Quel était l’objectif principal de cette guerre civile et quels liens tisse-t-elle avec ce qui se passe actuellement au Liban ?
Les projets de Rogers et de Kissinger
La réponse à la première partie de la question réside dans les plans étasuniens pour la région arabe tout entière, qui était, à ce moment-là, divisée entre l’influence de Washington et celle de Moscou. Elle réside aussi dans les développements qui précédèrent et suvirent de près la « Guerre des six jours », en 1967 [2], dont les deux plus importants étaient : la mainmise de Washington sur le pétrole du Golfe [3], à l’exception de celui de l’Irak, et le regroupement des forces de l’OLP [4] au Liban, suite à une guerre sanglante, commanditée par les Etats-Unis et menée, en septembre 1970, par le régime hachémite de Jordanie.
Les plans « Rogers » et « Kissinger », du nom de ceux qui les avaient élaborés, visaient à redessiner les conflits inter arabes, afin de pouvoir redessiner les frontières des pays arabes orientaux (Le Liban, la Syrie et la Jordanie) dans le sens des intérêts d’Israël et d’asseoir l’emprise des grandes sociétés pétrolières étasuniennes sur l’ensemble des gisements arabes de l’or noir.
Le « Plan Kissinger », surtout, était très explicite sur les priorités de Washington dont, en premier lieu, le morcellement de l’Orient et du Golfe arabes en une mosaïque de mini-Etats branlants et antagonistes ayant besoin pour survivre de l’appui de l’Administration étasunienne qui, avec l’aide d’Israël et aussi du Chah d’Iran, pourrait dominer toute la région de la production du pétrole et les routes de son acheminement vers l’Occident, à travers le pipeline de Haïfa (en plus de celui de Tripoli). Ce plan avait, d’ailleurs, réalisé une percée notoire quelques années après la mort du leader égyptien Gamal Abdel-Nasser, puisque le nouveau président de ce pays avait, d’abord, à la suite de la guerre du Kippour en 1973, mis fin à l’alliance avec Moscou pour se rendre, ensuite, à Tel Aviv, afin d’y rencontrer son homologue israélien et d’aller signer à Camp David une paix séparée avec Israël, mettant ainsi hors jeu la plus grande puissance militaire et économique arabe.
L’OLP et la gauche libanaise
Un seul accroc était toujours en travers du projet de Washington : le Liban du refus et ses deux composantes, l’OLP et la gauche libanaise.
La première s’était installée, depuis 1970, sur toute la frontière Sud jouxtant à Israël. La seconde était devenue assez importante dans le pays, notamment au Sud où elle avait gagné des villages entiers à partir desquels elle avait créé successivement la « Garde patriotique » et les « Forces des Ansar » [5], afin de défendre le territoire libanais contre les incursions militaires israéliennes.
Comment éliminer ces deux obstacles sinon par la guerre civile ? Surtout que certains des leaders de l’OLP avaient commis une grande erreur en s’immisçant dans les affaires intérieures libanaises, créant ainsi des animosités certaines dans les rangs de la minorité « chrétienne » qui commença, dans un pays basé sur le confessionnalisme politique, à voir dans l’OLP une armée « musulmane » pouvant basculer l’équilibre installé par le Mandat français, en 1943, et menacer, par suite, les privilèges dont jouissaient les Chrétiens libanais au sein du pouvoir.
Le « Moyen Orient nouveau »
Si nous rappelons, aujourd’hui, ces faits, c’est parce que la région se trouve à nouveau soumise à une situation proche de celle qui avait prévalu durant les années Soixante-dix.
Les Etats-Unis, à la suite de l’implosion de l’Union Soviétique, viennent de relancer le « Projet Kissinger », mais transformé et rajeuni, sous le nom du « Projet du Moyen Orient nouveau ». Ils croyaient que l’occupation de l’Irak leur ouvrirait toutes les voies vers sa réalisation, puisqu’il ne resterait que la Syrie en dehors, momentanément, de leur zone d’influence.
Cependant, ils avaient compté une nouvelle fois, sans les deux Résistances toujours présentes dans la région, la libanaise, dirigée maintenant par le Hezbollah, et la palestinienne, avec à sa tête le mouvement Hamas et le Jihad islamique ; toutes deux amies de la Syrie et de l’Iran et possédant une large audience parmi les masses arabes, y compris chez le peuple de gauche toujours à l’écoute du changement.
Ces deux Résistances, en plus du mouvement de la gauche et du progrès au Liban, se sont bien manifestées en 2006, résistant à l’agression la plus virulente jamais menée dans la région et supervisée directement par Washington.
Voilà, donc, pourquoi nous assistons aujourd’hui, de la part des Etats-Unis et d’Israël, à une concentration de toutes les cartes possibles, afin de pouvoir mettre fin à ceux qui disent « non » à leur projet.
Pour ce faire, ils tentent, par l’internationalisation à outrance du conflit intérieur libanais et, aussi, par l’introduction du conflit sunnite-chiite essayé en Irak sur l’arène libanaise, de fermer toutes les issues qui pourraient sortir le Liban de la crise dans laquelle il se débat depuis 2005.
Il est vrai que la Syrie possède aussi une épingle, et non des moindres, dans le jeu libanais, à travers des forces « amies ». Cependant, son rôle est moins décisif actuellement face au projet étasunien et aux moyens mis à son service, à commencer par une forte concentration de représentants du FBI et de la CIA au Liban et jusqu’à la présence de navires de guerre face aux côtes libanaises (le dernier en date étant le destroyer USS Cole). Sans oublier, non plus, ni les déclarations presque quotidiennes de G. W. Bush et de toute son équipe sur « l’appui inconditionnel » au gouvernement de leur « ami » Fouad Sanioura, ni, surtout, les dernières manœuvres israéliennes [6]près des frontières libanaises, présidée par un officier supérieur étasunien et agrémentée par des menaces proférées par les différentes personnalités du gouvernement israélien d’Ehud Olmert contre le Liban, en général, et le Hezbollah, en particulier.
Un avenir en noir ?
A partir de ce panorama, comment les Libanais conçoivent-ils l’avenir ?
La couleur dominante est le noir. Puisque les milices ont fait leur réapparition un peu partout, sous des formes et des couleurs différentes, explicitant ainsi les déclarations guerrières proférées par les différents leaders politiques, tant dans la majorité (pro étasunienne et saoudienne) que dans l’opposition (pro syrienne), mais aussi vu que le Liban va, depuis plus de six mois déjà, à la dérive : il n’a plus de président de la République ; son parlement est « fermé » et son gouvernement tronqué est devenu illégal selon la Constitution.
Chaque jour, il y a des rixes et des accrochages dans différentes régions du pays, spécialement dans les quartiers de la capitale Beyrouth. Et, si nous ajoutons à cela les menaces de Washington et de Tel Aviv, mais aussi le poids d’une crise économique de plus en plus aiguë, nous obtenons un pays qui étouffe et qui se vide. Un exemple significatif : les autorités disent avoir délivré pour le seul mois de mars 40 000 passeports.
En plus de tout cela, les Arabes (le secrétaire général de la « Ligue arabe », en premier) et les Libanais évoquent, tantôt, un « été chaud » dont la chaleur viendra du Sud, d’Israël, tantôt, des événements sanglants. Et, en attendant, toutes les solutions restent bloquées... peut-être jusqu’aux élections présidentielles étasuniennes. Donc, tout peut arriver pendant cette attente longue et cruciale...
Le 13 avril 1975, la guerre civile fut le moyen choisi par Washington pour arriver à un but qui s’est avéré impossible.
Le mois d’avril 2008 sera-t-il, à nouveau, un mois fatidique ou bien apportera-t-il le début d’un consensus, en attendant... l’an prochain ?
Ce que nous savons sur la politique de G. W. Bush et de son Administration ne laisse pas présager une détente prochaine. Bien au contraire, nous pensons, et les troupes de la FINUL renforcée le pensent avec nous, que les dernières manœuvres étaient une préparation, non une action préventive.
La grande inconnue reste la position de l’Union européenne et, avec elle, la Chine et la Russie. Vont-elles se soumettre, une fois de plus, au diktat de Washington et laisser passer la nouvelle agression contre nous ou bien tenteront-elles de mettre au point une autre politique ?
[1] Plus de 100 000 morts, 250 000 handicapés et blessés, quelques milliers de disparus, en plus d’une infrastructure et d’une économie complètement à plat et des déplacés forcés entre les deux zones, « Chrétienne » et « Musulmane », du Grand Beyrouth
[2] Guerre entre Israël, d’une part, l’Egypte, la Syrie et la Jordanie, d’autre part. Cette guerre est à la base de la résolution 242, toujours non appliquée par Israël, surtout en ce qui concerne son retrait du Golan syrien, des Fermes de Chebaa et des hauteurs de Kfarchouba libanaises et, surtout, de la partie Est d’Al-Qods (Jérusalem).
[3] Contrôlé, avant cela, par les Britanniques.
[4] Organisation de Libération de la Palestine, créée en 1965 par Yasser Arafat et présidée par lui jusqu’à sa mort.
[5] En 1969 et en 1970.
[6] Entre le mardi 8 et le jeudi 10 avril 2008.
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http://www.lcparty.org/080418-2.html