et des tensions entre les deux sexes qui marquent nos quotidiens.

Des femmes et des hommes progressifs continuent à se battre pour construire un monde meilleur, alors même que nous explorons toujours les rappels bruts du sexisme qui persiste, du patriarcat répandu et de la misogynie endémique qui infiltrent notre travail malgré nos engagements personnels et notre sincère refus d’accepter ces formes d’oppression, de marginalisation, de mépris ainsi que la haine pure et simple envers les femmes.

Il n’est donc guère étonnant que le fonctionnement du FSM, se déroulant ainsi dans un contexte complexe de conditions sociales, ne puisse être hermétiquement isolé de toutes les manifestations inquiétantes d’inégalité entre les hommes et les femmes ni d’autres aspects de dynamique de pouvoir inégal entre les deux genres.

Avant de procéder, permettez-moi de marquer une pause pour partager quelques brefs témoignages, perspectives et expériences du fonctionnement du Forum lui-même :

Témoignages et critiques concernant genre et fonctionnement du FSM

1. « …même en essayant de bâtir un monde alternatif fondé sur les principes de la démocratie directe et de la justice sociale, des contradictions internes demeurent au sein du FSM. L’une des plus remarquables concerne les faiblesses dans le maintien de la non exclusion de genre. La majorité des participants au FSM sont des femmes, mais la plupart des présentateurs de commissions sont des hommes, perpétuant ainsi le stéréotype des hommes en tant que ‘producteurs de connaissances’.

Cela soulève la question : que fera le FSM pour assurer la démocratie directe en termes de l’équilibre de genre ? » - Marc Becker, le 12 avril 2006

2. D’autres aspects du forum se sont révélés être plus problématiques. « Un problème d’envergure au FSM est la dynamique de genre, » dit Nadja Millner-Larsen, diplômée depuis peu de l’Université Bard à New York. « J’ai constaté une énorme absence de femmes sur les comités du Forum Social. J’ai assisté à un comité sur le mouvement anti-mondialisation et, à la fin, bon nombre de femmes se sont levées pour dire : « Comment peut-on créer un monde autre alors que la dynamique de genre de ces comités est malsaine ? »

« Certains de ces hommes ont répondu : « Oui, il faut y faire attention ». Mais d’autres membres du comité ont eu recours à cette réponse classique qu’utilise la gauche depuis les années 60 et ont dit : « Eh bien, les classes ne sont pas représentées de manière équitable, ni la race, vous ne devez donc pas être tellement outragées par la sous représentation des femmes ».

« Cela évite la vraie question, » continue Millner-Larsen. « Si un Noir, se trouvant dans un public blanc, demandait pourquoi il n’y avait aucun membre noir d’un comité quelconque, ses interlocuteurs ne lui répondraient pas, « Ne vous en faites pas - il n’y a pas de femmes non plus ». Et voilà, trente ans plus tard et on compare toujours la classe et le genre aux femmes…C’est scandaleux. Le fait de permettre que cette distribution inégale de genre soit sanctionnée au sein du forum officiel a influencé à son tour, le Camp de Jeunesse. »

En plus des centaines de vols et des nombreuses bagarres au Camp de Jeunesse, des viols ont aussi été rapportés. « Il y avait un niveau élevé de violence dans le Camp de Jeunesse, explique Millner-Larsen. De tous les voyages que j’ai effectués, je me suis sentie plus exposée là-bas. J’avais le sentiment qu’être toute seule au camp était vraiment dangereux » - Benjamin Dangl, commentant le FSM à Puerto Alegre.

3. Pourtant, on estime que le mouvement des femmes n’est toujours pas au cœur du FSM. Dans son témoignage, Candido Grzybowski - sociologue, directeur de IBASE, et membre du comité organisateur du FSM - déclare que « les femmes représentaient seulement 43 % des délégués du FSM, même si elles constituent plus de 50 % de la population mondiale ! Il est triste de le reconnaître, mais le FSM continuait à être limité par rapport à sa représentation féminine. » Il reprend : « Au FSM, j’apprends une chose fondamentale, ce qui changera certainement mon rôle au sein du Forum et à IBASE. Les femmes sont une « minorité », division que nous avons créée au sein de la société civile.

A cet égard, cela ne sert à rien de blâmer le capitalisme, le neo-libéralisme, la mondialisation, les états exclusifs, etc. Cela est un problème majeur qui est engendré, développé et soutenu à travers la culture de la société

4. Un exemple valable serait les trains. J’ai rarement été prise d’une telle peur que lors d’un voyage par train pour me rendre un matin au Forum. Je ne suis pas montée au wagon des femmes. Je me suis dit qu’il n’y avait pas de place - avant de comprendre que la place qu’on m’avait offerte dans un wagon rempli d’hommes était l’enfer.

Dans cette situation quotidienne épouvantable, les femmes se battent pour se trouver une place, et d’une manière ou d’une autre, elles y parviennent. Au FSM, c’est la même chose : ni la question du genre en général ni les femmes n’ont été mieux représentées dans le programme officiel de cette année par rapport aux années précédentes. Les mêmes hommes ont dominé les comités les plus importants ; certains qui s’apprécient un peu trop, ont participé à plusieurs séminaires à la fois. Qui n’a pas vu Walden Bello (pour n’en nommer qu’un) prononcer un discours et dire ensuite « Vous m’excusez, je dois partir », pour se précipiter vers le séminaire suivant ?

Bon nombre de comités se composent entièrement d’hommes. Plusieurs activistes populaires qui se croient « super féministes » parce qu’ils savent un peu de théorie du genre, ont accepté de faire partie des comités sans la présence d’une seule femme. Partout, on a pu constater des relations « homo sociales » : des hommes préférant discuter avec d’autres hommes, des hommes favorisant d’autres hommes lors de l’organisation d’un séminaire ou de la rédaction d’un livre. Les femmes ont été reléguées au même espace qu’occuperait une Indienne dans un train.

Tout cela qui existe depuis le début au sein du Forum, était encore manifestement présent à Mumbai – mais, d’une manière ou d’une autre, cela a été défié et renversé par des femmes qui ont décidé d’occuper un espace plus important que celui qui leur avait été offert.

J’ai entendu dire bon nombre de personnes : « Quelque chose doit se produire au sein du FSM. Cela ne peut pas continuer ainsi. » Mais, cette année-là en effet, quelque chose s’est passé.

Une « nouvelle » question - les droits des femmes – est passée au premier plan.

Il reste encore de « vieux » problèmes. La manière de les résoudre impliquera peut-être des propositions qui ne plairont pas à certains. C’est comme pour les wagons des femmes. Beaucoup de gens s’opposeraient certainement à l’idée de séparer les voyageurs hommes et femmes. Eh bien, avant d’émettre des jugements, vous devriez vous mettre à la place d’une femme voyageant dans un train en Inde. Les wagons « pour tout le monde » se composent seulement d’hommes, qui harcèlent et agressent toute femme osant monter à bord. C’étaient en fait les femmes elles-mêmes qui se sont battues pour avoir un wagon exclusif pour elles.

Si les comités du FSM « pour tout le monde » comprennent uniquement des hommes, qui analysent et discutent de tout, et si les comités composés exclusivement de femmes ne débattent que des questions liées aux femmes, et que cette situation continue, sans égard pour ceux qui ne sont pas d’accord – peut-être qu’on devrait établir des règles. L’une de ces règles pourrait exiger que les comités au FSM composés exclusivement d’hommes n’aient le droit de discuter que de sujets relatifs aux hommes.

S’il y a des gens qui refusent de comprendre ce qui est évident, on devrait peut-être établir des règles jusqu’à ce qu’ils comprennent ? Je ne dis pas que ce soit une chose positive, mais le succès qu’ont eu les femmes cette année-ci, aura un impact sur le fonctionnement du Forum, impact qui durera plus longtemps que ces quelques jours passés à Mumbai.

Mais cette session du FSM (Mumbai 2004) ne devrait pas être caractérisée essentiellement comme une session où on s’est mis à établir des règles, mais plutôt comme une belle célébration politique dominée par les femmes. Selon des recherches qui ont été faites sur le genre, la perception est que les femmes représentent « la majorité » lorsqu’en réalité nous n’occupons que 30% de tout espace. Lors de cette session du Forum, la représentation des femmes a été plus ou moins en rapport direct avec notre proportion en termes de la population mondiale : environ 51%. Je pense que c’est la raison pour laquelle beaucoup d’observateurs ont eu l’impression que les femmes étaient partout présentes au Forum. - America Vera Savala.

Dynamique de genre qui prédomine en Afrique de l’Est

Dès le tout début les femmes de l’Afrique de l’Est jouent un rôle crucial dans la planification et l’organisation de la prochaine rencontre du FSM qui aura lieu en 2007. Par exemple, le seul membre venant du Kenya - pays hôte, qui siège au Conseil International, est une femme ; deux des quatre représentants kenyans au Conseil du Forum Social Africain sont des Kenyanes. La représentante principale du Forum Social Ethiopien aux réunions FSA/FSM est une femme ; en Tanzanie, au moins cinq des organisateurs principaux pour le FSM sont des femmes ; en Ouganda, presque la moitié des représentants du Comité Organisateur pour le FSM de Nairobi de 2007 sont des femmes.

A la cérémonie inaugurale du Comité Organisateur pour le FSM de Nairobi de 2007, tenue à Nairobi du 22 au 23 avril 2006, les femmes représentaient la moitié des sièges à la séance plénière. A la même réunion, 27.5% (22 sur 80) des participants étaient des femmes. Les femmes étaient également très bien représentées au sein du Comité Organisateur lui-même. Avant et après cette réunion cruciale, FEMNET, l’une des principales associations de la société civile pour les femmes africaines (et représentée au sein de trois commissions pour le FSM de 2007) a amorcé une série de réunions pour réunir les femmes participant au fonctionnement du FSM.

Simultanément, sur les sept commissions du Comité Organisateur du FSM, une seule est présidée par une femme malgré le fait que les femmes constituent près de la moitié des membres de ces commissions. Au sein de l’un des organismes clés en matière de prise de décisions – le Comité Local de Nairobi – deux des cinq membres sont des femmes. Le Secrétariat du FSM de Nairobi de 2007 est encore dominé par les hommes. A la cérémonie inaugurale du Comité Organisateur du FSM de Nairobi de 2007, les femmes ont fait appel à la mise en place d’une Commission pour la Femme – or jusqu’à ce jour, aucune décision n’a été prise.

Il est donc évident que les femmes de l’Afrique de l’Est jouent un rôle central dans le planning, dans l’organisation et la mobilisation pour le FSM de Nairobi de 2007. En même temps le processus même de préparer cette réunion demeure déterminé et dominé par les hommes. On n’aurait pas tort de croire que les témoignages et les perspectives partagés dans la partie précédente, retrouveraient leurs équivalents dans notre contexte régional.

La majorité de la population de la région de l’Afrique de l’Est se trouve toujours dans des régions rurales. Plus de la moitié de cette population est constituée de femmes. Pourtant, l’organisation et le planning pour Nairobi de 2007 se font principalement dans les principales villes urbaines, telles que Nairobi, Kampala, Dar es Salaam, la ville de Zanzibar, Mogadishu et Addis Abéba. Cela a des implications directes pour le FSM de Nairobi de 2007 lorsqu’il s’agit d’assurer la participation efficace au planning et à la mise en application de femmes venant de la classe ouvrière ainsi que de paysannes de l’Afrique de l’Est.

De jeunes femmes (pas seulement en Afrique de l’Est d’ailleurs) se sont plaintes que « Jeune » signifie « Jeune homme », ce qui marginalise les jeunes femmes qui, dans notre contexte local, sont plus nombreuses que leurs homologues mâles. On pourrait citer d’autres exemples, mais il suffit de dire que la question de la marginalisation des femmes au sein du processus du FSM est aussi une réalité en Afrique de l’Est.

Tout compte fait, cette réalité de la marginalisation des femmes ne devrait choquer personne. Le fonctionnement du FSM est un modèle en réduit des conditions concrètes qui existent dans le monde d’aujourd’hui. La dynamique de genre au sein du FSM reflète les relations de pouvoir actuelles entre les hommes et les femmes à travers le monde.

Si l’on se limite brièvement à la situation seule au Kenya, on sait pertinemment que l’actuelle misère écrasante a un impact bien plus dévastatrice sur les femmes kenyanes - même si ce sont les femmes qui sont à la base de la production alimentaire, qui sont les principaux moteurs économiques non rémunérés aux foyers, qu’elles s’occupent des enfants et prennent en charge la responsabilité des aînés, des séropositifs ainsi que des orphelins. Il n’y a qu’une poignée de femmes parmi les ministres et leurs adjoints dans le gouvernement boursouflé du Kenya.

Chaque jour sans exception, il y a littéralement des douzaines d’histoires dans la presse locale et par voie électronique au sujet de femmes tuées, violées, souillées, battues, brutalisées ou autrement agressées par leurs époux, leurs pères, oncles, frères, fils et d’autres hommes de leur entourage immédiat ainsi que des étrangers à part entière, qui considèrent que la gent féminine est vulnérable (allant du bébé de moins d’un an jusqu’aux grand’mères vieilles de presque cent ans), et qu’elle constitue donc une cible facile pour les excès de violence dont le but est de démontrer la suprématie masculine.

Au niveau national une grande colère s’est récemment manifestée lorsqu’une femme parlementaire kenyane a introduit un projet de loi pour légiférer contre une grande variété d’abus sexuels y compris le viol conjugal. Les hommes parlementaires kenyans ont pris le dessus en ridiculisant et dénigrant le projet de loi, un parlementaire très connu lançant des railleries que les femmes africaines qui disent "non" aux avances sexuelles ouvertes, veulent en réalité dire "oui".

Les colonnes des journaux étaient remplies de commentaires et de lettres aux rédacteurs déclarant que beaucoup d’hommes kenyans se sentent menacés dans leur bastion de privilèges réservés aux hommes, du coup réticents et/ou incapables de comprendre la terreur découlant du nombre croissant de cas de viols et de violences envers les Kenyanes. Les stations de radio étaient inondées d’appels téléphoniques et de texto venant de partout dans le pays au fur et à mesure que les remarques acerbes faites par les hommes à l’encontre du projet de loi de Njoki Ndung’u s’intensifiaient avec brio.

Même si certaines parties du projet de loi avaient été ébauchées de façon peu satisfaisante (comme, par exemple, la responsabilité de fournir des preuves laquelle fut étonnamment transposée depuis l’accusateur à l’accusé), les parlementaires kenyans parvinrent à enlever du projet de loi certaines des recommandations clés. Par exemple, ces parlementaires et leurs amis non parlementaires partout dans le pays trouvaient que c’était un grand triomphe de voir disparaître du texte définitif et largement modifié, la clause condamnant le viol conjugal.

Deux mois auparavant, l’auteur de cet article fut horrifié par la façon dont la foule réunie dans une boîte de nuit de Mombasa, acclamait avec approbation un comédien soliste qui se moquait d’une Kenyane victime d’un viol collectif commis avec violence une semaine plus tôt. En écoutant les commentaires sportifs à la radio ou en parcourant les colonnes hebdomadaires d’écrivains hommes, il est évident qu’au Kenya le sexisme et la misogynie dépassent l’âge, la classe sociale, la tribu, l’ethnie, le culte, la confession, les divisions urbaines / rurales ainsi que tout autre division sociétale.

On ne devrait donc pas s’étonner que ce pouvoir inégal entre hommes et femmes se manifeste dans le déroulement même du FSM actuel. Ou encore que la situation en ce qui concerne le planning et l’organisation pour 2007 à Nairobi semble refléter une réalité qui dépasse les interactions au quotidien entre hommes et femmes kenyans et le reste de la région de l’Afrique de l’Est.

Pour le Forum Social Mondial de Nairobi de 2007 : ou comment tirer des leçons des erreurs de genre commises dans le passé par le FSM

Lorsqu’on constate la dynamique entre les sexes dans la préparation du Forum de 2007, on est rempli d’optimisme et on déborde d’espoir. Cela malgré le tableau alarmant peint dans le texte précédent et en dépit du bilan global peu flatteur des relations de pouvoir entre hommes et femmes partout dans le monde.

Pourquoi donc cet optimisme ? De quelle source jaillit cet espoir ?

L’optimisme naît après avoir mesuré combien les femmes impliquées dans le fonctionnement du FSM à travers le monde ont défié avec succès les bastions et les privilèges des hommes ; cet optimisme s’inspire du fait qu’un nombre grandissant d’hommes de la famille FSM s’autocritiquent pour interroger leur propre rôle, comprenant combien ce rôle continue à marginaliser les femmes.

L’espoir, poétiquement surnommé "espoir têtu", provient de Dennis Brutus (vétéran du FSM à part entière) : l’espoir obstiné des opprimées et des marginalisées à reprendre des rôles de premier plan par le biais de combats collectifs bien résolus. Quant à l’Afrique de l’Est, l’optimisme et l’espoir viennent de la présence de plusieurs féministes rigoureuses qui ont aidé à mettre sur pied des forums sociaux en Ouganda, en Tanzanie, au Kenya, en Ethiopie, et en Somalie ainsi que d’un noyau d’hommes progressifs qui comprirent au tout début du processus que la participation active des femmes ainsi que le besoin d’interroger les croyances soutenant la domination masculine et la marginalisation de la femme, sont des indicateurs clés de l’évolution et de la maturité des Forums Sociaux dans cette région de l’Afrique.

En dépit de ces acclamations, le chemin devant nous est rocailleux ; il est montagneux et épineux.

M’exprimant comme un homme soucieux de contribuer au réajustement de cette équation disproportionnée de l’égalité des sexes, je suis convaincu qu’il est grand temps pour les hommes de l’Afrique de l’Est de commencer à s’auto-interroger sérieusement.

La question d’occuper de l’espace est l’un des fils conducteurs principaux qui peut servir à entamer cette réflexion et cette rectification. L’un des mantras du Forum Social Mondial est que chaque personne réclame son espace. Mais ce faisant, est-ce que nous les hommes absorbons tout l’oxygène ? Est-ce que nous étouffons les autres ? Est-ce qu’on ne les oblige pas à se taire ? Ne prenons-nous pas, littéralement, TROP d’espace ? Combien de fois et pendant combien de temps parlons-nous ? En parlant souvent et à haute voix, peut-être que nous faisons taire les autres - en particulier nos amies les femmes dans leur lutte pour un monde meilleur, un monde où elles auront droit à plus de choix ?

Lorsque les femmes parlent, est-ce que nous les hommes les écoutons ? Combien de fois ne se montre-t-on pas impatient en entamant des conversations à côté avec ‘nos frères’ ou en interrompant nos soeurs quand elles parlent ? Lorsque les femmes interviennent, est-ce que nous les hommes approuvons ce qu’elles disent ou attendons-nous plutôt "Notre" chance de parler sans nous soucier de leur prêter une oreille attentive ? Est-ce que lors de telles rencontres nous nous interrogeons sur les rôles sociaux des deux sexes (comme, par exemple, qui rédige le compte rendu, qui prépare le thé, qui fait le nettoyage) ?

Plus d’une fois lors du fonctionnement du FSM, j’ai vu des hommes autrement progressifs rejeter les arguments des femmes en leur reprochant de faire de nouveau preuve de cette contagion si souvent ridiculisée : "la bourgeoisie féministe de l’ouest" - accusation qui souvent fait taire même les Africaines les plus extroverties.

En accusant ainsi les femmes, même les hommes les plus ouvertement progressifs, radicaux, anti-impérialistes de l’Afrique de l’Est sont souvent coupables de participer consciemment ou inconsciemment à une manœuvre sexiste à peine déguisée dont l’objectif est de faire déprécier les inquiétudes et les requêtes des femmes.

Le mot F - Féminisme - est redouté de façon surprenante même par des socialistes invétérés, des panafricains et des révolutionnaires auto proclamés – ce qui est malheureux car je pense qu’on ne peut être socialiste, panafricain ou révolutionnaire auto proclamé si l’on rejette les conséquences directes du credo féministe, à savoir l’égalité entre hommes et femmes.

Les adversaires les plus implacables de la cause féminine dans la région de l’Afrique de l’Est sont parfois malheureusement des Africaines qui, dans un étrange élan d’obligation envers leurs frères africains, se précipitent à prendre fait et cause contre leurs propres sœurs militantes qui insistent à mettre l’accent sur ce qui manque dans la dynamique entre les sexes dans le déroulement d’un organisme tel que le FSM.

Faisant partie du Secrétariat du FSM de 2007, je dois faire face à la tâche pratique de prêcher par l’exemple.

En d’autres mots, que peuvent faire, de manière concrète, les hommes de l’Afrique de l’Est participant au fonctionnement du FSM, pour réajuster le planning menant pour que puissent exister des relations plus équitables entre hommes et femmes ?

A mon avis, un point de départ serait le nombre grandissant d’hommes de l’Afrique de l’Est qui prêtent une oreille attentive aux appels des femmes telle que Roselynn Musa de FEMNET laquelle a réclamé l’instauration d’une Commission pour la Femme comme l’une des filières du Comité Organisateur du FSM de Nairobi de 2007. Les arguments qui ont été avancés contre l’instauration d’une Commission pour la Femme sont que les femmes sont déjà représentées au sein de toutes les commissions et que la dynamique entres les sexes est cruciale à tout le procédé de planification — ce sont là des arguments qui ne peuvent être retenus.

La jeunesse aussi est représentée au niveau de l’exécutif et les sujets relatifs à la jeunesse sont aussi cruciaux. En effet il n’y a pas que la Commission pour la Jeunesse, mais tout un procédé pour l’installation et l’implémentation d’un Camp de Jeunesse.

Encore un point de départ serait de concevoir des stratégies, des principes, des moyens et des structures qui puissent réduire le taux de violences contre les femmes assistant en 2007 à la réunion du FSM à Nairobi. Je fais directement référence aux viols qui ont été perpétrés lors des dernières manifestations du FSM et à comment nous pouvons tous travailler ensemble pour remédier à cette situation. Il ne suffit pas de considérer le viol comme étant un problème d’ordre public, pouvant être amélioré en expédiant plus de policiers sur le site du FSM.

En agissant ainsi, on montre que l’on ignore les complexités dont sont entourés le viol et d’autres violences envers les femmes et on réduit un problème épineux à un seul phénomène unidimensionnel où les femmes sont assaillies et prises au piège par des hommes ‘étranges’ qui rôdent près du Centre de Conférences International Kenyatta et dans les parages du Parc Uhuru, en quête de femmes victimes, étrangères ou locales.

Si on devait adopter cette attitude aveuglée pour le FSM de l’an prochain, nous ferions du tort aux femmes participantes car nous laisserions au large les éventuels coupables. Je fais référence aux cas prouvés scientifiquement, à la réalité que les femmes sont le plus souvent violées et assaillies par des hommes qu’elles connaissent, avec qui elles travaillent et qui leur sont connus.

Comment les femmes peuvent-elles se protéger contre leurs confrères participants au Forum ou même contre des délégués venant de la même organisation ou du même pays ? Le viol est extrême mais qu’en est-il des cas mal rapportés de harcèlement sexuel, d’attouchements et de caresses non désirées, de plaisanteries sexistes grossières et d’indécence pornographique ?

Ces problèmes ne sont pas facilement résolus par une réglementation mécanique comme la tendance à recourir à une présence policière plus importante – sans parler du fait qu’à travers le monde les forces policières sont souvent impliquées dans des cas de viol et d’autres formes de violences et de harcèlement envers les femmes.

Je suggère que tout en militant contre le viol ainsi que toute forme de violences envers les femmes lors de la prochaine réunion du FSM qui aura lieu en 2007 à Nairobi, les hommes et les femmes travaillent ensemble dans le but de sensibiliser tous les délégués au viol et à la violence envers les femmes que ce soit sous forme de sexisme, de misogynie ou de patriarcat – concepts qui sont totalement inconnus de la Charte du FSM.

Au delà de la sensibilisation, on devrait voter des sanctions exécutoires pour ceux qui sont pris en flagrant délit de tels outrages. De plus, la Commission pour la Programmation, la Méthodologie et les Contenus pourrait demander que soient organisés notamment des ateliers, des comités, des séminaires ainsi que des séances d’informations traitant de problèmes de viol, de harcèlement sexuel et de violences envers les femmes. La Commission pour la Logistique pourrait placer des bannières, des autocollants, des brochures et des dépliants menant campagne contre le viol et le harcèlement sexuel auprès des délégués du FSM.

La Commission pour la Jeunesse pourrait organiser une session d’orientation soutenant massivement les mêmes thèmes. La Commission pour la Culture pourrait organiser des projections ou des spectacles mettant l’accent sur les expériences des rescapées de viol ainsi que des femmes battues et des victimes de telles formes de violences.

La Commission pour la Mobilisation Sociale pourrait mener campagne pour identifier et recruter des hommes et des femmes ayant travaillé dans des centres abritant les victimes de viol et ayant donné des conseils aux victimes de violences avec pour but de mettre sur pied de tels centres dans les parages de l’endroit où se tiendra en 2007 le FSM de Nairobi. La Commission pour les Médias et la Publicité pourrait produire des dépliants bien spécifiques ou de courts métrages militant contre le viol et la violence envers les femmes.

La Commission pour la Mobilisation de Ressources pourrait essayer de récolter des fonds pour recruter et former des officiers de sécurité intérieure pour traiter des cas de viol et de violences envers les femmes. Peut-être qu’il devrait exister des dispositions spécifiques pour les femmes rescapées de viol et de violences sexuelles pour leur procurer des facilités de logement diminuant ainsi leurs craintes d’être de nouveau victimes - en choisissant des logements de solidarité avec d’autres femmes, des foyers réservés exclusivement aux femmes, etc.

Et il faudrait certainement déployer plus de membres de la force policière et d’autres agents de sécurité, ce qui pourrait aider à réduire le nombre de viols et de violences à l’égard des femmes lors du FSM qui aura lieu à Nairobi l’an prochain.

Tout en faisant tout cela, le Comité Organisateur du FSM de Nairobi de 2007 doit travailler en collaboration avec des organismes tels que la Coalition contre la Violence envers les Femmes, FEMNET, FIDA, ‘Equality Now’, AWEPON, la Fondation des Sœurs Sahiba, TAMWA, la Troupe théâtrale Cinq Siècles, WIPPET, ENDA-Ethiopie, la Commission des Droits de l’Homme du Kenya, OXFAM, ‘Action Aid’, MS Kenya, la Fondation Heinrich Boll ainsi que d’autres organismes civils qui sont reconnus dans ces domaines.

Et les hommes de l’Afrique de l’Est que peuvent-ils faire d’autre pour changer pour le mieux la dynamique entre les sexes dans le fonctionnement du FSM ?

Peut être qu’ici je marquerai un temps d’arrêt.

Je recommande vivement à tous les lecteurs de cet article de se munir d’une copie de la présentation de Roselynn Musa sur le même thème lors du Forum tenu récemment avec le soutien de la Fondation Heinrich Boll, sur ‘L’équilibre de genre au sein du FSM’, forum tenu le jeudi 25 mai 2006 à la Salle Ufungumano.

*Onyango Oloo est le coordinateur national du Forum Social du Kenya.