L’expérience du budget participatif
Pendant 15 ans, les citoyens, les élus et les fonctionnaires de Porto Alegre ont tenté de mettre en place un système de prise de décision ouvert, participatif. Les investissements publics étaient décidés par les citoyens au contraire des pratiques précédentes marquées par le secret, le clientélisme et la corruption. On avait l’impression que ces citoyens construisaient un pouvoir public réellement dynamique et indépendant du gouvernement. Les racines populaires du budget participatif donnaient aux citoyens une influence réelle sur le gouvernement et constituaient une innovation dans la pratique démocratique.C’est justement ce processus de décision qui est l’enjeu des conflits actuels et qui oppose des conceptions opposées du budget participatif et de la gouvernance. Les habitants de Porto Alegre (1,3 millions) sont concernés, mais aussi, tous ceux qui observaient l’expérience en cours en Amérique latine et ailleurs dans le monde. Présentement, plus de 250 municipalités d’Amérique latine se sont engagées dans le processus du budget participatif. En Europe, de multiples expériences sont en cours, notamment à Séville (Espagne). Un réseau international a été mis en place avec l’appui de l’Union européenne, « Urb-al », et regroupe 374 villes européennes et latino-américaines.
Questions d’interprétation
Le budget participatif a été applaudi par la Banque mondiale, par le PNUD, par Habita. Pour la Banque mondiale, il s’agit d’une bonne technique de gouvernance qui exclut toute connotation politique, encore plus le concept de pouvoir populaire.Depuis, des gouvernements conservateurs dans certaines villes latino-américaines mettent en place ce qu’ils appellent des budgets participatifs qui agissent en fin de compte pour valider les politiques de privatisation. De l’autre côté, la leçon de Porto Alegre est également appréhendée par la gauche. C’est ainsi qu’on assiste à son expérimentation dans plusieurs cités du Venezuela actuellement. Ce débat entre interprétations contradictoires est en cours à Porto Alegre.Le présent gouvernement de droite élu en 2004 a lancé un nouveau programme, gobernaça solidaria local (gouvernance locale solidaire), applaudi par la Banque mondiale, mais dénoncé par les mouvements sociaux et les ONG locales. Le maire actuel, José Fogaça, s’était engagé à maintenir le budget participatif, probablement à cause de sa popularité, tout en promettant de « changer les formes ».
La défaite du PT
Si le PT a été défait en 2004, c’était davantage le reflet d’une certaine usure du pouvoir plutôt que le rejet de la nouvelle gouvernance qui avait été inaugurée 15 ans plus tôt. Encore aujourd’hui d’ailleurs, le PT avec 47% du vote demeure de loin le parti le plus populaire, mais la droite a mis de côté ses différences pour constituer une grande coalition hétéroclite dont le seul ciment est le rejet du PT. La droite a également capitalisé sur le désir de certaines couches moyennes de renverser les priorités de l’administration précédente qui privilégiaient les quartiers populaires.
Le dévoiement d’une bonne idée
Fogaça avant d’être maire était le consultant de la Fédération des industries de l’état de Rio Grande do Sul (dont Porto Alegre est la capitale). Il était lié également au conglomérat Grupo RBS, qui contrôle la télévision et la presse dans la région. Son principal adjoint, César Busatto, continue de parler de participation populaire, mais le noyau dur des groupes qui avaient mis en place le budget participatif estiment que les mots sont vidés de leur substance. Selon l’ONG locale CIDADE, « on maintient le formalisme du budget participatif, mais on en change le contenu ».Le conseil du budget participatif, qui était l’organe de coordination du processus, ne reçoit plus l’information de la municipalité. Les élus ne participent plus aux assemblées. L’imputabilité de l’administration est en déclin parce que les dépenses et les projets sont gardés secrets. Les conseillers municipaux et les cadres de la ville retournent aux bonnes vielles pratiques du clientélisme. En fin de compte selon Felisberto Luisi, un militant des associations de quartiers, « le processus est dévoyé. Le plan d’investissements a été formulé par la municipalité puis présenté au conseil du budget participatif. Les réunions sont espacées et les citoyens n’ont pas vraiment la possibilité de s’exprimer. L’administration actuelle explique qu’elle veut intégrer dans le processus ceux qui avaient été exclus dans le passé, les entreprises privées, les fondations, les universités, les églises et les agences de l’état et du gouvernement fédéral. Les organisations populaires qui étaient au centre du processus deviennent un acteur parmi d’autres. « C’est un rejet du principe de souveraineté populaire qui avait caractérisé le budget participatif à Porto Alegre », selon Sergio Bayerle de CIDADE.
La gauche se cherche
Le nouveau maire parallèlement impose des mesures d’austérité.Des services publics sont « corporatisés », comme le logement social, l’eau et les égouts. De nouvelles mesures pour alléger les taxes aux entreprises ont été mises en place. Devant tout cela, les assemblées du budget participatif sont très houleuses. Les secteurs populaires confrontent ouvertement le maire. Ils estiment que le but de l’administration actuelle est de déverser les responsabilités sociales vers les « partenariats public-privé ». Les mouvements sociaux sont toutefois hésitants. Certains estiment qu’il faut travailler avec l’administration actuelle pour sauver l’essentiel. Des anciens leaders du PT et des mouvements sociaux se sont retrouvés embauchés par le gouvernement de droite. Le PT dans son ensemble est dans une posture difficile, critiqué pour les problèmes de corruption révélés l’an passé et à la recherche d’un nouveau souffle.