Vers la fin du mois dernier, Salam Fayyad, nommé premier ministre de l’autorité palestinienne (AP) à Ramallah a fait une annonce surprise : il a déclaré son intention d’établir un État palestinien en Cisjordanie et dans la bande de Gaza avant fin 2011, indépendamment de l’issue des négociations avec Israël.
L’Occident a inondé de son soutien Salam Fayyad, nommé premier ministre de l’AP, alors que les USA préconisent la création d’un État palestinien fictif sous contrôle israélien(Mustafa Abu Dayeh/MaanImages)
Fayyad a dit au London Times qu’il s’efforcerait d’ « établir le fait accompli, pour que notre État apparaisse comme une réalité indéniable ». Son projet a été développé dans un long document au titre pompeux « Programme du 13e gouvernement de l’Autorité nationale palestinienne ».
Le plan contient toute une série d’idées ambitieuses : un aéroport international dans la vallée du Jourdain, de nouvelles liaisons ferroviaires avec les pays voisins, des incitations fiscales généreuses pour attirer les investisseurs étrangers, et bien entendu le renforcement des « forces de sécurité ». Le plan parle aussi hardiment de libérer l’économie palestinienne de sa dépendance à l’égard d’Israël et de réduire sa dépendance envers l’aide étrangère.
Ceci peut sembler attrayant pour certains, mais Fayyad n’a ni l’influence politique, ni les moyens financiers pour proposer des plans de si longue portée sans le feu vert de Washington ou de Tel-Aviv.
Fayyad veut projeter l’image d’une administration palestinienne compétente, maîtrisant déjà l’administration d’un État. Il se vante, par exemple, de ce que l’AP qu’il dirige a travaillé pour « développer des institutions de gouvernement efficaces sur la base de principes de bonne gouvernance, de redevabilité et de transparence.
Mais ce qui s’ébauche réellement en Cisjordanie aujourd’hui, c’est un État policier, où toutes les sources d’opposition ou de résistance - réelles ou soupçonnées - que ce soit au régime de l’AP ou à l’occupation israélienne, sont systématiquement réprimées par les « forces de sécurité » palestiniennes financées et entraînées par les USA en pleine coordination avec Israël. Le siège de Gaza reste étouffant à cause de son refus de se soumettre à ce régime.
En décrivant l’utopie palestinienne qu’il espère créer, Fayyad déclare : « la Palestine sera un État démocratique stable avec un système politique pluraliste. L’autorité gouvernante est transférée sans accroc, de façon pacifique et régulière conformément à la volonté du peuple exprimée par le biais d’élections libres et justes se déroulant conformément à la loi ».
L’occasion de démontrer un tel transfert exemplaire aurait été parfaite après les élections de janvier 2006 ; comme le monde entier le sait très bien, le Hamas les a remportées de façon équitable et propre. Au lieu de cela, ceux qui monopolisent la direction de l’AP aujourd’hui, sont entrés en collusion avec des puissances extérieures, pour estropier et renverser d’abord le gouvernement élu du Hamas et ensuite le « gouvernement d’unité nationale » formé en vertu de l’accord de la Mecque au début de 2007, approfondissant ainsi l’actuelle division interne des Palestiniens. (Le propre parti de Fayyad n’a obtenu que 2 % des voix lors des élections de 2006 et sa nomination au poste de premier ministre par le dirigeant de l’AP, Mahmoud Abbas, n’a jamais été - ce qu’exigeait la loi - approuvée par le conseil législatif palestinien, dont les membres élus sont toujours dans les prisons israéliennes).
De 1994 à 2006, plus de 8 milliards de dollars US ont été pompés dans l’économie palestinienne, faisant des Palestiniens le peuple le plus assisté du monde, comme l’a montré Anne Le More dans son important ouvrage International Assistance to the Palestinians after Oslo : Political Guilt ; Wasted Money (London, Routledge, 2008). L’AP a reçu cette assistance ostensiblement pour édifier les institutions palestiniennes, améliorer le développement socio-économique et soutenir la création d’un État indépendant. Le résultat obtenu est toutefois que les Palestiniens sont plus déshérités et tributaires de l’aide que jamais, que leurs institutions sont totalement dysfonctionnelles et que leur État reste un distant mirage.
La corruption et la mauvaise gestion de l’AP ont joué un rôle important dans le gaspillage de ces ressources, mais pas autant que l’occupation israélienne qui en reste de loin le plus important destructeur. Contrairement à ce que Fayyad imagine, vous ne pouvez pas « mettre fin à l’occupation en dépit de l’occupation ».
Le More mentionne un fait assez révélateur, à savoir que les « programmes » précédents de l’AP (à l’exception de ceux qui ont été proposés par les gouvernements Hamas) ont été rédigés et approuvés par les donateurs et officiels internationaux ; ils ont ensuite été remis à l’AP qui les leur a représentés i comme s’il les avait rédigés lui-même !.
Tout ce que nous voyons donne à penser que le dernier plan de Fayyad suit exactement le même modèle. Ce qui est particulièrement troublant cette fois-ci est que le plan semble coïncider avec un certain nombre d’autres initiatives et ballons sondes qui présentent un véritable danger pour les perspectives de libération de la Palestine d’un joug israélien permanent.
Récemment, le International Middle East Media Center (centre international des médias du Moyen-Orient) agence d’information palestinienne indépendante, a publié une fuite de l’ébauche d’un plan de paix que présenterait le président US Barack Obama.
Ce plan prévoyait : des forces armées internationales dans la plus grande partie de « l’État » palestinien, l’annexion par Israël d’importantes parties de Jérusalem Est, la dissolution de toutes les « factions palestiniennes qui seraient transformées en partis politiques », le contrôle israélien permanent de toutes les grandes colonies, la démilitarisation pratique de l’État palestinien et le contrôle par Israël de l’espace aérien, l’intensification de la « coordination de la sécurité » israélo-palestinienne et l’interdiction pour l’entité de conclure des alliances militaires avec d’autres pays de la région.
En ce qui concerne la question centrale du droit au retour des réfugiés palestiniens, le prétendu plan d’ Obama n’ autorise le retour que d’un nombre convenu, non pas chez eux, mais uniquement en Cisjordanie, spécialement dans les villes de Ramallah et de Naplouse.
Il est impossible de confirmer que ce document divulgué provienne de l’administration Obama. Ce qui lui donne toutefois de la crédibilité est son étroite ressemblance avec une proposition envoyée à Obama en novembre dernier par un groupe bi-partisan de vétérans politiques, dirigé par d’anciens consultants US en sécurité nationale, Brent Scowcroft et Zbigniew Brzezinski. En outre, de récents articles parus dans la presse font état d’un débat animé au sein de l’administration Obama sur l’opportunité pour les USA de publier eux-mêmes des propositions précises en vue d’un règlement final, une fois que les négociations reprendront ; il y a donc peu de doute que des propositions concrètes circulent.
De fait, il y a peu de différences quant au fond avec les différents plans du premier ministre israélien Benjamin Netanyahou allant du concept de la « paix économique » et d’un petit État palestinien démilitarisé sous contrôle global d’Israël et ne donnant aucun droit au retour des réfugiés.
Et tout ceci semble concorder avec le fait que la vallée du Jourdain - ses terres et son espace aérien - resterait indéfiniment sous contrôle israélien, de même que l’aéroport de Fayyad.
Des trucs similaires ont été essayés auparavant : qui ne se souvient de tout le ramdam des premières années Oslo au sujet de l’aéroport international de Gaza - qui a fonctionné brièvement sous le strict contrôle d’Israël avant que celui-ci ne le détruise- et du port promis pour Gaza dont Israël a interdit la construction ?
Deux faits connexes expliquent pourquoi le plan de Fayyad est lancé maintenant. L’envoyé US au Moyen-Orient, Georges Mitchell, a plusieurs fois défini son objectif comme « une reprise et l’aboutissement rapide » des négociations. Si le type d’idées recyclées provenant du prétendu plan Obama, du document Scowcroft-Brzezinski ou de Netanyahu doivent avoir la moindre chance d’aboutir, il faudra qu’elles donnent l’impression d’être appuyées par les Palestiniens. Le rôle de Fayyad est de s’y employer.
Le second élément explicatif concerne la lutte en cours pour la succession de Mahmoud Abbas à la présidence de l’AP. Il est devenu évident que Fayyad, ancien officiel à la Banque mondiale, inconnu des Palestiniens avant qu’il ne soit poussé par l’administration Bush, serait le favori actuel des USA et des autres sponsors de l’AP. C’est en acheminant plus d’aide via Fayyad que ces donateurs pourraient renforcer sa position par rapport à ses concurrents de la faction Abbas du Fatah (Fayyad n’est pas membre du Fatah) qui n’ont pas l’intention de relâcher leur prise sur la machine clientéliste de l’AP.
Dans la région et en dehors de celle-ci beaucoup espéraient que l’administration Obama serait un courtier honnête, exerçant enfin une pression US sur Israël afin de libérer les Palestiniens. Au lieu de cela, la nouvelle administration assure le blanchiment efficace des idées israéliennes qui deviennent d’abord usaméricaines et que l’on refile ensuite à un fantoche palestinien chargé de les afficher.
Ce n’est pas le premier plan qui vise à éteindre les droits palestiniens sous l’apparence d’un « processus de paix » , mais il est extrêmement décevant de voir que l’administration Obama semble n’avoir rien appris des échecs de ses prédécesseurs. Néanmoins, tout comme avant, le peuple palestinien vivant dans son pays et dans la diaspora s’entêtera à faire échouer ces efforts. Il sait que c’est la justice véritable et non pas une nation symbolique et fictive, qui reste le seul pilier sur lequel l’on peut construire la paix.