Le siège imposé aux Palestiniens a été cinglant. La pauvreté et le chômage ont atteint des niveaux sans précédents.
Il y a deux ans, le délégué égyptien à la sécurité à Gaza m’avait dit qu’en cas de confrontation militaire, le Hamas vaincrait facilement les forces de sécurité du Fatah et prendrait en trois jours tout Gaza. « J’ai vu les deux côtés » a-t-il dit, « et c’est clair que le Hamas marque beaucoup plus de points dans cinq domaines : le leadership, la discipline, la formation, les armes et, encore plus important, la motivation ».
Des Palestiniens attendent au milieu de débris à Gaza, le 19 juin 2007 - Photo : AFP/Said Khatib
Il m’avait dit que les forces de sécurité seraient entravées du fait qu’elles étaient stationnées dans des bâtiments alors que les combattants du Hamas étaient capables de tirer et de se replier. Pour la population terrifiée de Gaza, c’est exactement cela qui s’est passé la semaine dernière. Un analyste militaire israélien a dit que les forces de l’Autorité Palestinienne étaient semblables à des tigres de papier.
J’ai fais un tour dimanche matin. Gaza est lasse et silencieuse et les gens sont désorientés. Un vieil homme m’a dit : « D’accord, ils ont détruit la corruption. Nous sommes contents. Peuvent-ils maintenant nous nourrir ? » J’ai vu ce qu’il restait de la maison pillée de Mohammed Dahlan, le commandant du service de sécurité préventif de Gaza et des chalets de plage qui étaient utilisés pour former ses nouvelles recrues.
Ma famille et moi avons passé plusieurs jours traumatiques et des nuits sans sommeil en essayant de trouver un coin sûr dans la maison tandis que les tirs et les pilonnages faisaient rage autour de nous. Mon bébé se trouvait avec ses grands parents au moment où les combats ont éclaté et nous n’avons pas pu le ramener à la maison ni même le voir tant que les combats continuaient. La chose la plus alarmante est le traitement inhumain de ceux qui avaient été capturés. Un des hommes a été attaché et jeté du dixième étage d’un immeuble ; certains combattants blessés ont été tués sur leur lit d’hôpital et des histoires de tortures aberrantes étaient nombreuses et horribles.
Ce n’est pas facile d’expliquer ce qui s’est passé ici et pourquoi. En surface, cela semble être une lutte de pouvoir survenue à la suite du blocus du gouvernement du Hamas dirigé par les USA et pour aplanir les efforts visant à forger un gouvernement d’unité Hamas/OLP.
L’année dernière, je faisais partie d’un petit groupe de Palestiniens qui avaient rencontré Elliott Abrams, le délégué du conseiller de la sécurité nationale de George Bush. Il avait dit d’un ton très tranché que le gouvernement du Hamas (qui avait été élu démocratiquement), devait être repoussé à n’importe quel prix. Nous ne sommes pas des partisans du Hamas mais nous avons essayé de le persuader ainsi que les autres officiels, qu’un engagement valait mieux qu’une confrontation. Mais leur détermination était inébranlable. Nous les avons avertis qu’il y avait un risque de souffrance et de famine et même un risque de conflit armé, mais sans succès. Il avait répondu que si cela arrivait, ce ne serait pas par la faute des USA.
Le siège imposé aux Palestiniens a été cinglant. La pauvreté et le chômage ont atteint des niveaux sans précédents. Selon la Banque Mondiale, 60% des Palestiniens vivent avec moins de 2$ par jour. Israël qui contrôle totalement toutes les frontières de Gaza ainsi que sa zone côtière, a intensifié son blocus en réduisant les déplacements des Palestiniens. Et souvent, même la pêche a été interdite.
Déjà surpeuplée, l’anarchie est devenue rampante à Gaza. Les kidnappings, vols et vols armés font peur à tout le monde. La semaine dernière, la voiture de mon frère a été enlevée sous la menace d’une arme. Beaucoup de gens ont été obligés de céder leurs portefeuilles ou leurs portables. Des mendiants errent dans les rues demandant de l’argent ou du pain. Depuis plus de 18 mois, les fonctionnaires n’ont pas eu de salaires : seulement de temps à autre une faction de leur salaire. Les travailleurs municipaux ont reçu chaque jour un sac de pain en lieu de leur salaire. L’explosion devait arriver et la goutte d’eau qui a fait déborder le vase a été la déclaration du ministre de l’intérieur disant qu’il ne pouvait plus accomplir son devoir et qu’il démissionnait. Il a blâmé l’attitude d’obstruction du directeur de la sécurité préventive du Fatah.
Bien sûr, les affaires palestiniennes ne sont pas purement palestiniennes. Les grands acteurs sont à Washington, Téhéran et Tel Aviv. Il nous semble que les USA et l’Iran utilisent Gaza ainsi que le Liban et l’Irak comme terrain de combat.
Mais la situation dépasse la simple lutte de pouvoir. Elle survient de l’absence en Palestine d’une culture de la démocratie et d’un état de droit.
Nous les habitants de Gaza, émergeant de l’occupation israélienne au milieu des années 90, nous rêvions d’une nouvelle ère. Au lieu de cela, l’Autorité Palestinienne a continué avec la culture des armes. Cette culture est basée sur la loyauté, le secret et l’éradication définitive des opposants. Il n’y a aucune considération pour les droits humains ni pour légalité ni même pour la vie humaine.
Ce qui a commencé comme une résistance contre l’occupation israélienne a dégénéré pendant les années où Yasser Arafat était au pouvoir. J’ai été très souvent confronté à et même emprisonné par des officiels des forces de sécurité : des gens qui autrefois étaient dans la résistance mais qui ne semblaient pas comprendre à quel point la torture et les violations de la loi étaient des phénomènes graves.
La culture des armes est contagieuse. Les gens armés donnent d’eux-mêmes une image euphorique et pleine d’assurance vu que l’arme dans leurs mains compense leur propre impuissance. Confrontés à la défaite et à l’humiliation aux mains du puissant ennemi de l’extérieur, les gens cherchent des ennemis plus petits contre lesquels ils peuvent remporter une victoire. Le dirigeant des milices armées devient le nouveau modèle, le symbole de la puissance qui peut tuer à volonté et qui peut torturer les autres sans une once de remords.
Alors que le rêve d’une Palestine indépendante s’évanouit (conséquence de la saisie continuelle par Israël des terres de Cisjordanie et de l’anarchie à Gaza) nous songeons maintenant aux cauchemars qui risquent de suivre. Y aura-t-il trois états au lieu de deux : Israël, la Cisjordanie et Gaza ? N’y aura-t-il qu’un seul état ? Gaza deviendra-t-il un lieu encore plus extrême qu’elle n’est aujourd’hui ?
Les Palestiniens sont amèrement divisés que ce soit en politique ou géographiquement tandis que le cabinet d’urgence siège et opère en Cisjordanie et que le gouvernement dirigé par le Hamas siège et opère à Gaza. La séparation de nos deux territoires était un des objectifs du plan de retrait unilatéral d’Ariel Sharon. L’ironie tragique c’est que les dirigeants palestiniens n’ont fait que servir à l’accomplissement du plan de Sharon et à délégitimer encore un peu plus notre revendication à l’autonomie.
La seule solution est un gouvernement composé de personnes intègres et neutres qui soutiennent les négociations de paix avec Israël mais qui exigent que la Palestine reste intacte.
*Eyad Sarraj a reçu le Prix des « Physicians for Human Rights » en 1997 ainsi que le « Martin Ennals Award » pour les défenseurs des droits humains en 1998. Il est aussi le directeur du Programme Publique de Santé Mentale de Gaza.