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MAROC

Le poids de la monarchie

Jeudi 28 juin 2007, par Lotfi CHAWQUI

La monarchie au Maroc est au centre du pouvoir. Ce dernier est organisé d’une manière concentrique. Un premier cercle est constitué par la famille royale et le cabinet royal. A cette fin la cour devient un dispositif essentiel : elle garantit la surveillance de prés des sommets de l’Etat, des acteurs majeurs de la vie sociale, économique et politique, et permet par la stratégie de rentes et gratifications royales la consolidation des richesses où leur remise en cause.

Un deuxième cercle est composé par les grand commis de l’état, les représentants des corps non élus (armée, corps répressif, dignitaires religieux, technocrates). Un troisième cercle est constitué par les bureaucraties civiles, les représentants des partis, les élus, les élites médiatiques et de la société civile, Un quatrième cercle repose sur le clientélisme d’état appuyé par une corruption directe ou indirecte, qui permet de maintenir des loyautés au pouvoir à tous les niveaux de la société et d’étendre les fonctions et les moyens de contrôle social.

Cette organisation concentrique est évidemment schématique, mais elle permet de comprendre que le « makhzen politique » est comme un arbre qui a des racines multiples, grandes et petites qui vont en profondeur dans la société.

Reste que ce système est « sous contraintes ». Sa survie et reproduction dépendent de sa capacité à maîtriser les contradictions qui émergent à tous le niveaux de la société et qu’il produit lui même.

Résumons ces contradictions qui fragilisent la démocratie de façade et ouvrent la possibilité de sa remise en cause :

1) le pluralisme politique entériné pour ne pas permettre l’émergence de la question sociale et sa politisation, pour avorter toute expression politique indépendante des forces sociales, est en crise. Les partis ne servent plus d’intermédiaires crédibles entre le pouvoir politique et le corps social. Plus largement, l’ensemble des institutions de l’Etat sont vécu comme corrompus, nullement représentatif des intérêts des citoyens et incapable d’apporter un changement. La tentative d’asseoir le PJD comme opposition responsable et comme parti gouvernemental risque rapidement d’être discrédité en l‘absence de marges de manœuvres pour entamer des reformes partielles et l’acceptation des politiques libérales et sécuritaires par ce parti. Compte tenu des structures institutionnelles, sa bureaucratisation est en marche. La mise en œuvre d’un nouveau mode de scrutin et de règles électorales visent à rendre possible un marché électoral dominé par des stratégies d’alliances autour de grands partis gouvernementaux exerçant ainsi un chantage institutionnel sur les petites formations. Egalement à éviter une fragmentation excessive qui participe aux discrédit des élections et à intégrer la mouvance islamiste dans des gouvernements « larges » et bien sur à exclure les formations radicales. Mais cette nouvelle architecture visant à réaménager la carte politique ne résout pas la crise globale des institutions et des partis

2) La réduction des fonctions sociales de l’état , la destruction latente de tout service public par le biais des compressions budgétaires et les privatisations réduisent les capacités redistributives de l’Etat, accentués par le vol organisé de l’argent public et son détournement par la maffia, tout cela affecte les bases matérielles du clientélisme d’état et plus largement des moyens d’assurer une stabilité sociale y compris pour les couches sociales les mieux protégés (fonctionnaires, couches moyennes...)

3) La capacité du pouvoir à maintenir des espaces d’accumulation et de mobilité sociale pour la petite et moyenne bourgeoisie se restreint en raison à la fois la mainmise croissante des multinationales et de la concentration du capital local mais aussi en raison de la libéralisation de la concurrence qui affecte les secteurs insuffisamment compétitifs, largement majoritaires.

4) la consolidation de grandes fortunes, le développement du capital privé a permis à un secteur du patronat de s’émanciper, au moins partiellement, du contrôle économique du palais et surtout, fait nouveau, l’expression de contradictions d’intérêts économiques, de la logique de concurrence se développe. Que ce soit par les doléances des associations professionnelles, la lutte acharnée autour du contrôle du système bancaire, la contestation du monopole d’activité de l’ONA sur une série d’activités, les tentatives de lobbying politiques, la gestion des privatisations, les politiques de « mise à niveau », les classes dirigeantes se fractionnent en clans aux intérêts immédiats contradictoires. La campagne d’assainissement en 1996, la tentative d’avorter ou de cantonner la formation de partis patronaux modernes en est l’illustration.

5) le fondement historique de la stabilité politique du pouvoir à savoir la maîtrise des campagnes connaît une crise sans précèdent. Depuis la signature des accords de libre échange, le Maroc a entériné la fin de l’exceptionnalité du secteur agricole. Le risque n’est pas seulement l’impulsion de vagues d’exodes rurales beaucoup plus importantes que par le passé, compliquant la gestion urbaine des conflits sociaux mais aussi le risque du réveil d’une contestation paysanne face à l’épuisement de ses maigres ressources, l’expropriation rampante de leurs terres au profit d’une agriculture d’exportation concentrée et monopolisant les sources d’eau, la libéralisation de la concurrence, l’étouffement des souks. L’émergence de mouvements de luttes dans des régions rurales est un indice de cette transformation. Il faut rajouter aussi que les petits et moyens propriétaires, historiquement clientèle relais des notables ou fraction de ces derniers, seront également affectés par cette dynamique.

6) Ce n’est pas seulement la légitimité moderne du pouvoir qui est en crise mais aussi sa légitimité traditionnelle. La montée du mouvement islamiste, l’acceptation d’une de ses fractions par les élites a des conséquences souterraines. Le trône n’a plus le monopole politique de la référence religieuse, c’est son statut même de commandeur de croyants qui est entamé.

7) L’ouverture dite démocratique a atteint ses limites. La liberté de la presse est régulièrement attaquée et mise sous pression. La justice, non seulement, ne s’est pas émancipé de l’exécutif mais participe pleinement à l’institutionnalisation légale des nouvelles procédures sécuritaires. La société civile reste fortement encadrée pour suppléer les carences de l’Etat en matière sociale mais aussi pour trouver de nouvelles formes d’encadrement de la contestation. La gestion de la contestation alterne répression, isolement et tentative de cooptation. Sur le plan politique aucune réforme institutionnelle n’est envisagée. L’ensemble de cette situation nourrit un désenchantement par rapport aux attentes démocratiques y compris dans les sphères de l’intelligentsia libérale.

8) La montée de mouvements socioculturels régionaux est un fait qui prend de l’ampleur.. La politisation et l’enracinement d’un mouvement culturel berbère, malgré les tentatives d’instrumentalisation et de division, peuvent accélérer une double crise. Celle d’un pouvoir qui se veut symbole de l’unité de la nation mais est incapable de répondre aux revendication démocratiques de reconnaissance de l’identité berbère à tous les niveaux, celles des conceptions qui se fondent sur la prééminence de l’héritage arabe islamique (mouvements islamistes) , nationaliste jacobin (gauche traditionnelle) . Si tout dépend du contenu de sa politisation, et de sa capacité à lier la lutte contre la marginalisation sociale de régions entières et la défense de leurs identité, le mouvement berbère peut devenir potentiellement un facteur de crise majeur des fondements mêmes de l’Etat. A une autre échelle, la montée d’une nouvelle génération sahraouie indépendante au coeur même des territoires administrées/ occupées peut devenir une équation impossible pour le régime et la possibilité de renouveler le combat pour l’unité et l’autodetetmination des peuples.

9) L’impérialisme, notamment les dirigeants français et américains n’excluent pas le risque d’une chute de régime à moyen terme compte tenu à la fois d’une situation sociale explosive et de la montée d’un mouvement islamiste. Les contacts pris avec les différentes tendances de celle çi notamment du côté américain indique bien la préparation d’une solution de rechange au cas où…

10) Face à ces éléments de crise la monarchie s’expose de plus en plus et intervient sur tous les fronts, mais en s’exposant elle prend aussi le risque d’apparaître pour ce qu’elle est : un pouvoir qui a une responsabilité directe dans la situation sociale. Mais surtout un tel engagement ne repose au fond que la gestion au coup par coup des situations de tension et par de nouvelles couches de peinture sur la crise qui affecte la société dans son ensemble. Ce qui est explosif pour les classes dominantes, c’est d’abord elle-même : la coupure des élites avec le peuple, son arrogance, sa soif illimité de profits, son caractère de maffia légale est devenu tellement profond que la question n’est pas de savoir si le régime va tomber mais quand, comment et par qui.

Il n’y a aucune issue dans le cadre des institutions actuelles à la fois aux contradictions sociales et économiques qu’impose un régime d’accumulation dépendant porteur d’un libéralisme sauvage ni aux contradictions politiques qu’impose une démocratie de façade à bout de souffle.