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NIGER

Le pillage des ressources

Jeudi 29 mars 2007, par MAMANE SANI ADAMOU

Sans être un « scandale géologique », le Niger recèle d’importantes ressources minières dont l’exploitation est source de vives préoccupations en raison notamment des conséquences écologiques ou sanitaires. Mais les problèmes soulevés par l’exploitation minière débordent largement la sphère environnementale. Les dimensions socio-économiques, géostratégiques et politiques sont également importantes et peuvent, comme dans le cas de l’uranium, que nous examinons dans les lignes qui suivent, devenir centrales du fait des enjeux qui s’y rapportent.

1/ Enjeux politiques

L’uranium a toujours été considéré comme un produit stratégique à la fois par la France et par les autorités nigériennes. En effet, les accords de défense du 24 Avril 1961 "confèrent à la recherche et à l’exploitation de l’uranium un caractère tout à fait particulier en le situant sur le plan le plus élevé : celui des relations entre Etats". En outre l’annexe II du même accord, qui lie également la Côte d’ivoire et le Dahomey (Bénin actuel), intime aux trois pays de faciliter « au profit des forces armées françaises le stockage des matières premières et produits stratégiques » et, « lorsque les intérêts de la défense l’exigent », de limiter ou interdire leur exportation à destination d’autres pays.

Ce cadre de type néocolonial étant fixé, on comprend que la convention minière de 1967 ne soit rien d’autre qu’ un contrat léonin mettant à disposition de la France l’uranium nigérien. En vertu de celle-ci, le choix des acheteurs du produit ainsi que la fixation de son prix sur le marché international sont une prérogative reconnue à l’ancienne puissance coloniale. Cette dernière est par conséquent seule habilitée à transformer le minerai pour produire l’énergie atomique à partir de ses centrales nucléaires ou à l’utiliser à des fins militaires.

On comprend également que les tentatives de revalorisation de son prix de la part des dirigeants nigériens aient eu des conséquences politiques majeures : renversement de la première république en 1974, élimination du numéro deux de la junte militaire en charge des mines et responsable des négociations sur le dossier, deux ans plus tard.

Depuis lors l’on a assisté à un abandon progressif de tout questionnement sur ce dossier par les dirigeants successifs à la tête de l’Etat. La Conférence nationale, cristallisation de la revendication démocratique des années 90, ne parviendra pas non plus à modifier cette donne. Certes, il y est dénoncé, en même temps que les plans d’ajustement structurel du FMI et de la Banque mondiale, les agissements de l’impérialisme français mais il n’a jamais été clairement formulé l’exigence d’instaurer la souveraineté du pays sur ses ressources minières, sur l’uranium en particulier. Il est vrai que l’« embargo financier » français ainsi que la collusion manifeste de la France avec la rébellion armée dans le nord du pays ont fini par avoir raison de la détermination des forces pro-démocratiques dont les limites étaient par ailleurs évidentes.

Les autorités de la troisième République tenteront timidement, en vain, d’obtenir un réajustement du prix de ce produit ainsi que le libellement du prix en devises afin de prendre en compte de la dévaluation du Franc CFA (Janvier 1994). Par la suite le cours politique imprimé au pays depuis l’instauration de la 4ème République en 1996 et plus encore à partir de son renversement en 1999, mettra un terme à ses velléités en portant au pouvoir les forces les moins susceptibles de contester le statu quo.

A l’heure où l’ intérêt pour le nucléaire s’est considérablement accru dans le monde, et où de nombreux pays se bousculent au portillon du Niger pour participer à l’exploration et à l’exploitation de l’uranium, il est pour le moins surprenant que les autorités nigériennes se contentent des miettes jetées par Areva au lieu de saisir l’opportunité de poser en termes nouveaux la problématique du financement du développement du pays.

2/ Enjeux économiques

Après trente six ans d’exploitation de l’uranium et 100 000 tonnes extraites, le Niger demeure un des pays les plus pauvres de la planète, occupant régulièrement le dernier rang mondial au classement du PNUD selon l’indice du développement humain.

D’une part, en effet, les retombées pour le pays ont accusé une baisse régulière malgré un accroissement significatif du volume de la production. En 1980 par exemple, le kilogramme d’uranate de soude se vendait à 60000 FCFA contre 20000F en 2005. De plus l’aide publique française au Niger est restée dérisoire au regard de ses besoins de financement de son économie et comparativement aux autres Etats francophones de la sous- région, alors que l’indépendance énergétique de la France continue de reposer sur l’uranium nigérien.

En outre, à l’exception notoire des cadres et leurs familles (300) dont les rémunérations varient de 500. 000 à 2 millions de F.CFA et des ouvriers (2000) et leurs familles vivant dans des conditions décentes, avec des salaires compris entre 100.000 et 500.000 F.CFA, on ne saurait parler de véritables retombées ni pour les travailleurs ni pour la population des zones minières. Les sous-traitants recrutés par les filiales d’Areva -Cogema afin de réduire l’embauche d’ouvriers, ainsi que la population du département d’Arlit semblent être des laissés pour compte.

Pourtant 100 000 tonnes d’uranium représentent au prix d’achat de 2006 (25000FCFA/ kg) la bagatelle de 2500 milliards CFA. On est très éloigné des 11milliards FCFA qu’Areva entend consacrer « au développement durable » du Niger à grands renforts de médias.

D’autre part les investissements socio-économiques réalisés par le groupe Areva dans le nord du pays comme à l’échelle nationale sont insignifiants. Avec ses 5 milliards FCFA par an de « réalisations », le groupe Areva, titulaire de trois licences sur les sites de la SOMAIR, la COMINAK et ANOU ARAREN (troisième mine inaugurée cette année), est le principal bénéficiaire de l’extraction de l’uranium nigérien. C’est probablement pour masquer cette réalité qu’il développe une campagne médiatique autour de subit intérêt pour le développement durable du Niger tout en s’engageant à accroître de manière significative les investissements en vue d’aboutir à un doublement de la production.

3/ Enjeux écologiques et sanitaires

L’extraction de l’uranium est une opération à risques puisqu’elle conduit à manipuler des substances radioactives. Lorsque des précautions ne sont pas prises, il peut y avoir une augmentation de la radioactivité de l’environnement (eau, sol, air, faune et flore).

En France, les études conduites par la CRIIRAD (laboratoire spécialisé) ont permis de mettre en évidence l’impact lié à l’extraction de l’uranium. Sur tous les sites miniers contrôlés, il a été constaté « une situation radiologique anormale et une violation des principes internationaux ». La responsabilité de Cogema-Areva était alors établie, ce qui a conduit à de nombreux procès.

Au Niger, l’exploitation de l’uranium a entraîné une contamination significative de l’environnement. Les espaces forestiers ont notoirement reculé dans toute la zone d’extraction minière Trouver du bois dans les cités minières d’Arlit et d’Akokan est un véritable casse tête pour les familles. Les pâturages sont devenus rares à cause notamment des rejets des industries. En outre l’eau consommée par les populations est contaminée malgré les nombreuses dénégations des responsables des sociétés minières.

Les impacts radiologiques sont, comme observés sur les sites français, liés à la dispersion des remblais, à l’insuffisance des traitements des eaux contaminées, à la réutilisation des ferrailles contaminées, au manque de confinement des résidus radio-actifs, aux émanations de gaz radioactif comme le radon. Ces impacts sont d’autant plus préoccupants qu’au Niger l’opinion publique en est très peu informée et que les responsables des sociétés minières sont très réfractaires à toute divulgation de l’information.

Le fait le plus remarquable est qu’aucune maladie professionnelle n’a jamais été décelée par les deux hôpitaux implantées dans les cités minières. Pourtant la fréquence de maladies respiratoires est telle qu’elle fait planer une suspicion permanente sur la mort de nombreux travailleurs. Les hôpitaux crées par les sociétés minières, pompeusement qualifiés d’hôpitaux de référence, sont en fait de véritables mouroirs.

4/ Quelle perspective ?
Il découle de ce qui précède la nécessité de renégocier les conventions minières au mieux des intérêts du Niger. Le pays se trouve en effet confronté à d’énormes difficultés économiques et financières qui rendent impérative la mobilisation de toutes ses ressources en lieu et place du recours aux sources de financement extérieures dont les limites et la nocivité sont chaque jour plus manifestes. L’exemple du contrôle des hydrocarbures par la Bolivie cité par le Président Evo Morales au sommet Afrique -Amérique Latine tenu à Abuja (Nigeria) doit constituer une source d’inspiration.

Il convient donc de revenir ainsi à l’esprit du plan d’Action de Lagos (1980) en inscrivant la prise de contrôle des ressources minières dans l’optique de l’édification d’une économie nationale autonome orientée vers la satisfaction des besoins des classes populaires.

Il est en effet temps de s’interroger pourquoi continuer à livrer notre sous-sol au pillage des multinationales et des puissances étrangères, à exploiter et à exporter des produits dont nous n’avons pas besoin et que nous ne transformons pas ?

Il est urgent par conséquent de remettre en cause cette « division internationale du travail » qui a confiné depuis des siècles le continent africain dans une posture subalterne, de briser les liens de dépendance vis à vis des forces de domination en général, de l’impérialisme français en particulier.

Cela suppose le développement d’une capacité de résistance collective aux pressions multiformes exercées par les institutions du grand capital telles le FMI, l’OMC et le FMI.

En somme, il s’agit de mettre en œuvre un modèle de développement écologiquement soutenable et dont le moteur est la satisfaction des besoins des classes populaires et non les impératifs de profit.

Cela est possible car jamais auparavant le Niger n’a disposé d’autant d’atouts pour assurer sa souveraineté sur ses matières premières, l’uranium en particulier et résoudre ses problèmes de financement.

MAMANE SANI ADAMOU


Voir en ligne : www.alternative.ne