Sami Haddad, le ministre de l’Economie, a déclaré lundi soir, sur les ondes de CNN, que son armée combattait les « terroristes internationaux » du Fatah al-Islam, un groupe militant sunnite, et qu’il n’y avait aucune friction entre les communautés sunnite et les chiites du Liban.
Mais alors que l’armée continue de tirer à l’artillerie lourde sur le camp de Nahr al-Bared, un bidonville d’un kilomètre carré qui abrite plus de 40 000 réfugiés palestiniens sunnites, certains analystes s’inquiètent. S’ils ne prévoient pas de conflit au sein de la population libanaise, ils craignent en revanche que le nombre croissant de victimes ne déclenche un soulèvement général dans les 12 camps de réfugiés palestiniens du Liban et au-delà.
« Si ça continue, si l’armée persiste à bombarder les zones civiles du camp, on pourrait assister à un effet domino dans tous les camps de réfugiés du Liban et nous pourrions déclencher une guerre entre les Palestiniens et les Libanais », a expliqué à IRIN Amal Saad-Ghorayeb, chercheur invité au Carnegie Middle East Centre de Beyrouth.
« Au début, les civils palestiniens soutenaient les opérations lancées dans le camp par l’armée libanaise pour lutter contre ce groupe étranger. Mais le Fatah al-Islam a changé de discours : il déclare aujourd’hui lutter pour protéger les Palestiniens contre l’armée libanaise. Le gouvernement a ouvert la boîte de Pandore : une série de problèmes interdépendants en sont sortis qu’il ne sera pas en mesure de contenir », a ajouté M. Saad-Ghorayeb.
Conformément à un accord passé entre pays arabes il y a plusieurs décennies, l’armée libanaise n’est pas autorisée à pénétrer dans les camps palestiniens, laissant aux Palestiniens eux-mêmes le soin d’assurer la sécurité. Jusqu’à présent, dans sa campagne contre le Fatah al-Islam à Nahr al-Bared, l’armée, équipée en artillerie et en tanks, s’est contentée de mener des opérations à la lisière du camp, tirant sur les positions prétendument tenues par le Fatah al-Islam dans l’enceinte du camp.
Le député Ammar Houry, membre de la coalition pro-occidentale au pouvoir et proche conseiller de Saad Hariri, le chef de la majorité parlementaire, a confié à IRIN qu’il pensait que l’armée réussirait sa mission.
« Il n’y a pas de problème entre les Palestiniens et les Libanais »
« Le gouvernement a pris la décision d’en finir avec le Fatah al-Islam et c’est ce que nous allons faire », a-t-il poursuivi. « Il n’y aucun problème entre les Palestiniens et les Libanais ».
Un porte-parole du Fatah al-Islam – groupe né d’une scission avec le Fatah al-Intifada, une faction basée à Damas – a déclaré au cours d’un entretien accordé à IRIN à Nahr al-Bared avant le début des hostilités, que le groupe recrutait ses membres au sein de la jeunesse pauvre et révoltée du camp, mais qu’il entretenait également des liens avec d’autres radicaux basés hors du camp.
Ce mardi, dans une déclaration aux organes de presse, le groupe a revendiqué les deux attentats à la bombe qui ont eu lieu dans les quartiers chrétien et sunnite de Beyrouth tard dans la soirée, ces deux derniers jours. Il a par ailleurs averti que d’autres attaques allaient avoir lieu dans la capitale.
« Tandis que les affrontements avec l’armée libanaise autour du camp de Nahr al-Bared font rage, un groupe de moudjahidines [combattants de la guerre sainte] héroïques a posé et activé deux charges explosives au cœur de Beyrouth », pouvait-on lire dans une déclaration envoyée aux agences de presse étrangères basées à Beyrouth.
« Nous avons prévenu l’armée libanaise, et nous avons désormais tenu notre promesse », disait la déclaration.
« Nous ne sommes liés qu’à Dieu tout-puissant »
La déclaration démentait les liens qu’entretiendrait le Fatah al-Islam avec d’autres groupes, tels qu’Al-Qaeda, ou avec des pays, comme la Syrie ; il y était dit que le groupe n’était « lié qu’à Dieu tout-puissant ».
Les autorités libanaises ont accusé la Syrie d’avoir manipulé le Fatah al-Islam pour tenter de déstabiliser le Liban, tandis que les dirigeants du pays, divisés entre eux, se querellent au sujet de la création d’un tribunal international destiné à traduire en justice les personnes soupçonnées d’être responsables de l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafik Hariri, commis en 2005.
L’enquête des Nations unies a déjà établi l’implication, dans ce meurtre, de plusieurs hauts responsables de la Sécurité syrienne et de leurs alliés libanais.
Damas nie toute responsabilité dans l’assassinat de M. Hariri et tout lien avec le Fatah al-Islam.
Shakir al-Abssi, le leader du Fatah al-Islam, recherché par la Jordanie et les Etats-Unis pour terrorisme, a été condamné par les tribunaux syriens pour actes de terrorisme à la fin des années 1990 ; il a néanmoins été remis en liberté après avoir passé à peine trois années en prison pour un crime normalement passible de la peine capitale ou d’une réclusion criminelle à perpétuité. M. al-Abssi a traversé la frontière syrienne pour se rendre dans le nord du Liban, et s’installer à Nahr al-Bared, hors de portée des autorités libanaises.
Plusieurs membres du Fatah al-Islam ont été arrêtés en tant que suspects dans des affaires de braquages de banque. Pour Hilal Khashan, professeur de sciences politiques à l’Université américaine de Beyrouth, cela pourrait signifier que le groupe n’est pas forcément financé par une tierce partie, bien qu’il soit probable que la Syrie ait aidé les militants à s’installer dans le camp.
Une solution probable à la crise
A en croire M. Khashan, la crise pourrait être résolue en parvenant à un accord confiant le contrôle du camp aux principales factions palestiniennes, en coordination avec l’Etat libanais, comme c’est déjà le cas au camp d’Ain al-Hilweh, près de la ville de Sidon, dans le sud. Lundi, Fouad Siniora, le Premier ministre libanais, a rencontré Abbas Zaki, membre de l’influent Comité central du Fatah, pour débattre de la question.
« Ainsi, le Fatah al-Islam ne quittera pas le pays, mais il sera sous contrôle et [ses actions] se limiteront au camp », a expliqué M. Khashan.
Dans un article publié cette année dans le magazine américain The New Yorker, Seymour Hersh, un journaliste d’investigation respecté a accusé le gouvernement libanais sunnite de financer la montée de groupes militants sunnites au Nord-Liban pour dresser un rempart contre le Hezbollah, un groupe chiite – une hypothèse démentie par les autorités.
Pour les Libanais eux-mêmes, l’insécurité croissante qui règne dans leur pays est le symptôme de ce qu’ils considèrent comme un malaise qui touche plus généralement la politique libanaise.
« Tout ce que je veux, c’est vivre en sécurité, qu’importe qui gouverne ce pays », a déclaré Naji Kamel, propriétaire d’un institut de beauté qui a brûlé à la suite de l’explosion de dimanche à Achrafieh, le quartier chrétien de Beyrouth ; l’attentat avait tué une femme et blessé une douzaine de passants.
« Pourquoi n’unissent-ils pas leurs efforts en matière de sécurité ? Pourquoi est-ce que les forces de sécurité ne collaborent-elles pas avec l’armée, au lieu de s’opposer à elle ? Je vais vous le dire : parce qu’il n’y a tout simplement aucune entente politique dans ce pays. Qu’est-ce qu’ils attendent ? Que le pays brûle de nouveau ? »