|  

Facebook
Twitter
Syndiquer tout le site

Accueil > français > Archives du site > L’arc des crises > Nettoyage ethnique à Jérusalem

PALESTINE

Nettoyage ethnique à Jérusalem

Lundi 4 août 2008, par Jonathan Cook

Les Palestiniens sont confrontés à une vague de démolitions de maisons par Israël

Aux premières lueurs du jour, Nader Elayan avait été réveillé par l’appel d’un voisin qui l’avertissait de se rendre très vite à sa maison qu’il avait pratiquement fini de construire. Quand il y est arrivé, il était trop tard : un bulldozer avait abattu les murs. Plus de 100 agents de la sécurité israélienne tenaient à l’écart les habitants du quartier.

Cette démolition a eu lieu il y a quatre ans, elle a laissé Mr Elayan, 37 ans, son épouse Fidaa, actuellement enceinte, et leurs deux jeunes enfants sans abri, sauf une simple pièce dans la maison exiguë de son frère. Sa maison avec le terrain étaient son seul bien et il avait investi toutes ses économies pour la construire, et maintenant elle était détruite.

Ces dernières années, le sort des Elayan fut le même que celui des dizaines d’autres familles d’Anata, petite ville palestinienne à la périphérie de Jérusalem-Est. Des centaines d’autres familles ont reçu des ordres de démolition qui menacent leurs maisons. « Dans mon quartier, personne n’a un permis (de construire) » dit Mr Elayan.

Le problème des démolitions de maisons concerne les Palestiniens dans tous les territoires occupés. Mais, selon Hatem Abdelkader, conseiller de Salam Fayyad, Premier ministre palestinien, la situation est particulièrement grave dans la région de Jérusalem-Est.

Il indique que la politique israélienne des refus de permis de construire à un grand nombre des 250 000 Palestiniens de Jérusalem-Est a conduit à ce que 20 000 maisons y soient classées comme illégales depuis le début de l’occupation, en 1967. Rien que l’an dernier, la municipalité de Jérusalem a publié plus de 1 000 ordres de démolition pour « domiciles illégaux ». On estime que trois maisons palestiniennes sur quatre dans la cité sont aujourd’hui construites sans permis.

Jeff Halper« L’illégalité de la construction n’est qu’un prétexte pour détruire les maisons et la vie des familles palestiniennes », dit Jeff Halper, responsable du Comité israélien contre la démolition des maisons (ICAHD).

« Ces démolitions font partie d’une politique qui vise à empêcher toute expansion naturelle des communautés palestiniennes, dans et autour de Jérusalem, libérant ainsi le maximum de terrain pour l’usage des colons israéliens », continue Halper. « Les démolitions font monter la pression sur les Palestiniens pour les amener à aller en Cisjordanie, ainsi, ils perdent leur droit à résider dans la ville. »

En signe de défi, l’organisation d’Halper et 40 volontaires internationaux ont aidé les Elayan à reconstruire leur maison cette semaine, pour essayer de mettre en lumière ce que le comité appelle le « nettoyage ethnique silencieux » de Jérusalem-Est. Les travaux ont été effectués pendant un camp d’été de deux semaines financé par le gouvernement espagnol. Madrid a également payé pour la participation de 18 bénévoles espagnols.

« C’est la première fois qu’un gouvernement soutient la reconstruction d’une maison palestinienne "illégale", démolie par les autorités israéliennes » dit Halper.(*)

Cette question des démolitions revient dans l’actualité à l’occasion de deux incidents successifs, courant juillet, où des Palestiniens résidents de Jérusalem se sont déchaînés aux commandes de leur bulldozer à travers la ville, tuant trois Israéliens et en blessant beaucoup plus. Bien que les Palestiniens aient été abattus sur place, les officiels israéliens, notamment Ehud Barak, ministre de la Défense, demandent que leur maison soit détruite, faisant de leurs familles des sans abri pour dissuader les autres de prendre le même chemin.

Ce type de destructions punitives de maisons avait cessé en 2005 sous la menace de plainte judiciaire, mais pas avant que quelque 270 maisons n’aient été rasées pour des raisons de sécurité dans les premières années de l’Intifada.

D’après Halper, cependant, la pratique des démolitions contres les Palestiniens accusés de les avoir construites en dehors de la loi constitue un problème beaucoup plus important. « Nous estimons à au moins 18 000 le nombre de maisons détruites au cours des quatre décennies d’occupation. »

En réalité, Halper est convaincu que le nombre réel des démolitions représente probablement le double du chiffre officiel. Beaucoup de destructions ne sont pas enregistrées, réalisées par les Palestiniens eux-mêmes dans la crainte d’une lourde amende si les forces armées israéliennes appliquent l’ordre de démolition.

« La plupart des démolitions concernent des immeubles à plusieurs étages qui sont les domiciles de plusieurs familles, ce qui signifie que beaucoup plus de 100 000 Palestiniens ont pu devenir des sans-abri à cause de la politique administrative israélienne » dit-il.

Depuis sa création il y a dix ans, l’ICAHD a reconstruit 150 maisons de Palestiniens dans le cadre de sa campagne qui a pour but de porter le problème des démolitions à l’attention des juifs israéliens et de la communauté internationale. C’est une lutte acharnée, déclare Mr Halper. L’Union européenne, qui a récemment renforcé ses relations avec Israël, a annoncé ce mois-ci qu’elle se retirait du financement de l’ICAHD.

Mais le camp de travail de cette année pourrait bien rendre la poursuite des démolitions de maisons à Anata un peu plus difficile, estime Halper : « C’est une chose de détruire une maison dite construite illégalement par un Palestinien, c’en est une autre que d’en détruire une financée par le gouvernement espagnol. »

Halper croit aussi qu’en mettant en avant des organisations comme les camps d’été de bénévoles qui aident les Palestiniens dans leur situation dramatique, l’opinion publique peut commencer à percevoir la réalité de cette situation.

Alonso Santos, un étudiant en architecture de 21 ans, de Madrid, dit avoir beaucoup appris en voyant de près et par lui-même quelle était la vie des Palestiniens sous l’occupation.

« Cela nous a ouvert les yeux et nous réalisons que les principes d’urbanisme qui nous sont enseignés à l’université sont bien mis en pratique par les Israéliens, mais pour servir un objectif diamètralement opposé à celui qui est normalement le leur. Les règles d’urbanisme ici visent non pas à améliorer la vie des Palestiniens mais à la rendre plus misérable. »

Rachel Corrie, militante américaine d’ISMLes volontaires ont été reçus au centre de la paix d’Anata, construit à l’endroit même de la maison de Salim Shawamreh qui a été démolie 4 fois par les autorités israéliennes. Sous le nom de Maison Arabiya, nom de l’épouse de Salim, l’immeuble est orné sur un côté par un tableau mural représentant les derniers moments de Rachel Corrie, cette militante étasunienne pour la paix qui fut écrasée, le 16 mars 2003, par un bulldozer israélien qui détruisait une maison à Rafah, dans la bande de Gaza.

« Imaginez vos enfants partant le matin pour l’école et qui, au retour, voient que leur maison, tout leur monde, a disparu pendant qu’ils étaient partis » dit Shawameh. « C’est ce qui est arrivé à mes enfants, quatre fois. La cruauté dépasse les mots eux-mêmes. »

Shawamreh, dont les membres de la famille sont des réfugiés du nord Néguev en 1948, indique qu’avec l’ICAHD, ils ont créé ce centre de la paix pour faire connaître la situation dramatique des Palestiniens à Anata. Aujourd’hui, la maison est dominée par une station de police israélienne sur l’autre pente de la vallée, qui fait partie de l’extension d’une importante colonie juive, Maale Adumin, qui, selon les Palestiniens et les organisations pour la défense des droits de l’homme, va permettre à Israël de couper la Cisjordanie en deux.

Le centre de la paix se trouve à proximité également de la route sinueuse qui longe le mur de séparation d’Israël et d’une nouvelle route de contournement - ce que les critiques appellent le système routier d’apartheid -, construite pour permettre aux colons juifs de conduire sur des routes sans Palestiniens, dans toute la Cisjordanie.

La Maison Arabiya est sous le coup d’un sursis provisoire de démolition, les tribunaux israéliens n’ayant pas encore décidé de son sort.

Pour Halper, les juges se montrent réticents pour confirmer l’ordre de destruction parce que son groupe de volontaires a menacé de porter l’affaire devant la Cour internationale de Justice si la décision était défavorable.

« Plus de 100 000 Palestiniens ont pu devenir des sans-abri
par la politique administrative israélienne »

Jonathan Cook est écrivain et journaliste. Il vit à Nazaretz, Israël. Ses derniers livres sont : Israel and the Clash of Civilisations : Iraq, Iran and the Plan to Remake the Middle East (Pluto Press) et Disappearing Palestine : Israel’s Experiments in Human Despair (Zed Books). Son site : http://www.jkcook.net

1er août 2008 - Counterpunch - Traduction : JPP - Cet article a été publié initialement par The National à Abu Dhabi


Voir en ligne : www.info-palestine.net