Assiout et Fayoum,
La route menant au sud du Saïd s’annonce juste après les pyramides. Et plus l’on s’enfonce vers cette région, plus l’écart entre le nord de l’Egypte et le sud devient clair. En commençant par le Fayoum, se succèdent les 9 gouvernorats oubliés et lésés à travers les siècles. Une visite dans deux de ces gouvernorats, le Fayoum, à 80 km du Caire, et Assiout, à 420 km, illustre la misère de cette région pauvre et sous-développée, qui abrite 27 % de la population du pays et qui ne reçoit que 13 % du total des investissements du pays.
Avant l’arrivée dans la ville même du Fayoum, se trouvent deux zones industrielles, Kom Ochim et Al-Fath. Il suffit de mentionner qu’elles sont privées d’eau potable et de gaz naturel, pour déterminer leur état de dénuement. Les usines ressemblent plutôt à des ateliers du secteur informel. Parmi les 249 usines qui ont reçu les permis d’établissement, seules 86 fonctionnent, ne regroupant chacune que 30 employés au maximum. Celles-ci risquent même de suspendre leurs activités vu les problèmes auxquels elles sont confrontées.
La liste des plaintes des investisseurs n’en finit pas. Absence de moyens de transport, d’eau potable, de drainage sanitaire. « Le Fayoum, le gouvernorat de Haute-Egypte le plus proche du Caire, du 6 Octobre et même d’Alexandrie, centre de l’industrie, est complètement négligé », déplore Fouad Mohamad Farès, PDG d’une usine d’agroalimentaire. Selon lui, les projets industriels dans ces deux zones seraient capables d’absorber le chômage. Or, jusqu’à maintenant, ils n’ont pas réussi à atteindre cet objectif. Car il n’y a pas d’infrastructures qui relient ces deux zones industrielles au centre-ville où se trouvent les employés. « Les seuls moyens de transport existants sont privés, et par conséquent coûteux », souligne Farès. Et de reprendre : « Le Fayoum a besoin d’un développement industriel spécial. Car, contrairement à tous les gouvernorats de la Haute-Egypte, les terrains agricoles sont très limités et perdent rapidement leur fertilité ».
Avis partagé par Mohamad Ismaïl Khaïrallah, propriétaire d’Al-Fayoum de textile qui assure que « les investisseurs du Fayoum ne profitent d’aucun privilège. Et ce contrairement aux autres gouvernorats du Sud, où les terrains sont gratuits ». Il ajoute que le degré de pollution de l’eau, qui dépasse les normes standard, est un autre problème majeur qui menace la vie au Fayoum.
Amgad Fathi, propriétaire d’une usine de produits dérivés du bois, aborde la question des crédits. Il raconte son histoire pour montrer les difficultés qu’affrontent les investisseurs pour obtenir un crédit auprès d’une banque. « J’ai dépensé mes dernières économies pour la construction de mon usine. Je voudrais juste un crédit de 500 000 L.E. pour acheter les matières premières et débuter l’activité. J’ai déjà présenté il y a un an des garanties de 3 millions de L.E. au Fonds social et aux banques, mais il semble que ça ne leur suffit pas. Comment le gouvernement ose-t-il dire qu’il a déjà réglé avec les banques le problème des crédits pour les investisseurs de la Haute-Egypte ? ».
Plus loin des zones industrielles, en avançant vers le centre de la ville du Fayoum, la verdure disparaît progressivement pour laisser place à des paysages plus gris, signe de l’urbanisation. On trouve des petits villages dispersés qui cachent une misère flagrante. Ils sont privés des besoins les plus élémentaires. Promiscuité, pauvreté, chômage, absence de drainage sanitaire. A midi, milieu d’une journée de travail, les jeunes diplômés au chômage font les clients permanents sur les terrasses des cafés (voir reportage).
Il est vrai que le Fayoum est le gouvernorat le plus proche du Caire, mais comme l’a avoué Gouda Abdel-Khaleq, professeur d’économie à l’Université du Caire, « ce n’est pas la dimension géographique qui compte. Car, ce privilège géographique n’a pas empêché le Fayoum de réaliser un record de pauvreté et de chômage ». Selon le rapport du Programme des Nations-Unies pour le Développement humain (PNUD), le Fayoum est le deuxième plus pauvre gouvernorat d’Egypte.
Assiout, aucun atout à développer
En plongeant encore vers le Sud, le cas d’Assiout n’est guère plus brillant. Le premier parcours au sein de la ville en témoigne. Le guide pointe avec amertume la société de ciment Cemex déjà privatisée en décembre 1999. « Comment l’Etat vise-t-il un développement du Sud ainsi qu’une réduction des taux de chômage et de pauvreté alors qu’il privatise un géant de l’industrie comme celui-là ? Savez-vous qu’au lendemain de la privatisation de cette entreprise qui a été vendue à un prix très bas, des milliers d’ouvriers ont été licenciés ? ».
Au centre d’Assiout, la beauté de la corniche du Nil, qui s’étend tout le long du gouvernorat, cache une ville pauvre qui ne possède aucun atout à développer, ni industriel ni agricole. Les 4 zones industrielles d’Assiout sont des villes fantômes. L’état du petit nombre des usines et des employés qui y sont installés est lamentable. « Il suffit de savoir que le volume des investissements de la plus grande zone industrielle d’Assiout est bien inférieur au coût d’investissement d’un seul projet dans la zone industrielle du 6 Octobre », souligne un responsable de l’Association des investisseurs d’Assiout.
Plusieurs investisseurs ont révélé à l’Hebdo les quelques obstacles qui freinent l’investissement. « Les coûts de transport sont énormes ainsi que la facture d’électricité. On verse presque 40 000 L.E. par mois pour la facture d’électricité », se lamente Farag Sadeq, directeur des Moulins Al-Charq.
Abdel-Hadi, PDG de l’usine pharmaceutique T3A pour la production de médicaments, aborde d’autres problèmes. « L’absence de main-d’œuvre qualifiée et des moyens de transport paralyse notre activité. Outre l’eau salée qui reste un problème majeur. On a besoin d’installer une unité de traitement de l’eau, notamment pour la production agroalimentaire. Il suffit de mentionner que selon des rapports internationaux, cette eau n’est pas appropriée à l’usage domestique », ajoute-t-il.
« La Haute-Egypte est la région la plus pauvre du pays. Elle est privée de tout. Il suffit de savoir que 58 % des pauvres d’Egypte vivent dans le sud du pays », conclut Gouda Abdel-Khaleq.
* Reportage pubié dans Al-Ahram Hebdo