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PALESTINE

Les Israéliens font la loi. L’autorité palestinienne est une grande illusion

Entretien avec Gérard Perreau-Bezouille, maire-adjoint de Nanterre, en visite en Palestine

Jeudi 24 mai 2007

Quel sentiment domine après votre visite et les entretiens que vous avez eus avec une grande diversité d’interlocuteurs ?

Le sentiment général, à partir des échanges avec les maires, est que la situation actuelle en Palestine est grave et se dégrade très rapidement. La Palestine traverse une crise politique et humanitaire à la fois. Les maires font face à de véritables urgences sur le terrain, du point de vue social, humanitaire, politique et sécuritaire. Leur souci est celui de la survie au quotidien.

A la demande « quel avenir ? », ils se sont montrés parfois résignés, impuissants, parfois en attente, parfois dans une attitude plus réactive et en colère. Ils ont tous souligné que la responsabilité qui leur a été confiée les amène à gérer, au plus pressé, à très court terme, sans aucune vision à long terme. Ils essayent d’apporter des réponses concrètes tout en attendant qu’une solution politique intervienne pour calmer les tensions internes et ouvrir la voie à de nouvelles négociations avec Israël permettant peut être un autre avenir.

En attendant, l’occupation israélienne se poursuit. La stratégie de colonisation et de construction du mur ou d’autres clôtures de différents types, ainsi que la séparation des voies de circulations entre israéliens et palestiniens, correspond à une réelle incitation, envers les populations palestiniennes, à partir lentement. Les colonies continuent de s’agrandir. La confiscation et l’occupation de nouveaux terrains pour implanter les colons israéliens se fait lentement mais facilement, les palestiniens ayant des difficultés à prouver qu’ils sont propriétaires des terres. Cette occupation se fait généralement d’abord par l’armée, ensuite par la construction.

Quant au contexte politique palestinien, l’image négative véhiculée par les médias dans le monde, ne traduit pas la perception de la population vis à vis du Hamas et de la volonté de ce parti de la soutenir par un travail de proximité.

« C’est la grande envie de changement qui a fait gagner le parti Hamas, mais dans l’ensemble des votants de ce parti, seulement 30 % sont religieux, alors que 70 % est laïc. Les dernières élections ont témoigné de pratiques démocratiques : sous les yeux des organisations internationales, le choix que les palestiniens ont fait de leurs représentants doit être donc respecté », nous dit le Maire de Bethlehem, Victor Batarsa. La décision de l’Union européenne de suspendre les aides est reçue comme une punition collective des palestiniens qui se sont pourtant exprimés démocratiquement.
« Les Israéliens font la loi, ils agissent en toute liberté. Un des plus grands problèmes est celui des frontières. Israël est le seul pays qui n’a pas de frontières. L’autorité palestinienne n’a aucune autorité, que ce soit a niveau des ressources, du territoire ou des frontières. L’autorité palestinienne est une grande illusion ! », témoigne Ahmad Rabi, assistant du directeur de l’APLA - Association des collectivités locales palestiniennes.

Comment le mur est-il vécu ?

Le mur construit actuellement dans les territoires palestiniens est officiellement décrit par le gouvernement israélien comme une mesure de sécurité contre le terrorisme (protection des colons), en réalité c’est surtout un mur politique et économique destiné à annexer 10% des terres palestiniennes situées entre la Ligne Verte et les zones où vivent environ 76% des colons israéliens.

Malgré quelques décisions de la Cour Suprême de Justice israélienne sur le tracé du mur, et surtout malgré l’avis rendu par la Cour Internationale de Justice de La Haye qui condamne clairement cette construction, l’itinéraire de la barrière s’étale bien au-delà de la Ligne Verte, permettant non seulement l’expansion des colonies mais aussi l’annexion de fait et le morcellement des territoires palestiniens.
A Jérusalem, il modifie l’urbanité de la ville pour les intérêts de l’Etat d’ Israël.

Si on porte un regard d’ensemble sur Jérusalem et sa périphérie, ce regard se heurte inévitablement, de toute part, sur un mur haut d’une dizaine de mètres, qui pour inclure les nouvelles colonies israéliennes et leurs zones de développement dans la partie israélienne, entoure presque complètement toute la partie orientale.

La barrière prend ainsi une dimension forte dans l’urbain de Jérusalem, elle suit dans son parcours une logique de division, de ségrégation, de marginalisation. Barrière physique à la mobilité et à l’accès à la ville, barrière administrative qui détermine l’accès et l’usage de la ville selon l’appartenance à des catégories bien précises (nationalité, résidence, travail) elle traduit dans le ’construit’ une stratégie politique visant à la réalisation d’une seule métropole israélienne (face à la potentialité d’une métropole des trois religions).

Les conséquences du mur pour la population palestinienne sont très graves : augmentation du chômage, vague d’immigration interne, fermetures d’activités, augmentation de la densité d’habitants, les villes étant dans l’impossibilité de grandir naturellement. Les problèmes auxquels les responsables locaux doivent faire face sont donc énormes, notamment dans les domaines de la fourniture des services de base : électricité, eau, déchets, instruction.

A Bethléem, ville bientôt ’emprisonnée’, le maire Victor Batarsa nous explique que 30 % des terres agricoles palestiniennes ont été confisquées avec la construction du mur qui l’encercle presque complètement. Cet enclavement a de graves conséquences dans la vie quotidienne des habitants, dans leurs déplacements, dans l’accès à des services de proximité et aux soins (pour accéder aux hôpitaux et centres de santé, les habitants des enclaves doivent effectuer de longs détours et franchir des barrières sous contrôle israélien).

C’est le cas aussi à Eizariha, ville de la banlieue est de Jérusalem, où le maire Issam Faroun nous parle du projet de la municipalité de construire un hôpital avec des fonds étrangers, car les habitants ne peuvent plus accéder à celui de Jérusalem sinon avec de grandes difficultés.
Le nombre de check points augmente (plus de 500 actuellement). Ils deviennent de plus en plus de véritables points de passages obligatoires qui découpent la Palestine en morceaux, du nord au sud, la privant ainsi de continuité territoriale. L’objectif est d’habituer les palestiniens à se cantonner et à se déplacer uniquement dans une zone précise et éviter la libre circulation d’une partie à une autre, même dans une zon e à population palestinienne ! C’est le cas par exemple à Al Ram, banlieue nord de Jérusalem, séparée de Ramallah au Nord et de Jérusalem au Sud.

Pour les Palestiniens, les déplacements entre les différentes régions de Cisjordanie font l’objet d’autorisations préalables, soumises aux autorités israéliennes. Parfois l’accès même au lieu de travail est rendu difficile voir impossible par des heures d’attente ; règles et normes changent tout le temps.

La situation économique doit s’en ressentir ?

Elle se dégrade de plus en plus. Depuis un an, après les dernières élections, 80 000 employés du gouvernement palestinien ne sont pas payés, le gouvernement israélien ayant suspendu la rétrocession des taxes perçues pour le compte de l’Autorité palestinienne et l’Union européenne ayant bloqué toute assistance financière. Les collectivités locales ne disposent plus de ressources suffisantes pour assurer l’ensemble des services à la population. D’un coté pas de ressources provenant des impôts locaux et de l’autre l’obligation de payer les services de base fournis par les compagnies israéliennes (électricité, eau,...)

Un flux migratoire des villages les plus pauvres amène dans les villes une nouvelle population qui est en demande de services et d’équipements mais qui ne peut pas contribuer à leur financement. A Al Ram de nombreuses organisations internationales qui y tenaient leurs sièges, sont parties suite aux difficultés de déplacement causées par le mur de séparation.

Dans ce contexte, il reste l’aide de bailleurs de fonds internationaux ou le recours aux emprunts de banques locales avec des intérêts très hauts.

Le tourisme (Lieux Saints), qui était une des principales sources de richesse, est pratiquement réduite a néant, c’est le cas de Bethléem, Beit Sahour, Eizariha par exemple qui, presque complètement encerclées par le mur, ont vu leur activité touristique baisser à 15-20 % du normal (il n’y a plus qu’un tourisme de passage).
Notre rencontre avec le Maire de Al Ram, Sirhan Al-Salaimeh, et notre visite dans la ville nous ont permis de constater comment l’activité commerciale est pénalisée par le mur et par la conséquente difficulté des déplacements des personnes et des marchandises. Cette ville était pourtant le poumon commercial de Ramallah, lieu de transit entre de nord et le sud de la Cisjordanie.

Le taux de chômage est très fort (65 - 70 %) car le marché du travail est très dépendant de Jérusalem. Ne trouvant pas de travail, les jeunes qui ont des niveaux de qualification assez hauts et qui en ont les moyens, migrent à l’étranger en particulier vers les USA. C’est ce que nous explique Raji Arekat, adjoint au maire de Abu Dis, siège d’une des plus importantes universités palestiniennes. Au cours de notre entretien il nous fait part de son intérêt à établir des partenariats avec l’Université de Nanterre ou d’autres Universités françaises (bourses pour jeunes universitaires).

Le Ministère des Collectivités Locales palestiniennes a pris l’initiative de rassembler les villes autour de Jérusalem dans des « Conseils des Services Communs pour la Planification et le Développement » - Joint Service Council For Planning and Development.

Regroupant au total 28 villes et villages autour de Jérusalem ces conseils sont au nombre de 5. Ils sont présidés par un maire. La ville de Eizariha, que nous avons visité, fait partie du JSC de Jérusalem Sud (150 000 habitants) et son maire en est le Président.

Ces structures ont des compétences en matière de planification, de réalisation d’infrastructures (voirie, réseau d’eau, hôpitaux-centres de santé, écoles) et de réhabilitation, ainsi que de formation des ressources humaines. Elles essaient de fournir les services de base à l’ensemble des villes et villages groupés ; elles reçoivent des capitaux, fonds, donations provenant de l’étranger, seule source de financement pour de nouveaux projets. Pour les maires la réalisation de nouveaux projets et la construction de nouveaux bâtiments sont une façon de protéger le territoire de l’occupation israélienne.

Tous les maires rencontrés nous ont manifesté un accueil chaleureux et nous ont fait part de l’importance de garder les relations et les échanges avec leurs institutions, ainsi que de développer des projets au bénéfice de leurs populations. Ils accordent une grande importance au rôle de la France, à la coopération avec les villes françaises et à l’amitié franco palestinienne (visites de délégations françaises, jumelages, fonds de solidarité, Réseau de Coopération Décentralisée pour la Palestine...).
L’action du RCDP le confirme, notamment dans la mise en place d’un Fonds de solidarité (200 000 EUR collectés à ce jour ; la ville de Nanterre y participe) destiné aux villes et villages en extrême besoin et à ceux qui sont le plus isolés. En moyenne 5/6 villages par district, au total environ 60 villes/villages, ont pu être aidés par le biais de cette initiative.
Dans un contexte tel que nous l’avons vu, le besoin des villes palestiniennes d’être soutenues politiquement et financièrement par des projets de coopération est incontestable, et ceci dans tous les domaines. Ces contacts peuvent aussi aider la population à sortir de l’isolement dans lequel elle se trouve. La coopération décentralisée garde un potentiel et reste un ’levier’ politique et ’financier’ sur le terrain.

Que retenez-vous des discussions avec des progressistes et pacifistes israéliens ?

Nous avons rencontré Amnon Kapeliouk, journaliste, Adam Keller, militant de premier plan au sein de Gush Shalom (le bloc de la paix) et Michel Warshawski, universitaire et pacifiste. Ces acteurs de la paix et du dialogue, engagés dans le débat sur la question palestinienne et sur le conflit israélo-arabe, nous ont fait part d’un contexte global d’immobilité en ce moment en Israël. « Le sentiment général du peuple israélien est celui d’un fatalisme cynique. Il y a un éclatement des préoccupations, chacun est pris par ses problèmes internes (corruption, pourriture, mafia ...), le pays ne va nulle part. Le gouvernement américain ne veut pas faire pression sur le gouvernement israélien », témoigne Adam Keller. Pas de changements possibles à court terme, tant qu’il y aura l’actuel premier ministre Olmert. Une enquête pour des affaires personnelles de corruption étant actuellement en cours, beaucoup dépendra des futurs événements politiques à son issue.
Un groupement d’urbanistes, architectes, sociologues, juristes, appelé BIMKOM (planificateurs pour des droits de planifier), dont le siège est à Jérusalem, défie la politique du gouvernement sur les territoires, sur l’expansion des colonies, sur la route de la barrière de sécurité. Cette organisation professionnelle, crée en 1999, a comme objectif de renforcer la liaison entre droits humains et civiques et planification spatiale, de promouvoir des modèles ’alternatifs’ de planification qui tiennent compte des besoins des différentes communautés et minorités, notamment celles affectés par des disparités sociales et économiques. BIMKOM travaille aux changements de pratiques, pour une meilleure information et participation des habitants dans les processus de planification, pour le droit de tous à planifier la ville.

Entretien réalisé par CIDEFE international