Depuis son arrivée à la Maison Blanche, Barack Obama multiplie les signes de sa volonté de rompre avec la politique menée par son prédécesseur, G-W Bush.
Il s’est adressé directement aux dirigeants iraniens dans une vidéo où il indiquait chercher « un engagement honnête et fondé sur le respect mutuel », début avril à Prague, il a déclaré : « nous soutiendrons le droit de l’Iran à l’énergie nucléaire pacifique avec des inspections rigoureuses »
Mais derrière ces signes, y a t il rupture ou hésitations ?
Comment déboucher sur une véritable nouvelle approche ? C’est ce que Roger Cohen a tenté de définir dans le New York Times, dans une « libre opinion » (NewYorkTimes) :
Alors que le résultat de la politique de Dick Cheney, qui souhaitait que l’Iran ne possède ni le savoir-faire nucléaire ni une seule centrifugeuse, est que l’Iran possède désormais 5.500 centrifugeuses au lieu d’une douzaine et a qu’il a obtenu une tonne d’uranium faiblement enrichi. Pour lui, l’Iran a obtenu ce qu’il cherchait : l’administration étatsuninienne « renoncera à [le] menacer » et « abandonnera la condition de l’arrêt de l’enrichissement pour négocier ».
Roger Cohen pose la question : « imaginez qu’en 1942, Roosvelt ait dit à Staline : désolé, Joe, mais nous n’aimons pas votre idéologie communiste alors nous n’allons pas accepter votre aide pour écraser les nazis. Je sais que vous êtes forts, mais je ne veux pas traiter avec le démon »
Il cite El Baradeï : « je ne crois pas que les iraniens aient pris la décision d’aller vers l’arme nucléaire, mais ils sont absolument déterminés à maitriser la technologie car ils croient que cela leur apporte pouvoir, prestige et police d’assurance »
Il est certainement trop tard pour empêcher l’Iran ait une maitrise du cycle nucléaire, un peu à la manière du Brésil ou du Japon qui l’ont sans avoir la bombe.
Et l’important, pour Roger Cohen, c’est qu’Obama ait compris qu’ « on ne peut parler de non-prolifération sans parler de désarmement ».
Deux ans de négociation sont nécessaires, vu le degré de méfiance entre les deux pays.
Quelle pourrait être un scénario de normalisation ?
L’arrêt du soutien iranien au Hezbollah et au Hamas, une attitude analogue à celle de la Malaisie vis-à-vis d’Israël (ni reconnaissance ni ingérence), accepter de travailler à la stabilité de l’Irak et de l’Afghanistan, accepter les inspections intrusives de l’AIEA d’un programme nucléaire limité et exclusivement pacifique, s’engager à combattre le terrorisme d’Al Quaïda, et améliorer les droits de l’homme.
Les Etats-Unis s’engageraient eux-même à défendre la sécurité de la république islamiste d’Iran, et accepteraient son rôle régional.
Ils accepteraient que l’Iran réalise de l’enrichissement à un niveau limité avec plusieurs centaines de centrifugeuses à des fins de recherche, et accepteraient l’acquisition d’un nouveau réacteur nucléaire à la France, appuieraient la candidature de l’Iran à l’OMC, rendraient les avoirs iraniens saisis, lèveraient toutes les sanctions, et prendraient acte des positions iraniennes antérieures qui acceptent une solution pour les palestiniens avec coexistence de deux états.
Tout ceci serait le signe qu’on est engagé sur la bonne voie... si aussitôt l’existence même d’une nouvelle approche n’avait été démentie par Hillary Clinton, secrétaire d’Etat aux affaires étrangères : « les Etats-Unis saluent le dialogue avec Téhéran, mais n’ont ni supprimé ni ajouté de conditions à la négociation sur le nucléaire » (les USA, rappelons-le faisaient de l’arrêt de l’enrichissement une conditon) mais elle se dit « prête à examiner les propositions iraniennes » (Haaretz)
Rien n’a t il changé ? On pourrait d’autant plus le croire lorsqu’on sait que l’envoyé spécial de la Maison Blanche pour l’Iran est Dennis Ross, proche des néoconservateurs, ancien faucon, ouvertement sceptique sur l’utilité de la diplomatie ; considéré comme un rouage du lobby pro-israélien à Washington, sa nomination a été considérée par la presse iranienne « en apparente contradiction » avec la volonté de changement d’Obama en politique étrangère.
Daniel Kurtzer, un juif orthodoxe qui a été ambassadeur US en Israel et en Egypte, a co-écrit un livre où il a expliqué : "La perception était toujours que Dennis partait de ce que serait le résultat pour Israël, qu’il écoutait ce qu’Israël voulait puis qu’il essayait de le vendre aux arabes."
L’été dernier, alors qu’il conseillait Obama, il a co-dirigé un groupe de réflexion qui a produit un papier titré "Renforcer le partenariat : comment approfondir la coopération Etats-Unis-Israël sur le challenge du nucléaire iranien." Ce texte opte pour une vue alarmiste du programme nucléaire iranien et propose que le nouveau president mette en place entre les USA et Israël un mécanisme de coordination formel de la polique vis-à-vis de l’Iran (incluant le besoin futur "d’action militaire preventive").
Dans un autre groupe de réflexion, le « Bipartisan Policy Center », il prédit dans un rapport que la diplomatie avec l’Iran va probablement échouer. En anticipation de l’échec, Ross et ses collègues recommandent de "prépositionner des moyens militaires des Etats-Unis » couplés avec "une démonstration de force" dans le Golfe. Ceci serait suivi presque immediatement par un blocus des importations d’essence iraniennes (40% de ses besoins actuellement) et de ses exportations de pétrole, destiné à paralyser l’économie iraninenne, suivi par ce qu’ils appellent sans euphémisme, "une action cinétique." (un assaut US sur l’Iran)
Ross n’est pas hostile à des négociations avec l’Iran, mais pour lui, leur durée doit être limitée à quelques semaines ou quelques mois. La principale cible des offres à la table de négociation n’est pas pour lui l’Iran : c’est l’opinion publique aux USA et dans le monde. Une fois cela fait, les Etas-Unis pourraient reprendre leur gros bâton.(The Nation)
Le plus inquiétant dans ce scénario, c’est qu’il est en train de se mettre en place.
Une proposition de loi demandant au président de prendre des sanctions contre les compagnies qui vendent des produits pétroliers à l’Iran est en discussion dans les 2 chambres, sur proposition à la fois de démocrates et de républicains. Obama a décidé de ne pas s’y opposer, car, en cas d’échec de la solution diplomatique, les USA se laissent la possibilité de durcir les sanctions contre Téhéran. D’autres mesures se préparent au niveau des fonds de pensions publics qui ont des titres de compagnies ayant investi plus de 20 millions de $ en Iran : Shell et BP sont concernés...(AP)
L’AIPAC, puissant lobby pro-israélien, a activement fait du lobbying pour ce texte, qui succède à un texte qui aurait dû être voté à la fin du mandat de Bush, ce qui a échoué en procédure accélérée à cause de l’action des pacifistes... puis n’a pas pu être discuté à cause de la crise.
Israël envisage plus que des pressions, car dans l’esprit de Benjamin Nethanyaou, il risque « un second holocauste » avec un Iran nucléaire, et celui-ci s’estime investi d’une mission « sauver Israël » en percevant, comme naguère Churchill, le danger avant les autres (Haaretz) . Et le président Shimon Perez a dit que si l’Iran ne modifiait pas sa position au cours des négociations, Israël « le frapperait » (le Monde) : son armée se tient prête à intervenir rapidement, si l’ordre lui est donné, en bombardant une douzaine de sites (dont Natanz (à l’est), enterré d’une huitaine de mètres, protégé par 2,5 m de béton armé, où plusieurs milliers de centrifugeuses enrichissent de l’uranium, Ispahan (centre) où des tunnels abritent la fabrication d’hexafluorure d’uranium, et Arak (à l’est) où l’Iran construit un réacteur à eau lourde. Auparavant Israël voudrait détruire la flotte aérienne militaire iranienne, aujourd’hui dispersée par précaution.
Et surtout Israël est pressé, car le temps travaille contre lui : l’Iran a commandé à la Russie (et payé) la dernière version des missiles antiaériens SAM, le S-300V, qui pourraient infliger des pertes importantes aux bombardiers israéliens, il en attend la livraison et mieux vaut aussi pour Israël ne pas attendre la fin de l’année quand la Russie aura mis en service le nouveau réacteur nucléaire qu’elle construit à Bushehr, cible prévue... (antiwar).
On imagine les conséquences en matière de retombées nucléaires pour la population, pas seulement d’Iran. Et si Israël décidait la guerre, c’est un crime contre l’humanité bien pire que celui commis à Gaza qu’il commettrait.
En attendant, Israël veut être prêt, commande 3 avions-radar Awacks (le Monde) et prépare les plus grands exercices civils de son histoire (campaigniran), y compris la préparation dans les territoires occupés (les colonies ?) à des représailles après des bombardements israéliens en Iran.
Car les dirigeants israéliens, qui raisonnent suivant la logique de force dont ils sont coutumiers depuis la création de l’Etat d’Israël, n’imaginent pas que les proclamations répétées d’Ahamedinejad souhaitant la fin de l’Etat sioniste ne puissent déboucher sur autre chose que la construction de bombes nucléaires pour anéantir Israël. Cette véritable paranoïa les mène à la conviction que laisser l’Iran enrichir de l’uranium, c’est le laisser fabriquer la bombe, quoiqu’un disent les inspecteurs de l’AIEA pour qui l’Iran satisfait ses obligations dans le cadre du Traité de Non Prolifération Nucléaire et se soumet aux contrôles.
Des élections présidentielles auront lieu en Iran au mois de juin. Dans la mesure ils pensent que l’élection d’un nouveau président pourrait modifier l’attitude de l’Iran aux négociations, ni les USA, ni Israël ne se risqueront sans doute à une action avant d’avoir testé l’attitude du nouveau président élu. Mais après ?
La pression d’Israël est très forte, même si tout n’y est pas évident : le dirigeant d’extrême-droite Lieberman est hostile à une solution militaire, même en cas d’absence de résultat aux négociations (campaigniran).
Mais tant Péres que Nethanyaou envisagent la guerre. La question est désormais posée : entre le lobby pro-israélien relayé par son conseiller pour l’Iran Dennis Ross, qui appuye l’issue guerrière et ses assurances pacifiques Obama aura-t-il le courage ou le pouvoir de choisir ?
Son choix sera en tout cas crucial, non seulement pour la région, mais aussi pour l’avenir de l’humanité.