C’est la posture qu’ont adopté certains activistes latino-américains présents au forum « Migrations et Déplacement », vendredi 27 mars, dans le cadre de l’ « Assemblée des peuples », événement alternatif à la tenue de la « 50ème Assemblée Annuelle des Directeurs de la Banque Interaméricaine de Développement » (BID), qui a lieu à Medellin du 27 au 31 de ce mois.
Comme son nom l’indique, le Forum visait à présenter ce qu’implique la construction de méga-infrastructures pour certaines populations d’Amérique centrale, du Sud et de la Caraïbe, en termes de violations des droits, de non respect des normes juridiques, environnementales, sociales et de protection des patrimoines culturels.
L’un des cas exposé a été celui du barrage de Caña Brava, projet hydroélectrique situé sur la rivière Tocantis, dans l’état de Goiás, au centre-est du Brésil. Les travaux de construction ont été achevés en 2001 et le remplissage en eau du barrage a débuté en 2003. L’ensemble a été financé par des prêts octroyés par la Banque Interaméricaine de Développement pour une valeur approximative de 75 milliards de dollars.
D’après Laura Carlsen, membre de l’Alliance Nationale pour les Communautés Latino-américaines et de la Caraïbe (Nalacc), une organisation qui cherche à améliorer la qualité de vie de la communauté latino aux Etats-Unis et des pays de la région, la construction du barrage de Caña Brava est responsable du déplacement d’au moins 200 familles qui vivaient depuis des années dans les zones d’influence du projet.
Laura Carlsen a suivi la construction de ce barrage ainsi que d’autres projets de méga-infrastructures. S’appuyant sur son expérience, elle a déclaré : même si le gouvernement brésilien a mis en place un programme de relogement des familles touchées par la construction du barrage, nombreuses sont celles à ne pas avoir bénéficié de ces programmes, et leur qualité de vie a été affectée de manière significative.
D’après l’activiste étasunienne, le processus de réinstallation des familles n’a pas été efficace et n’est pas allé jusqu’à son terme. Il n’est pas parvenu à améliorer les conditions de vie de la population, ni même à lui assurer des conditions de vie identiques à l’avant barrage. Ce programme porte selon elle atteinte au droit des communautés à vivre dignement et au droit à la propriété privée.
Une des caractéristiques de la construction des méga-infrastructures est le déplacement, ou l’évacuation, souvent de force, des communautés vivant dans les zones d’influence de ces projets. Ces personnes déplacées ne sont jamais relogées dans des conditions similaires ou meilleures qu’avant. Au contraire, leur situation va souvent en empirant.
Un autre cas a été présenté afin de caractériser les violations des droits des peuples qui accompagnent la construction des méga-infrastructures. Il s’agit de la construction d’un complexe agro-industriel dans l’état de Guerrero au Mexique, et qui suppose le déplacement d’au moins 15.000 membres des communautés indigènes de la région. La tension n’a cessé monter dans l’état, après que le gouvernement mexicain ait donné l’ordre de militariser la zone afin de protéger les intérêts des investisseurs, qui, comme sont également financés par la Banque Interaméricaine de Développement.
Pour Laura Carlsen, cette affaire est la copie conforme de l’exemple brésilien et de bien d’autres cas en Colombie ou au Pérou. Si les études et les renseignements abondent quant aux effets et aux impacts supposés du complexe agro-industriel sur l’économie et le développement local, les porteurs du projet ne font circuler aucune information concernant les impacts sociaux et environnementaux.
Les intérêts et les enjeux stratégiques sont tels qu’ils sont à l’origine de conflits à l’intérieur même des communautés, ou entre communautés. La population commence à se méfier des « avantages » des méga-infrastructures et de leurs dirigeants qui ne sont pas en mesure de donner des informations crédibles en matière de coûts et de bénéfices environnementaux et sociaux.
Et en Colombie ?
Quant à la situation en Colombie, les intervenants qui participaient à l’événement ont convenu que la majorité des cas de déplacements forcés qui ont lieu dans le pays sont attribuables à des groupes paramilitaires et qu’ils intègrent un projet d’appropriation des terres fertiles pour la conduite de projets agro-industriels.
Fabian Ollaga, membre de l’Institut Latino-américain des Services Juridiques Alternatifs (ILSA), dont le siège se trouve à Bogota, a présenté une étude qui s’intéresse aux processus de déplacements forcés. Là où les populations ont été obligées de partir de chez elles, les groupes paramilitaires auraient pris possession d’au moins 6 millions d’hectares de terres productives, ce qui représente 10,8% de la surface agricole du pays.
Si on regarde bien où et quand ont eu lieu la plupart des déplacements forcés, et qu’on met en perspective le processus de concentration de la terre, on observe des similitudes troublantes. Mais le plus inquiétant est que ce gouvernement veut promouvoir des projets fondés sur la culture de la palme africaine, et que pour ce faire, il va devoir solliciter des emprunts auprès de la Banque Interaméricaine de Développement. De plus, ils vont avoir besoin de beaucoup de terres cultivable, a déclaré Fabian Ollaga.
Cela soulève une question sur l’impasse actuelle dans laquelle se trouve le processus de réparation auprès des victimes du conflit armé. D’après Fabian Ollaga, la capacité à générer de la richesse de la part des grands propriétaires terriens prime sur la restitution des biens des déplacés, même si ceux-ci sont victimes de crimes dits de lèse humanité.
Dans ce contexte, les intervenants ont souligné qu’un modèle de développement qui favorise la construction de méga-infrastructures comme des barrages hydroélectriques, des routes et des autoroutes, la canalisation de cours d’eau, constitue une atteinte aux Droits de l’Homme, aux droits sociaux, économiques et culturels des peuples.
Que faire alors ? La conclusion de Laura Carlsen reflète le point de vue des personnes présentes au forum, même s’il est évident que leur avis est contraire à celui des gouvernements latino-américains : nous devons nous opposer à la construction de méga-infrastructures.
Instituto Popular de Capacitación - IPC
L’article est disponible dans sa version originale sur le site de l’Instituto Popular de Capacitación, Medellin, Colombie. "No se deben construir más megaproyectos" : Asamblea alterna al BID. http://www.ipc.org.co/