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Les femme résistent en Irak

Entrevue de Houzan Mahmood, responsable de l’Organisation pour la liberté des femmes en Irak

Jeudi 1er décembre 2005

Les militantes féministes en Irak luttent contre l’occupation et en même temps contre les forces islamistes réactionnaires.

Pour commencer, peux-tu nous parler de la situation des femmes sous Saddam Hussein ?

Houzan Mahmood :Le parti Baas a exercé un pouvoir absolu pendant plus de trente ans. Beaucoup de gens, à l’étranger, considéraient l’Irak comme un pays laïque, voire « socialiste » entre guillemets. Mais ce n’était absolument pas le cas. Le régime de Saddam, le régime du Baas, était un système fasciste et nationaliste. Une Constitution avait été adoptée en 1959, avant la prise du pouvoir par le Baas, et les femmes avaient acquis certains droits élémentaires à travers leurs luttes pour l’égalité dans les années 50 : droit à l’éducation, divorce, garde des enfants, etc. Saddam a essayé de changer à de nombreuses reprises cette Constitution et il a finalement réussi à légaliser les « crimes d’honneur » (les hommes avaient le droit de tuer les femmes de leur famille quand ils jugent qu’elles se comportent pas de façon « morale »). Durant la guerre entre l’Iran et l’Irak, puis pendant la première guerre du Golfe et enfin durant les douze années de sanctions économiques, Saddam a toujours appelé les femmes à sacrifier leurs droits, à sacrifier leur vie pour l’intérêt du gouvernement nationaliste-baasiste en Irak. L’Irak, disait Saddam, a besoin que les femmes restent à la maison, fassent à manger pour leurs maris et leurs enfants, fassent preuve d’économie et ne dépensent pas trop, elles doivent aident le pays à s’en sortir. Tout cela a abouti à violer en permanence les droits des femmes. En particulier pendant la guerre entre l’Iran et l’Irak, les femmes représentaient plus de 70 % des fonctionnaires, mais dès que la guerre a pris fin, le régime les a renvoyées chez elles. Les femmes ont toujours été utilisées pour satisfaire les objectifs du régime baasiste-nationaliste en Irak.

Si vous n’apparteniez pas au parti Baas, vous ne pouviez pas entrer à l’université, ni obtenir un diplôme, tout fonctionnait selon le bon vouloir du Parti. Saddam a personnellement mené une campagne pour la décapitation des prostituées, ou des prétendues « prostituées ». En effet, de nombreuses femmes ont été obligées de se prostituer à cause des sanctions imposés par les États-Unis et leurs alliés. Les femmes avaient perdu leur travail, n’avaient plus de ressources, et certaines d’entre elles n’ont trouvé d’autre moyen pour survivre que de se prostituer. Cette campagne s’intitulait la « Campagne de la fidélité » ( !). Lorsque les femmes étaient décapitées, on déposait leur tête sur le seuil de leur maison, en guise d’avertissement à toutes celles qui se comportaient d’une façon jugée « immorale » selon les autorités baasistes. Les femmes vivaient une situation très difficile sous le régime de Saddam. Si l’on compare l’Irak avec l’Arabie saoudite et l’Iran, on peut bien sûr affirmer que ce pays avait un régime plus ou moins laïc, mais si on le compare avec des États ayant une législation plus progressiste, ce n’était pas un régime laïc. Les valeurs musulmanes dominaient, les femmes avaient un statut de citoyennes de seconde classe, même si elles faisaient des études supérieures, si elles travaillaient et contribuaient aux richesses de la société.

Peux-tu expliquer les inégalités régionales et ethniques en Irak et leurs conséquences sur le statut des femmes ?

Houzan Mahmood : Durant le régime de Saddam, jusqu’en 1991, la situation des femmes était la même partout en Irak. Après 1991 cela a changé dans le Nord qui est tombé entre les mains de l’ONU et des partis nationalistes kurdes. Sous Saddam, les droits des femmes étaient constamment violés, Irak était (et est toujours) une société patriarcale où les valeurs religieuses musulmanes dominent, où les femmes sont méprisées. La violence domestique était très répandue et cette violence a encore augmenté après la guerre. Irak n’était ni un État laïque ni un État progressiste. Le statut personnel de la femme n’était ni laïc ni progressiste, comme certains le croient. Nous, militantes du PCOI et l’OLFI, ne comparons pas la situation des femmes en Irak avec celle des pires régimes, nous exigeons une égalité totale entre hommes et femmes, une Constitution laïque qui ne soit fondée sur aucune religion.

Est-ce que des femmes essayaient de lutter dans le Baas pour changer le régime de l’intérieur ?

Houzan Mahmood : Il n’existait qu’une seule organisation de femmes sous Saddam : l’Union des femmes irakiennes mais ce n’était qu’un appendice du Baas. Elles ne faisaient rien, ou plutôt elles contribuaient seulement à augmenter l’oppression des femmes en soutenant ou en faisant appliquer ce que le Baas exigeait d’elles. C’était une organisation passive. La plupart des femmes ne voulaient pas appartenir à ce genre d’organisation. Il n’existait aucune organisation indépendante ni pour les femmes, ni pour les travailleurs d’ailleurs. En effet, sous le Baas, tout devait être subordonné au Parti, il n’existait aucun droit d’association ou d’organisation. Si vous commenciez à vous organiser, ou même si l’on vous soupçonnait de vouloir le faire, on vous arrêtait et on vous mettait en prison ou l’on vous exécutait. Certaines personnes ont cherché à acquérir plus d’influence dans le Parti, ou à le réformer un petit peu de l’intérieur, mais elles ont été soit été emprisonnées soit exécutées.

Les forces religieuses étaient-elles organisées en Irak ?

Houzan Mahmood : Non. Il y avait un mouvement chiite chez les « Arabes des marais » mais ils ont été tous massacrés. Les chiites ne représentent pas la majorité des Irakiens, il n’existe qu’une ou deux villes vraiment religieuses en Irak, Kerbala et Nadjaf, mais ils ne représentent pas une force à l’échelle nationale.

Que signifie la notion de tribus en Irak ?

Houzan Mahmood : Le pouvoir travaillait surtout en coopération avec les dirigeants des tribus qui voulaient bénéficier de la manne du régime ; ces dirigeants tribaux ne s’intéressaient pas à la politique. Saddam les utilisait pour recruter des hommes dans l’armée ou dans les milices. Les tribus avaient une influence dans les villes également. Mais la mentalité tribale, même dans un contexte urbain, ne diffère guère de celle des nomades du désert. Ils recevaient beaucoup d’argent, vivaient dans des palais, incitaient les gens à s’enrôler dans l’armée. Ils étaient religieux, avaient une mentalité arriérée, certains étaient même très religieux, ils traitaient et traitent encore leurs femmes d’une façon scandaleuse.

Fallait-il appartenir à une tribu pour trouver du travail ?

Houzan Mahmood : La société irakienne n’est pas du tout une société tribale ; il n’existe que quelques grandes tribus. La société irakienne est fondamentalement laïque, même s’il existe des tendances réactionnaires, religieuses ou tribales. Le peuple a une mentalité plutôt progressiste. Le fait d’appartenir au Baas permettait de gagner beaucoup d’argent, en espionnant la population (surtout les militants politiques ou les gens de gauche), d’avoir un poste de fonctionnaire même si l’on n’avait aucune éducation. Les tribus ne représentent sans doute pas plus de 5 % de la population. Leurs dirigeants recevaient de l’argent pour contrôler leurs membres, mais pas pour contrôler toute la société. Ils n’étaient pas exemptés de faire leur service militaire et encore moins de faire la guerre, en cas de conflit. Si l’on avait des contacts dans l’administration, si l’on versait des pots-de-vin, bien sûr on obtenait des choses plus facilement. Mais un réseau d’amis suffisait, nul besoin de liens tribaux pour obtenir des faveurs.

Y avait-il une opposition au régime chez les femmes avant juin 2003 ?

Houzan Mahmood : Non. Il existait peut-être de tout petits groupes de femmes qui réfléchissaient mais, après la guerre de 2003, de nombreux mouvements pour l’égalité sont nés. En particulier l’Organisation pour la liberté des femmes en Irak, fondée en juin 2003. Ce mouvement est devenu très puissant ; il se bat pour une Constitution laïque, pour la liberté d’expression et d’organisation, pour la liberté de s’habiller comme on le souhaite. Ce dernier droit est très important parce que les groupes islamistes organisent des milices ; dès le premier jour, ils ont commencé à obliger les femmes à se voiler, à les empêcher d’aller travailler, d’aller dans les universités, à empêcher les jeunes filles d’aller à leurs examens sans voile ; ils débarquaient dans les écoles avec des armes et obligeaient les filles à rentrer chez elles si elles n’étaient pas voilées.

La situation était partout la même ?

Houzan Mahmood : Dans le nord de l’Irak la situation était un peu différente, car la région était dirigée depuis 1991 par deux partis l’UPK (Union patriotique du Kurdistan) et le PDK (Parti démocratique du Kurdistan) - et ce dernier s’appuie surtout sur un système tribal. Ces organisations ne reconnaissent pas les droits des femmes. Des organisations de femmes se sont créées dans les années 90 mais elles ont été attaquées par l’UPK et leurs sièges ont été fermés au bout de plusieurs années de conflits. Ils ont fini par réussir à interdire l’Organisation indépendance des femmes, une organisation socialiste, progressiste et laïque qui était puissante. L’UPK et le PDK ont toujours empêché les femmes de tenir des réunions, d’organiser des manifestations. Dans le nord de l’Irak ce mouvement de femmes a lutté pour les droits des femmes et a eu une influence importante ; il a réussi à faire progresser la conscience des femmes. mais en l’an 2000 les partis kurdes ont réussi à faire taire ce mouvement. Dans le reste de l’Irak, un mouvement indépendant pour la laïcité, pour l’égalité n’a commencé qu’après juin 2003.

Avez-vous mené une campagne avec d’autres organisations ?

Houzan Mahmood : Nous avons lancé une campagne internationale contre la charia qui allait être imposée par le Conseil provisoire de gouvernement. Notre organisation était à la tête de ce mouvement et nous avons mené une lutte commune avec d’autres organisations de femmes pour être plus efficaces. Le Conseil provisoire de gouvernement a dû reculer devant l’opposition à l’intérieur comme à l’extérieur du pays, mais nous n’arrêterons pas notre combat pour une Constitution laïque.

Quelle est l’importance de la religion en Irak actuellement ?

Houzan Mahmood : Douze années de sanctions et de guerres ont imposé une telle pauvreté, de telles destructions que la religion a pris un certain essor. Nous savons bien que la pauvreté renforce la religion, et que les gens y ont recours pour survivre émotionnellement . C’est ce qui s’est passé au cours des dernières treize années. L’islam a repris de la force et les idées hostiles aux femmes se sont renforcées. Les gens les pauvres, les plus défavorisés qui n’ont pas reçu une éducation, sont les plus croyants et les « crimes d’honneur » continuent et sont très répandus dans certaines couches sociales. En Irak, depuis juin 2003, certains nous disent qu’il ne faut pas aller trop loin, qu’il ne faut ne pas trop parler de la liberté et des droits de la femme. Mais déjà aujourd’hui des femmes sont tuées parce qu’elles veulent que l’on respecte leurs droits, parce qu’elles désirent vivre comme elles l’entendent. Si une femme veut rester vierge jusqu’au mariage, ou même toute sa vie, c’est son droit le plus strict, mais aucune loi ne peut l’imposer à toute la population féminine d’un pays.

Qu’en est-il de la contraception et de l’avortement en Irak ?

HouzanMahmood : Tout d’abord il faut savoir que la situation sanitaire est très mauvaise depuis des années. Et en ce moment il n’existe aucun Etat, aucun organisme gouvernemental chargé de la santé, aucune clinique spécialisée pour les femmes. Si une femme est violée, elle ne peut se rendre à l’hôpital qu’à certaines heures. En dehors de ces horaires limités, on la renvoie tout simplement chez elle sans même l’examiner. Il n’existe pas de Planning familial, ni d’associations de soutien aux femmes battues ou violées. De nombreuses femmes cachent qu’elles ont été violées car elles ont peur d’être tuées par leur propre famille ou d’être mises au ban de la société. Il n’existe aucun service pour la contraception ni l’avortement. C’est pourquoi nous voulons créer des cliniques de femmes dans toutes les villes, dans tous les quartiers, qui aident les femmes et ne les jugent pas, où les femmes puissent parler de leurs problèmes en toute liberté. Avant la guerre, sous Saddam, il n’y avait aucune information sur la contraception. Si vous alliez chez un médecin, ou dans un hôpital, on pouvait vous donner quelques informations de base sur la grossesse et la contraception, mais ces informations étaient réservées uniquement aux femmes mariées. Évidemment, si vous aviez les moyens, vous pouviez vous payer un avortement clandestin ou acheter des pilules sur le marché noir, mais cela ne concernait qu’une minorité de privilégiées. De ce point de vue, la situation aujourd’hui est encore pire que sous Saddam.

Les femmes doivent faire attention à ne pas être tuées par leurs proches. Celles qui ont des relations sexuelles avant le mariage le font de façon clandestine et vivent dans la peur permanente de tomber enceintes et dans la crainte que leur famille découvre qu’elles ne sont plus vierges. Les valeurs et la mentalité islamiques imprègnent encore la société : une jeune fille doit rester pure, vierge, avant le mariage. Certaines familles sont plus progressistes ou tolérantes que d’autres avec leurs filles. Dans les milieux de gauche, le problème est généralement moins aigu.

L’Irak était-il une société qui pratiquait le double langage en matière de morale sexuelle ?

Houzan Mahmood : Beaucoup de gens pensaient que cette situation était néfaste. Il y avait un nombre non négligeable de familles éclairées ou progressistes. Je ne peux pas donner de chiffres ni de pourcentage. Mais ceux qui étaient religieux suivaient ces normes réactionnaires. Comme partout les jeunes, et surtout les plus éduqués, ceux qui allaient à l’Université, n’étaient pas favorables à ce genre de règles. Ils flirtaient et avaient des relations, mais tout se faisait en cachette.

Les femmes doivent-elles s’habiller d’une certaine façon pour sortir dans la rue ?

Houzan Mahmood : La violence a été imposée par les groupes et les milices islamistes, financés par l’Iran et l’Arabie saoudite. Ils ont le pouvoir de blesser ou tuer celles qui ne leur obéissent pas. Les femmes qui ne portent pas le voile ont toutes des robes longues, des pantalons et des vêtements à manches longues. Nombre de celles qui portent le voile pour faire leurs courses ou travailler espèrent que cette obligation ne va pas durer. La plupart des femmes ont été licenciées des ministères et de l’administration qui n’existent plus aujourd’hui. En général, elles sont au chômage, car le chômage touche toujours plus les femmes que les hommes dans toutes les sociétés. Quelques-unes travaillent encore dans des usines, des hôpitaux ou des écoles ; elles ont peur de sortir, d’être attaquées dans la rue ou kidnappées. En effet, il existe un marché des femmes enlevées avec des tarifs fixés : 200 dollars pour une vierge, 100 dollars pour une non-vierge. Elles sont ensuite vendues aux pays avoisinants.

Les islamistes tentent-ils d’imposer des écoles non mixtes ?

Houzan Mahmood : Pas pour le moment. Les partis politiques essaient d’infiltrer toutes les institutions, donc aussi les écoles, et d’influencer leur fonctionnement. Ils n’imposent pas des écoles séparées, mais ils entrent dans les établissements et menacent les enseignantes, si celles-ci ne sont pas voilées. Il existe un tel chaos en ce moment que nous n’avons ni État ni société civile, nous vivons au jour le jour. Heureusement que des organisations progressistes se développent en ce moment. Nous avons l’espoir que naisse au moins une société respectant les droits des femmes, les droits des travailleurs, les droits de l’homme, une société libérée de l’occupation américaine, nous espérons que l’Irak ne tombera pas dans la barbarie. Les Irakiens sont généralement anti-américains. Pour le moment les islamistes sont très divisés, ce qui est une bonne chose pour nous, car ils sont moins efficaces ; ils se combattent parfois entre eux pour avoir le pouvoir, mais chaque groupe essaie d’imposer la terreur contre les femmes et les secteurs progressistes de la société.

Certains spécialistes pensent que l’Irak pourrait être divisé en trois semi-États : un kurde, un chiite et un sunnite, sans que cela gêne le moins du monde les Américains. Qu’en penses-tu ?

Houzan Mahmood : Les divisions ethniques, tribales et religieuses font le jeu des Américains et correspondent au type de solution qu’ils souhaitent. Ils voudraient imposer une « démocratie » : fondée sur les identités ethniques et religieuses afin de diviser la société irakienne. Avant même d’envahir l’Irak ils avaient préparé ce modèle pour l’après-Saddam, ils ont réuni ou créé de toutes pièces des partis politiques ethniques ou religieux. Ils ont divisé la société selon ces critères. Pourtant, dans notre organisation nous avons des militants de toutes origines (chiites, sunnites, kurdes, juifs, etc.), mais nous les considérons tous comme des êtres humains égaux.

Mais ces divisions ethniques et religieuses ne sévissent-elles pas depuis des décennies, au Proche et au Moyen-Orient ? Le statut du dhimmi, la supériorité supposée des Arabes sur les autres peuples de la région n’existent-ils pas depuis des siècles ?

Houzan Mahmood : Le Baas imposait la domination des Arabes et défendait une conception hiérarchisée des ethnies. Aujourd’hui aucun État n’a la force d’ imposer une telle hiérarchie et un tel système en Irak. Ceux qui défendent ce type de positions à l’heure actuelle vivaient dans l’émigration et ont été mis au pouvoir par les États-Unis. La CIA a organisé avant la guerre d’Irak une conférence à Londres où elle a organisé les exilés suivant leur origine ethnique, tribale ou religieuse. Nous avons dénoncé cette conférence lorsqu’elle s’est tenue en Grande-Bretagne, et nous avons manifesté à plusieurs reprises contre ce congrès. Le Conseil provisoire de gouvernement a été institué suivant cette politique de division ethnique et religieuse. Tout a commencé avec cette conférence. Même les monarchistes ont leurs représentants, alors qu’ils ne représentent qu’une centaine de personnes.

En dehors des émigrés, tu penses vraiment que la société irakienne est libérée de toute division ethnique ou religieuse ?

Houzan Mahmood : L’Irak a aujourd’hu perdu toute structure économique, sociale et religieuse. C’est une société parcourue par toutes sortes de tendances. Certes il existe des gens religieux, des chiites, des sunnites, des ethnies, et des tribus en Irak. Mais depuis la dernière guerre, la situation est encore pire, parce que les Américains ont choisi des représentants ethniques et religieux qui veulent modeler la société en la réorganisant selon des divisions religieuses et ethniques. Les forces britanniques ont tout fait pour sélectionner des dirigeants religieux ou ethniques et leur donner un rôle important. De cette façon, ils pensent pouvoir modeler la mentalité du peuple, et diviser la société (ou renforcer sa division) en ethnies et religions rivales.

Quel est le poids de l’histoire passée sur le présent ? Le Baas avait-il supprimé toutes les divisions ethniques et religieuses ?

Houzan Mahmood : Le Baas a opprimé les Kurdes et assassiné en masse les chiites, et la dictature, qui s’appuyait sur une minorité ethnique, a donc avivé les antagonismes ethniques et religieux. Au Kurdistan, les partis kurdes n’ont pas changé les lois baasistes depuis douze ans. Des « crimes d’honneur » continuent à se produire et leurs auteurs restent impunis. Les partis nationalistes kurdes ont interdit les organisations progressistes de femmes et maintenu le statu quo. Sous Saddam, il y avait la dictature d’un Parti unique, ce qui était catastrophique. Et aujourd’hui une autre catastrophe nous menace. Aujourd’hui, l’Irak risque de se morceler entre les ethnies et les religions, y compris les plus petites, les turkmènes, les assyriens, les chrétiens, que sais-je encore ?.

Faut-il que les troupes américaines s’en aillent immédiatement ? Et l’ONU peut-il jouer un rôle en Irak ?

Houzan Mahmood : Nous étions contre la guerre et nous avons participé à la campagne internationale contre la guerre. Nous sommes opposés à l’occupation américano-britannique et nous dénonçons tout ce que l’occupation a provoqué : l’essor de l’islam politique, le chaos social, la croissance de tous les groupes réactionnaires, etc..

Nous voulons bien sûr que toutes les forces armées étrangères s’en aillent. Les Irakiens doivent pouvoir décider du futur de leur pays en choisissant leurs représentants dans chaque quartier, dans chaque entreprise, chaque village, jusqu’à former une sorte d’État élu par le gouvernement. Nous étions en Irak au départ pour que l’ONU protège les citoyens. Puisqu’ils étaient là, il fallait qu’ils fassent au moins leur travail et prennent leurs responsabilités. Mais les représentants de l’ONU violaient les droits de l’homme, ils tiraient sur les ouvriers quand ils faisaient grève. Notre organisation se plaignait du manque de sécurité dont souffraient les femmes, mais ils ne répondaient pas à nos demandes de protection. Ils ne servaient à rien, ils étaient là pour protéger les intérêts des Américains, imposer leur programme. Nous avons une analyse de l’ONU que je ne développerai pas ici. Nous pensons qu’une force internationale pourrait, pendant une période limitée, faire respecter une sécurité minimale (garantir la liberté et la sécurité des femmes, protéger les administrations, etc.) en attendant que les citoyens irakiens puissent élire leurs propres représentants.

Dans la plupart des conflits internationaux les groupes d’extrême gauche se divisent sur cette question : certains soutiennent une intervention de l’ONU, d’autres privilégient ce qu’ils appellent l’indépendance nationale, quelles qu’en soient les conséquences pour les populations locales.

Houzan Mahmood : Ces groupes ont une façon totalement erronée de poser la question. En Grande-Bretagne, nous avons un problème avec les groupes d’extrême gauche qui soutiennent l’islam politique. Ils considèrent que les groupes fondamentalistes réactionnaires sont anti-impérialistes parce qu’ils tuent des soldats américains ou britanniques. Nous ne croyons pas en l’efficacité des attentats suicides, nous ne croyons pas dans le terrorisme car celui-ci ne fait qu’augmenter le chaos ; nous croyons dans les mouvements de masse, nous pensons qu’il faut que les masses s’organisent elles-mêmes, qu’elles prennent leurs propres décisions. À Bagdad, dans certains quartiers, nous avons organisé des conseils locaux qui sont responsables de la sécurité et dans ces zones un embryon d’ordre règne. Nous pensons que les Irakiens doivent organiser leurs comités ouvriers, leurs syndicats, leurs organisations de femmes, etc. Les Irakiens doivent élire leurs propres représentants.

Certains militants antiguerre ou d’extrême gauche se réjouissent chaque fois que meurt un soldat américain et certains ont même souhaité la victoire de Saddam. Qu’en penses-tu ?

Houzan Mahmood : Ce type de gens sont focalisés sur la prétendue « défaite de l’impérialisme », mais ils ne se rendent pas compte que si les islamistes gagnaient en Irak, leur régime serait aussi catastrophique que celui des Américains. Nous pensons que l’islamisme est aussi néfaste que l’impérialisme. S’ils viennent au pouvoir, ils tueront tous les communistes, les socialistes, les démocrates. L’impérialisme et l’islam politique sont deux pôles aussi réactionnaires l’un que l’autre. Notre tâche est de nous allier avec les forces socialistes et progressistes en Irak, de leur apporter notre soutien matériel et politique, pas de tenir la comptabilité des morts de l’armée américaine. Les soldats américains n’ont aucune responsabilité dans la décision de la guerre. Beaucoup sont des victimes, une partie d’entre eux viennent d’Amérique centrale et s’engager leur permet d’acquérir la nationalité américaine. Je ne me réjouis ni de la mort des soldats américains ni de la mort des civils irakiens. Notre résistance est fondée sur la résistance des masses, des femmes, des ouvriers, pas sur le terrorisme. Nous croyons en la liberté et en l’égalité pas au terrorisme.