Dès lors, les territoires arabes occupés, en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, se sont transformés en champs d’affrontements entre partisans du mouvement Fatah et partisans du mouvement Hamas – affrontements qui ont causé, jusqu’à l’écriture de ces lignes, deux morts et une vingtaine de blessés.
Le Hamas a refusé tout net cette initiative du président Abbas, qu’il considère anticonstitutionnelle, et d’autres factions palestiniennes on fait de même [c’est notamment le cas du Djihad islamique, des deux Fronts populaires (FPLP et FDLP), du Fatah Commandement général, ainsi que des Comités de Résistance populaire.
Seul, un petit groupe de personnalités palestiniennes proches du cabinet présidentiel, comme MM. Yasser Abed Rabboh et le comité central du Parti du Peuple (ex-communiste), ainsi que divers dirigeants au sein du Fatah, ont soutenu l’initiative abbassienne].
M. Abbas était hésitant, quant à la convocation de ces élections, et cela apparaît clairement à travers le choix de la date où elles se dérouleront, comme s’il voulait, au moyen de ces élections, exercer des pressions sur le Hamas afin que celui-ci revienne à la table des négociations visant à la constitution d’un gouvernement palestinien d’union nationale…
Mais Abbas s’est complètement planté dans ses petits calculs mesquins. En effet, son appel à des élections anticipées a eu raison des dernières lueurs d’espoir en une reprise du dialogue, causant une coupure qui risque de dégénérer en une sanglante guerre civile susceptible de durer des mois, si ce n’est des années.
Et voilà que le soutien tripartite – israélo-américano-britannique – à ce va-tout abbassien vient encore compliquer – s’il est possible – la situation à tout le moins délicate de celui-ci, en rendre encore plus complexe la mission et soulever moult doutes et points d’interrogation quant à ladite mission, ce qui ne peut que renforcer la position de ses adversaires du mouvement Hamas, à moyen et long termes.
En effet, le peuple palestinien n’a strictement aucune confiance en cette trinité impie, en ce nid de scorpions dans lequel il s’est fait piquer la main déjà plusieurs fois, lui qui souffre encore des complots que ce trio infernal avait ourdis – ce trio infernal qui se tient, pour l’essentiel – comme de juste – sans hésitation aucune dans le camp adverse…
Le Hamas voit juste, quand il récuse toute nouvelle élection, et quand il insiste sur l’inconstitutionnalité de cette initiative, qui ne vise rien d’autre que la chute de son gouvernement et l’abrogation des résultats des dernières élections législatives, qu’il a remportées haut la main.
En effet : à quoi bon affronter de nouvelles élections, et les remporter, si elles aboutissent au même résultat, c’est-à-dire à la continuation du blocus alimentaire à l’encontre du peuple palestinien, au boycott occidental et (partiellement) arabe du nouveau gouvernement sorti des urnes ?
Le peuple palestinien doit-il absolument connaître le même sort que le peuple irakien, c’est-à-dire se rendre dans les isoloirs deux à trois fois dans la même année, pour participer une première fois à des élections provisoires, puis en vue d’un référendum constitutionnel, et enfin, pour élire le parlement définitif ?
Le tout, pour découvrir, en fin de compte, que toutes ces élections ne lui ont rien apporté d’autre qu’une guerre civile des plus sanglantes, la disparition de l’ordre public, la généralisation de la corruption et l’absence des services publics les plus vitaux ? !
M. Abbas a insisté sur la liberté de choix démocratique du peuple palestinien, disant que ce peuple est la source des pouvoirs – ce qui est vrai, et ce qui est dit très précisément, et à bon escient. Mais le peuple s’est prononcé, il y a moins de neuf mois de cela, et il s’est prononcé, par ses bulletins de vote, contre la corruption et le bradage de la cause palestinienne.
Et nous ne voyons pas que de quelconques nouvelles élections, après un siège étouffant, et une retenue délibérée des traitements, puissent être de quelconque façon démocratiques et exprimer sincèrement les véritables positions de ce peuple ?
Celui qui a faim et qui est privé de tout, qui ne peut même pas acheter du pain à ses enfants, on ne peut en accepter le témoignage ; on ne peut pas non plus décemment permettre qu’il participe à de quelconques élections, car il voterait avec son estomac.
Mais c’est peut-être là précisément le but réel recherché par Israël et par les pays donateurs, lorsqu’ils ont cessé de verser leurs aides financières au peuple palestinien, en représailles d’avoir élu le Hamas ?
Nous aurions espéré que le Sieur Abbas commence par appliquer la démocratie qui lui tient tellement à cœur parmi les gens de sa propre maison – le Fatah – en réunissant, par exemple, un congrès général de ce mouvement, afin d’élire un nouveau conseil révolutionnaire et un nouveau comité central, car toutes les institutions actuelles de ce mouvement, qui monopolisent son processus de prise de décisions, ont pris des cheveux blancs et ont donc besoin d’être renouvelés et qu’on leur transfuse un sang neuf.
Il est en effet illogique que dominent sur ce mouvement et sur sa direction les mêmes vieilles barbes qui occupaient déjà les premiers rangs à Fakhânî, puis à Tunis, pour finir par Ramallah…
Nous redoutons plus les effets de l’initiative abbassienne pour le Fatah que pour le Hamas lui-même, car ce mouvement, le Fatah, qui a fait le sacrifice de milliers de martyrs – dont le dernier en date n’est autre que Yasser Arafat – est actuellement menacé de scission et d’éclatement.
Nous en avons perçu les prémices dans la présence de M. Fârûq al-Qaddûmî, secrétaire de son comité central, à Damas, aux côtés de M. Khâlid Mash‘âl, président du bureau politique du Hamas, du Dr. Ramadân Abdullah Shalah, secrétaire général du mouvement du Djihâd islamique et de M. Ahmad Jubrayl, chef de l’OLP Direction générale, ainsi que de M. Mâhir al-Tâhir, membre du bureau politique du Front Populaire [de Libération de la Palestine] : c’est là, en effet, la nouvelle coalition qui a refusé l’initiative de M. Abbas de convoquer des élections présidentielles et législatives anticipées, dans lesquelles ladite coalition voit une tentative de coup d’Etat contre la légitimité [du gouvernement Hamas actuel] .
Et quand M. Abbas ironise au sujet de certains dirigeants de l’extérieur, qui se la couleraient douce dans leurs intérieurs confortables et qui n’ont pas souillé leurs souliers vernis avec la poussière du sol palestinien, il ne fait que se condamner lui-même, et certainement pas les plus de huit millions de Palestiniens qui vivent dans leurs divers pays d’exil contraints et forcés.
Môssieur Abbas a simplement oublié – n’est-ce pas – qu’il faisait partie de ceux-là il n’y a pas si longtemps, lui qui n’est rentré au "pays" qu’à califourchon sur le dos du canasson dénommé "Oslo", marchandé au prix des droits des Palestiniens, et qui a conduit à encore plus de colonisation sioniste de peuplement, à encore plus de murailles racistes et à la rupture de l’isolement de l’Etat hébreu, tant de la part des pays arabes voisins que du reste du monde…
Le Hamas endosse certes une partie de responsabilité dans la dégradation actuelle de la situation, dès lors qu’il s’est engagé dans un processus politique aux résultats courus d’avance, issu du giron de l’occupation et des accords d’Oslo.
Mais il n’est en rien responsable du blocus financier et alimentaire, ni du désordre public, car il a trouvé des coffres vides, en arrivant au pouvoir, et une dette de plus de 2 milliards de dollars, à cause d’une multiplicité des services de sécurité et de la corruption de leurs dirigeants, ainsi que de la collaboration de certains d’entre eux avec les Israéliens et avec certains services de renseignement étrangers, comme l’a affirmé à plusieurs reprises le commandant Nâçir Yûsif, précédent ministre palestinien de l’Intérieur, et membre du comité central du Fatah.
L’issue de l’impasse sanglante en dégradation constante vers laquelle le peuple palestinien est en train de se faire aspirer à une vitesse folle, c’est la dissolution de cette "Autorité" vermoulue, qui est devenue un boulet pour le peuple palestinien, car elle a renversé les priorités palestiniennes de fond en comble, et parce qu’elle a détourné le combat palestinien de son véritable objectif – la libération de la terre palestinienne – vers les luttes intestines.
Qu’est-ce donc, en effet, que cette "Autorité" dont le Premier ministre est humilié au point de passage de Rafah, qui doit poireauter, assis sur le trottoir tel un clodo, à attendre qu’on daigne le laisser passer, lui et sa délégation, et qui, quand il peut enfin traverser, se fait canarder ? ! ?
Nous nous attendions à ce que les deux têtes de l’Autorité s’affrontent, tels des béliers, politiquement et démocratiquement.
Mais quand ces chefs se mettent à dialoguer avec des balles et des obus de mortier RPJ, oubliant l’ennemi qui occupe la terre [de Palestine], retient des milliers de prisonniers dans ses geôles abjectes, et perpètre quotidiennement des massacres, c’est là quelque chose de surprenant et de choquant : cela contrevient à toutes les bonnes manières, et cela dépasse même toutes les lignes rouges…
Peut-être d’un mal sortira-t-il un bien ? C’est ce que nous pensons, avec tristesse et accablement.
Puisse cet effondrement représenter le début de la délivrance, du redressement de la situation, de la remise du processus historique sur ses rails !
Le peuple palestinien ne mérite pas cette légèreté qui l’a atteint du fait de certains de ses propres enfants, après tous les sacrifices qu’il n’a cessé de consentir, tout au long du siècle écoulé.