La carte magnétique et le système de permis
Le système des permis a commencé dans les années 90. Dans les dernières années, son intensité a atteint des sommets qui défient l’imagination. Dans une large mesure, la vie des Palestiniens tourne autour des démarches pour obtenir des permis. Et dans de nombreux cas, avoir un permis dépend de la possession d’une carte magnétique – une sorte de « certificat de bonne conduite », la preuve que l’habitant n’est pas sur la liste noire du Shabak ou de la police. La carte n’est pas un permis d’entrer en Israël, mais sans elle il est impossible d’avoir un permis de travail ou commercial.
Il y a de nombreux types de permis :
1°Permis d’entrer en Israël, pour le travail ou le commerce : Tous les travailleurs Palestiniens en Israël, des territoires ont besoin d’un permis de travail. Un employeur israélien intéressé à embaucher un Palestinien doit aller à la Bourse du Travail demander un travailleur Israélien. Si aucun Israélien n’est disponible, il aura un permis de la Bourse du Travail pour employer un Palestinien, et alors, il lui faut un permis de travail pour le Palestinien. Pour cela, le travailleur doit avoir une carte magnétique.
2° Permis de la « Zone de couture » : Les Palestiniens de Cisjordanie ayant des terres dans la « zone de couture » ont aussi besoin de permis pour travailler leurs champs et leurs vergers.
3° Permis de déplacement dans les Territoires occupés : Les camionneurs, routiers, ambulanciers, chauffeurs de bus ou de taxis, ont besoin de permis pour se déplacer dans la Cisjordanie et passer les checkpoints internes.
4° Permis pour raisons personnelles – pour des examens médicaux, des visites familiales, la participation à des séminaires ou à des études, l’entrée dans des lieux sacrés chrétiens, etc. Ils sont attribués pour quelques jours et non-conditionnés à la possession d’une carte magnétique. Pour voyager dans un véhicule privé en Cisjordanie, les habitants ont aussi besoin d’un permis spécial – pour de conducteur et le véhicule.
Pour résumer, un Palestinien interdit par le Shabak ne peut pas avoir de carte magnétique, par conséquent il ne peut acquérir de permis de travail ou de commerce, ni séjourner en Israël pour réunification familiale. Il lui sera aussi très difficile d’avoir des permis qui n’exigent pas de carte magnétique, et il n’aura probablement pas le droit de voyager à l’étranger. Un Palestinien ayant une carte magnétique et un permis d’un type ou un autre n’est jamais certain que la situation ne changera pas « d’un signe de main ». Le Shabak peut supprimer la validité des cartes et des permis sans donner d’explication ni de raison.
L’image type d’un Palestinien interdit par le Shabak
La nette majorité des personnes “dangereuses” interdites par le Shabak sont des pauvres avec une grande famille et de nombreux enfants. Ils ne s’enfuient pas, ni ne se cachent. Ils viennent ouvertement aux bureaux de l’administration Civile pour demander une carte magnétique : s’ils étaient dangereux, ils pourraient être arrêtés là, à la grille. Après tout, ils sont parqués entre les tourniquets et rien ne serait plus facile…
La plupart ont eu des permis et des cartes magnétiques dans les années 90, jusqu’au début de la 2e Intidada fin 2000, mais depuis il n’y a plus d’accord pour renouveler les cartes. Nombreux sont ceux qui n’ont jamais été en prison et ne savent pas pourquoi ils sont interdits. « Qu’est-ce que j’ai fait, » nous demandent-t-ils. « Qu’ils disent ce que j’ai fait… si je suis dangereux, pourquoi ne m’emmènent t-ils pas en prison ? » « Je veux rencontrer le Shabak et leur montrer que je n’ai rien fait. Je suis venu souvent et j’ai demandé à les rencontrer, et chaque fois ils disent : “Vas t’en ! Tu ne nous intéresses pas !” Ils ne veulent même pas enquêter sur moi ».
Pour quelques personnes qui se sont adressées à nous, les permis et les cartes magnétiques ont été renouvelés même après 2000. Mais souvent, ils ont cessé d’un seul coup de donner des permis. Et après un certain temps, ils cessaient de renouveler les cartes magnétiques des Palestiniens interdits par le Shabak. Jamais d’explication. Tout vient par surprise.
Il y avait des hommes qui, alors jeunes, ont été détenus au cours de la 1re Intifada pour avoir jeté des pierres. Depuis ils étaient devenus adultes, avaient fondé des familles, et reçu des cartes et des permis dans les années 90, mais maintenant sont interdits par le Shabak. « C’est parce que j’ai été en prison », nous disent-t-ils, ajoutant « mais j’étais un enfant à l’époque ». « Bien des années ont passé et maintenant j’ai une famille. J’ai des enfants. Je ne fais plus de bêtises ».
Le refus de cartes magnétiques et de permis à ces hommes les condamne ainsi que leurs familles à une souffrance économique extrême. Ce ne sont pas des cas dramatiques de vie et de mort, mais de gens au chômage, devant prendre soin de grandes familles, qui ne rapportent pas de pain à la maison. Dans leur désespoir, ils entrent en Israël sans permis – pas pour faire sauter quoi que ce soit, mais pour travailler. Et là ils sont doublement frappés. Les employeurs israéliens les exploitent, et quand ils tentent de rentrer chez eux, ils sont fréquemment arrêtés comme « illégaux ».
Permis de cultiver dans la « Zone de Couture »
La barrière de séparation a été érigée, officiellement, pour assurer la sécurité des Israéliens. Au lieu d’être construite sur la ligne verte, permettant ainsi aux propriétaires d’user de leur droit de propriété, il a été décidé de construire la barrière entre les terres et les maisons des villages, ce qui attaque sévèrement les droits élémentaires des habitants. L’Etat et les autorités de l’armée entreprirent de ne pas restreindre le mouvement des gens, et donc les checkpoints ouvriraient pour permettre une libre circulation des gens.
Mais contrairement aux déclarations de l’Etat, le travail aux points de transit et le régime de permis fait de graves torts aux habitants. L’armée ouvre les portes et checkpoints deux fois par jour brièvement – un peu plus pendant la période de récolte des olives. Ces dispositions ne répondent nullement aux besoins des habitants. L’armée donne des permis quand elle veut, et refuse les permis quand elle veut, offense les demandeurs en les envoyant à gauche et à droite, et en général, s’en prend à leurs droits fondamentaux de propriété. L’ACRI a porté plainte contre le système de permis et les routines opératoires de passage vers la Zone de Couture (HCJ 639 / 04). La plainte est toujours en attente.
Il y a des façons diverses d’interdire le passage vers la « zone de couture » :
1. Interdiction des propriétaires quand l’armée ne reconnaît par leur droit de propriété, ou qu’il est nié ou suspendu après de nombreuses années de travail. Ces gens-là, quand ils viennent renouveler leur permis, sont informés que leur bien n’est pas à eux, et que leur titre de propriété n’est pas valable.
2. Quiconque a loué une terre et l’a cultivée pendant longtemps comme métayer se retrouve sans permis ; lorsque le propriétaire vit loin, la terre, après des années sans culture, est confisquée par l’Etat.
3. Les personnes interdites pour raison sécuritaire, parmi elles, celles qui ont refusé de coopérer avec le Shabak. Machsom Watch a envoyé quatre lettres à la direction de l’Administration Civile et au Conseiller Légal de Judée et Samarie, listant 335 habitants, certains interdits par le Shabak, avec une demande pour leur donner des permis d’entrer dans la Zone de Couture. La récolte des olives est pour bientôt, et la lutte pour obtenir des permis continue.
Réunification familiale
Beaucoup des interdits par le Shabak sont des Palestiniens maris ou femmes d’habitants de Jérusalem Est ou de citoyens israéliens. Ils sont allés vivre en Cisjordanie, loin de leurs familles, depuis qu’ils ont reçu une lettre du Ministère de l’Intérieur leur interdisant de vivre en Israël. Ils sont partis pour échapper au risque de poursuites et d’arrestation. Le reste de la famille est en Israël, espérant des temps meilleurs. Ces conjoints sont presque automatiquement interdits par le Shabak et ne peuvent recevoir de permis d’entrée en Israël, même pour un ou deux jours pour visiter leur famille.
En conclusion
Les Palestiniens interdits par le Shabak sont pour la plupart des civils innocents ne présentant aucun danger. Ce sont les victimes d’une punition collective. Ce sont les victimes d’un système d’oppression tentaculaire typique des régimes tyranniques ailleurs dans le monde. Il est difficile de croire qu’une nation qui a été victime de persécutions pendant des générations a créé une réalité aussi lugubre dans l’arrière-cour du pays.
Les Israéliens acceptent avec indifférence, sans question, les diktats du Shabak. Ce que le Shabak décide devient sacro-saint et immun à tout appel. Mais le silence face à l’oppression et à la détresse décrétée par le Shabak pour des dizaines de milliers de gens fait de nous des partenaires involontaires. De plus, il y a un manque de contrôle public, en particulier de l’autorité législative, sur cette pieuvre géante, dont les activités dans l’ombre sont une menace pour la fragile démocratie de l’Etat d’Israël.
Le judiciaire, qui est supposé constituer un frein aux édits arbitraires du Shabak, agit en pratique comme un replâtrage, qui complète l’image d’absence d’espoir face aux droits de l’homme piétinés. Parvenir à une conclusion n’est pas difficile : il n’y a aucune chance d’obtenir la défense du Conseiller Légal de Judée et Samarie, ou même de la Cour Suprême (pour quiconque peut atteindre ce niveau), afin de préserver les droits fondamentaux que le Shabak confisque à tant de gens.
Que peut-on faire pour changer cette triste réalité ? Premièrement, l’interdiction sécuritaire doit être abolie pour tous, sauf s’ils sont passés par une procédure judiciaire avec droit d’audition sans préjugé. Deuxio, la population des Territoires [occupés] devrait dépendre de façon dans une moindre mesure de son travail en Israël. Mais réduire cette dépendance n’est possible que par le développement de ressources de vie dans les Territoires occupés – ce qui est impossible tant qu’il n’y aura pas de liberté de mouvement de la population, et tant qu’il n’y a ni moyen ni lieu pour exporter leurs produits.
Sans aucun doute, la fin de l’Occupation, la signature de traités de paix et de réconciliation entre les nations, voila les solutions justes et souhaitables aux situations décrites dans ce rapport. La politique du gouvernement envers les Palestiniens doit changer si nous souhaitons vraiment la paix. Mais avant que cette paix soit réalisée, l’Etat d’Israël doit se conformer à la loi internationale, et permettre aux Palestiniens de vivre dignement, de travailler et de gagner leur vie. Il faut mettre une limite au contrôle sans supervision ni frein du Shabak sur ce qui se passe dans les Territoires occupés.
Les Palestiniens doivent devenir souverains à la place des autorités israéliennes.
Nous, comme citoyens israéliens, devons y voir un intérêt particulier. Nous espérons que l’exposé des événements dans le système d’oppression dirigé par le Shabak persuadera le public israélien que le temps est venu pour que s’arrête immédiatement l’oppression de la population palestinienne dans les Territoires occupés.
* Sylvia Piterman. Version anglaise : http://www.kibush.co.il/downloads/The_Invisible_Prisoners_77.pdf
Machsom est le mot hébreu pour ce que nous appelons « checkpoints ». Machsom Watch est une association israélienne de surveillance du comportement des soldats sur les points de contrôle de l’armée israélienne. Machsom Watch est une association exclusivement féminine, l’idée étant que les femmes seraient les mieux à même d’intervenir sur les checkpoints où sévissent des jeunes de l’âge de leurs enfants.