À l’époque, le support fourni au régime des talibans par une partie de l’armée et des services secrets pakistanais ne constituait un mystère pour personne. Dès le début des années 90, le Pakistan s’était d’ailleurs empressé de reconnaître officiellement le régime taliban. Cet appui se poursuivrait plus ou moins discrètement aujourd’hui.
« Tant que le Pakistan ne cessera pas de soutenir les talibans, les troupes étrangères continueront à couper les branches de l’arbre, plutôt que de s’attaquer aux racines », commente Ihsanullah Dileri, qui travaille au sein des communautés rurales des provinces de Farah, Ghazni, Kaboul et Logar. Comme à peu près tout le monde, il ne sait plus trop ce que les troupes étrangères devraient faire...
En fait, comme tous les Afghans, Ihsanullah se pose la question. Est-ce que les troupes étrangères doivent quitter le pays ? Après mûre réflexion, il estime qu’elles ne devraient pas partir tout de suite. Pour lui, les troupes étrangères servent d’abord à « occuper » les talibans, fournissant ainsi à la population afghane un espace pour travailler et pour vivre.
« Si seulement je pouvais mettre des mots sur la cruauté et les pratiques inhumaines des talibans lorsqu’ils étaient au pouvoir ! explique-t-il. Si les soldats étrangers s’en vont, le régime politique actuel est condamné, parce qu’il n’existe pas de structure interne assez forte pour les empêcher de revenir au pouvoir. »
Mais cela ne signifie pas qu’Ihsanullah entretienne beaucoup d’illusions sur les discours des occidentaux. Par exemple, il se demande comment ils peuvent prétendre qu’ils assurent le développement du pays alors que la plus grande partie de l’aide étrangère est siphonnée par les opérations militaires. Difficile à croire, mais on estime qu’à peine 13,5 % de l’aide étrangère est consacrée à des projets de développement !
Ce genre d’absurdité, Darmal Mukamil, qui travaille comme directeur de contrats avec les Nations Unies peut vous en parler longuement. « Nous avons obtenu le deuxième contrat en importance pour construire une route, raconte-t-il. Une affaire de 400 millions de dollars. Mais ne vous y trompez pas. La route va servir aux mouvements des troupes le long de la frontière avec le Pakistan. »
Pour sa part, un homme âgé du village de Paghman, dans le district de Kaboul, ne cache pas sa frustration devant l’incapacité du gouvernement et de la communauté internationale à donner du travail aux jeunes. « Les jeunes sans emploi risquent d’être attirés par les talibans, à cause du salaire, » affirme-t-il.
À Kaboul, la rareté des nouvelles constructions ou des bâtiments récemment rénovés laisse songeur. Depuis 2004, rien ne semble avoir changé dans la capitale afghane : les mêmes bâtiments décrépis ; les mêmes coupures de courant ; et toujours le même parcours du combattant sur la route qui relie la ville et l’aéroport.
Comme si cela n’était pas suffisant, il est fréquent que des soldats étrangers un peu trop nerveux tirent sur des civils. Cela contribue à propager le sentiment de colère parmi la population.
« Au moment des élections et de la formation du gouvernement, les espoirs étaient très grands, raconte Ihsan. Nous espérions tous qu’avec l’aide financière promise lors des accords de Bonn le pays pourrait rebâtir ses infrastructures et jeter les bases d’une démocratie. Mais aujourd’hui, les gens ne voient pas de véritables signes de développement. »
Toofan, un architecte qui travaille pour une compagnie de construction turque, raconte lui aussi le même genre d’histoires. « À la formation du gouvernement Karzaï, le niveau d’optimisme était très élevé. Notre compagnie avait beaucoup de boulot. » Maintenant, il raconte qu’il a perdu espoir. Il croit même que l’année 2007 verra la fin de leurs opérations. « Une fois de plus, nous marchons dans le noir, sans savoir dans quelle direction », conclut-il.
Les Afghans doivent composer avec les troupes étrangères et les talibans, les deux côtés d’une même médaille. Alors qu’importent les bonnes intentions des mouvements pacifistes du monde entier qui réclament le retrait des troupes étrangères de l’Afghanistan ? N’est-ce pas d’abord l’opinion du peuple afghan qui doit prévaloir ?
* L’auteur est chargé de projet Moyen-Orient et Asie au sein d’Alternatives. Il revient d’un séjour de plusieurs semaines en Afghanistan.