Pendant les années 1980, la campagne de boycott, de désinvestissement et de sanctions pour l’Afrique du Sud a intégré un boycott culturel par lequel musiciens et artistes à travers le monde s’interdisaient de se produire dans l’Etat d’apartheid.
En plus d’assurer son soutien international à la population noire assujettie, cette politique voulait montrer qu’aucun dialogue véritable - économique, universitaire ou culturel - ne pouvait s’engager de concert avec les atrocités de l’apartheid. Pour ce qui concerne Israël, une campagne internationale BDS est une mesure indispensable pour modifier le rapport des forces afin qu’il devienne défavorable à l’oppresseur et favorable à l’opprimé.
Il faut bien noter qu’un boycott culturel ne vise pas les personnes mais les institutions et un Etat. Fréquemment, les Israéliens qui voyagent à travers le monde se disent contre la politique de leur nation et beaucoup soutiennent un boycott total sur le plan culturel et universitaire. Un boycott culturel n’entrave en rien les perspectives de paix ; il permet au contraire de donner plus de poids aux Israéliens et Palestiniens de conscience et offre à la communauté internationale une solution non violente pour sortir de l’impasse actuelle.
Après être allées dans les Territoires palestiniens occupés, nombre de personnes affirment que l’occupation israélienne est en réalité pire que l’apartheid d’Afrique du Sud. Parmi ces gens, il y a le très estimé archevêque anti-apartheid Desmond Tutu et le ministre juif sud-africain des Renseignements, Ronnie Kasrils. Oeuvrant à faire pression sur Israël pour que cet Etat abandonne sa politique dévastatrice, les deux hommes estiment que la communauté internationale doit imposer un boycott à Israël, le même que celui qu’elle a imposé à l’Afrique du Sud.
De nombreuses personnalités et institutions ont fait part de leur opposition à un boycott universitaire et culturel. Ils avancent comme argument que la communauté des arts et la communauté universitaire d’Israël seraient alors confrontées à une remise en cause des principes fondamentaux de leur libre expression. L’ironie, c’est qu’avec le boycott qui leur est proposé, les personnes de conscience, donc les Israéliens de conscience, sont ostensiblement incitées à s’engager pour une « libre expression » et un « dialogue » sur les droits les plus élémentaires d’un peuple opprimé. Ce qui manque dans leur argumentation, c’est le fait que le peuple palestinien est méthodiquement occupé, enchaîné, soumis à embargo par le gouvernement israélien et par nombre d’institutions israéliennes depuis des décennies, sans avoir un recours efficace aux Nations unies, à l’Union européenne ou aux Etats-Unis.
Cette semaine, l’Associated Press a indiqué que 7 Palestiniens de Gaza occupée s’étaient vu refuser, par le gouvernement israélien, un visa de sortie pour « poursuivre leurs études avec une bourse Fulbright ». Même si la bourse Fulbright leur a été rétablie après la publication de l’AP et si le Département d’Etat US prétend « essayer » de faire changer Israël de position, la très grande majorité de ces incidents passent inaperçus. Il existe d’autres récits, innombrables, venant d’artistes hip hop, de groupes de théâtre et de troupes folkloriques qui n’ont pas eu l’autorisation d’aller de Cisjordanie en Gaza, ou vice versa, et ne peuvent jamais sortir des murs de la prison des Territoires occupés. En outre, on ne peut minimiser l’importance de cette multitude de cas où des Palestiniens - usant de la non violence pour manifester - ont été arrêtés, frappés, ou ont essuyé des tirs des soldats israéliens. Malheureusement, on ne voit pas beaucoup de ces groupes et de ces personnalités qui, en Israël, dénigrent le boycott et qui appelent à un « dialogue » basé sur un « double récit », on n’en voit pas beaucoup participer à des manifestations non violentes contre le mur d’apartheid ou se retrouver sur cette liste de plus en plus longue de ces Israéliens qui refusent de servir dans l’armée. Des spectateurs de la prétendue « gauche » aux USA disent sans cesse que les Palestiniens doivent faire eux-mêmes le choix de la non violence, alors que lorsque les Palestiniens et leurs sympathisants adoptent un moyen fondamental de résistance non violente, ils sont fustigés.
De plus, ceux qui font le choix du boycott doivent reconnaître les effets de la politique israélienne sur les un million trois cent mille citoyens palestiniens d’Israël qui sont relégués à un statu de troisième zone et ont vu leurs propres communautés artistique et cinématographique remises en cause par le système juridique discriminatoire d’Israël. Si le peuple israélien et la communauté internationale veulent vraiment agir en solidarité avec le peuple palestinien, ils doivent comprendre que plus de soixante organisations palestiniennes universitaires, culturelles et de la société civile ont approuvé un boycott universitaire et culturel total de l’Etat d’Israël.
Tout au long des années Oslo, ce prétendu temps de paix, un dialogue culturel interminable a eu lieu. Mais comme le soutient Omar Barghouti - chorégraphe, militant et ardent partisan du boycott culturel -, « Une décennie de projets israélo-palestiniens élaborés en commun a surtout eu comme résultat de fournir une façade et de dissimuler la colonisation acharnée par Israël du territoire palestinien et les crimes israéliens contre le peuple palestinien ».
Il est clair que même le dialogue culturel avec l’establishment israélien n’a fait que normaliser l’occupation. Desmond Tutu a déclaré : « Si vous choisissez la neutralité face à une situation d’injustice, alors vous choisissez le camp de l’oppresseur ». L’heure n’est plus à la neutralité, ni à la réserve, mais à l’action.
Remi Kanazi est palestinien et américain, journaliste indépendant au New Yord City. Il traitte de la politique au Moyen-Orient, spécialement des politiques israélienne et palestinienne. Ses écrits sont publiés dans les Territoires palestiniens, en Israël, et aux USA, ainsi que par les magazines en ligne à travers le monde.
4 juin 1948 - CounterPunch - Traduction : JPP