Lorsqu’on m’a interrogé sur l’identité palestinienne, une idée m’est venue à l’esprit. Je me suis demandé comment cette idée pourrait se traduire en anglais, et on m’a dit que ce serait la « constance ».
Rafa, 18 janvier 2009 - Photo : Hatem Omar/MaanImages
C’est une définition assez proche de ce que j’avais en tête, mais quelque peu incomplète - il est difficile de saisir tout un peuple en un seul mot. La constance, s’agissant précisément de notre identité palestinienne, c’est de ne jamais - jamais - renoncer.
Cela renvoie à notre façon de survivre encore et toujours aux mauvais moments, sans un seul ami à proximité. Cela renvoie à notre identité écrasée et maltraitée par tous les moyens humains connus, mais seulement pour que nous revenions la tête haute.
C’est impressionnant, mais si la constance était comprise de cette façon seulement, elle pourrait facilement être échangée avec un autre mot, moins attractif : l’entêtement. Ne pas renoncer, en soi, n’est pas une qualité admirable. Après tout, le groupe plutôt louche et raciste des colons de Tel Rumeidand d’Hebron, pourrait également être décrit comme constant. Après tout, eux aussi affichent une "indéfectible fidélité" ou des "convictions solides", et ils paraissent "ne jamais renoncer".
La raison pour laquelle notre constance est admirée et mythologisée dans le monde entier, c’est non seulement de notre persévérance, mais la justice de notre cause et les méthodes par lesquelles nous avons choisi de la défendre. Notre cause, c’est la liberté, la démocratie et la pluralité, et nos méthodes sont très largement non-violente à l’encontre de notre "tout-puissant" adversaire et sa brutale occupation de notre terre.
La perception de notre identité
Il est important de nous rappeler cette définition plus large de notre identité et notre détermination. Il est encore plus important pour nous de clamer haut notre identité, à travers le monde entier.
La raison en est simple : Israël a travaillé énergiquement et a consacré une quantité considérable de ressources pour pervertir notre identité et le caractère de notre lutte. Sa puissance assure un contrôle quasi total des médias et du message que le monde reçoit sur ce conflit et sur nous en tant que Palestiniens.
Les Israéliens ont eu recours à cette force pour transformer et manipuler la réalité à leurs propres fins. Ils ont tellement perverti la vérité, que - en dépit de notre existence massacrée dans les rues de Gaza -, nous ne sommes pas seulement à blâmer, mais encore "indigne de l’intervention".
Malgré le fait que des milliers de nos frères civils, des fils, des pères, des sœurs, des mères et des filles sont systématiquement soumis à la torture dans les prisons israéliennes, on attend de nous que nous que nous libérions immédiatement un unique soldat israélien - sinon, nous aurons à affronter une nouvelle vague de brutalité high-tech.
Bien que nous ayons toutes les lois internationales et les droits de l’homme de notre côté, nous sommes "têtus", dans notre refus de céder à l’occupation du reste de notre historique de la naissance.
A travers les mensonges d’Israël et le prisme des médias qu’il contrôle, nous les Palestiniens ne sommes perçus comme "constants" que dans notre sauvagerie, notre irrationalité, et notre propension à la violence.
Perception versus Réalité
Quatre-vingt-dix-neuf pour cent de la résistance palestinienne à partir des années 1920 a été non-violente. Le nombre de Palestiniens, désarmés et pacifiques, martyrs de ce conflit dépasse de loin celui de ceux d’entre nous qui ont combattu l’ennemi avec ses propres méthodes violentes.
De boycotts des entreprises en grèves de la faim, de manifestations en diplomatie, nous les Palestiniens sommes engagés quotidiennement dans la lutte non-violente contre l’occupation israélienne de notre terre et le viol de notre dignité et de notre sécurité.
Evidemment, les médias internationaux ne se concentrent pas sur cet aspect, à la place les journalistes préfèrent souligner les quelques rares cas de violence des Palestiniens à un point tel que, aux yeux de la communauté internationale, ils semblent être comparables aux crimes de masse notre occupant. Il n’y a pas de meilleur exemple de cette attitude que la couverture internationale du massacre en cours de nos frères et sœurs dans la bande de Gaza.
Le monde est au courant, et, en tire la conclusion qu’il existe une « guerre » se déroulant entre deux égaux, plutôt qu’ un massacre asymétrique mené par le cinquième plus important complexe militaro-industriel du monde sur l’un des derniers apatrides peuples de la Terre.
Leurs bombes ont tué des centaines d’enfants, de femmes, d’hommes et de civils tout en détruisant systématiquement l’économie et les infrastructures de l’étroite bande côtière. Ils ont utilisé illégalement des armes incendiaires contre des zones densément peuplées de civils et des munitions qui brûlent les chairs de l’intérieur jusqu’aux os. Ils ont tué aussi bien des médecins, des journalistes que des secouristes dans leur "guerre contre le Hamas et le terrorisme » - et ils se moquent éperdument de faire des excuses.
Nos morts se comptent par milliers alors que l’agresseur déplore un peu plus d’une dizaine de tués - pour la plupart des soldats - dont beaucoup sont morts par suite de "tirs amis" israéliens. Pourtant, les gens tout autour de la planète en sont encore à croire qu’ils assistent à une "guerre" plutôt qu’à un génocide.
Pourquoi Israël déforme la vérité
Autant d’efforts sont déployés pour fausser le caractère des Palestiniens, pour une seule raison : si le monde était en état de vraiment savoir ce qui se passe ici, son émotion collective se transformerait, de l’indifférence envers la lutte que nous menons, à de la colère à l’encontre notre oppresseur.
Israël sait que si les peuples du monde étaient en situation de voir la Palestine, ils seraient contraints de tirer des conclusions et faire des comparaisons. Si les Américains pouvaient observer le quotidien de brutalités commises contre des manifestants pacifiques, ils compareraient immédiatement notre sort avec celui du Mouvement pour les droits civiques des afro-américains des années 1950 et 1960 dirigé par le Dr Martin Luther King, Jr.
Si les Africains pouvaient voir les conditions d’occupation de la Cisjordanie, ils seraient incapables de distinguer cette situation du mouvement anti-apartheid des années 1970 et 1980 - le triomphe de Mandela.
Mais le monde n’est pas autorisé à voir ces vérités. Il s’agit plutôt d’alimenter une dose quotidienne de rhétorique sortie de son contexte ou de fournir des images de riposte désordonnée de la part d’un Palestinien qui n’a "plus rien à perdre".
En dépit du fait que notre non-violence passe complètement inaperçue dans un monde déformé selon notre oppresseur - nous continuons sans relâche.
Nous continuons, non pas parce que la non-violence, la résilience et la recherche continuelle de la justice est une "stratégie" qui, nous l’espérons, un jour renversera la tendance de l’opinion publique en notre faveur. Nous continuons parce que c’est ainsi que nous sommes.
C’est notre intégrité qui guide notre combat - et non pas l’humiliation et la provocation continuelle de notre oppresseur.
Cette intégrité, la justice de notre cause, et les moyens par lesquels nous luttons, sont la plus grave menace pour Israël et l’Agenda sioniste pour notre pays - bien plus grave que les autres méthodes. Israël comprend cela et travaille avec force pour déformer cette réalité dans l’esprit des Israéliens et de la communauté internationale. Cette crainte est évidente dans les moyens avec lesquels Israël occulte la non-violence populaire dans toute la Cisjordanie. A Nihlin, au cours des six derniers mois, quatre jeunes non-violents ont été transformés en martyrs par les FDI. De nombreux autres ont subi des blessures graves causées par des gaz d’asphyxiants, des passages à tabac, et des balles - du type "non-létales", en acier revêtu de caoutchouc.
Récemment, à Bil’in, les protestataires ont enfilé le costume rayé des juifs incarcérés dans le Ghetto de Varsovie afin de rappeler à Israël la façon dont leurs actions sont de pures répétitions des crimes commis contre leur propre peuple. Ce rappel a rendu les soldats israéliens si furieux qu’ils ont quitté leurs positions et chassé les manifestants directement jusqu’au centre du village. Un certain nombre d’entre eux ont été battus - sans doute pour rappeler aux Israéliens leur passé et en blessant leur sensibilité contemporaine.
Régulièrement, les militants de la paix sont humiliés, les yeux bandés, on leur tire une balle dans la rotule, ils sont arrosés avec des eaux usées et des produits chimiques, on les rend sourds, ils sont emprisonnés, torturés, et ils sont "micro-traités" par les plus modernes et encore plus sadiques méthodes de contrôle de foule. Ces militants de la paix conduisent des protestations, encore et encore, généralement le vendredi, mais souvent tout au long de la semaine. Ils mobilisent l’armée plus fréquemment que tout ou partie des milices en Palestine, et ils avancent non armés - ou tout au plus avec des pierres - pour combattre Goliath, encore et encore.
La raison pour laquelle Israël traite si durement ces jeunes gens et ces femmes est claire. Chaque jour où la non-violence est utilisée pour obtenir justice, l’image des Palestiniens qu’Israël s’est acharné à fabriquer est sapée par la vérité. Par crainte et par vengeance, ils ont recours à la seule arme à la disposition de ceux qui ne possèdent ni intégrité ni une juste cause à faire valoir : la violence.
Israël agit ainsi avec l’espoir que nous allons riposter "pareillement". Avec l’espoir que nous nous battrons à leurs conditions au lieu des nôtres. Israël agit ainsi avec l’espoir qu’il peut modifier ce qui constitue l’identité d’un Palestinien : la constance dans notre quête de justice. Leurs efforts ont échoué et continueront d’échouer. Notre caractère et notre détermination sont inébranlables- et nous obtiendrons la justice à laquelle nous avons droit dans cette vie ou la prochaine ...
Regard vers l’avenir
Le tout récent crime d’Israël contre notre peuple dans la bande de Gaza est seulement une autre tentative dans sa quête de destruction de notre identité et de dénaturation de nos méthodes.
Les occupants hurlent du haut de leurs tours de guet et de leurs F-16, « Nous comprenons que la violence ! Battez-vous ! Battez-vous ! Battez-vous ! "Ils nous supplient de mordre à leurs appâts et de les déshumaniser comme ils l’ont fait systématiquement pour nous.
Ils sont comme les toxicomanes qui ne peuvent pas supporter de consommer seul leur poison. Leur drogue, c’est la violence et la destruction, et les effets secondaires de leur dépendance sont l’occupation et la haine. Ils haïssent et ils tuent, et ils veulent que nous haïssions et que nous tuions afin qu’ils ne se sentent pas seuls - afin qu’ils se sentent justifiés. Ils sont constants dans leur dépendance, et ils sont en train de pourrir de l’intérieur.
Nous sommes constants à l’égard de notre cause et de nos méthodes. Nous sommes armés par la vérité, la justice, par des pancartes, des drapeaux, et parfois des pierres - rien de plus.
Nous serons de nouveau en marche vendredi, dans toute la Cisjordanie, et de nouveau vendredi suivant, et encore, et encore ... Jusqu’à ce que nous vainquions Goliath.
* Le docteur Mustafa Barghouthi est le secrétaire général de l’Initiative Nationale Palestinienne (PNI) et membre du Conseil législatif palestinien (PLC).
31 janvier 2009 - Ma’an News Agency - Vous pouvez consulter cet article ici :
http://www.maannews.net/en/index.ph...
Traduction de l’anglais : Laurent G.